En Israël, les règles du chabbat à l’épreuve de la guerre
Le chabbat, jour de repos hebdomadaire juif, commence le vendredi au coucher du soleil et se termine le samedi soir. En Israël, depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, certaines règles du chabbat ont été modifiées.
En Israël, le chabbat met traditionnellement le pays au ralenti mais depuis l’attaque du samedi 7 octobre et avec la guerre en cours à Gaza, certaines règles associées au repos hebdomadaire juif sont bouleversées.
Le samedi 8 juin, les forces israéliennes libèrent quatre otages aux mains du Hamas dans le centre de la bande de Gaza, dévastée par huit mois de guerre. Une partie du pays ne l’apprend qu’à la nuit tombée, comme Eliana Gurfinkiel, trentenaire franco-israélienne vivant à Jérusalem.
Le shabbat commence, en effet, le vendredi au coucher du soleil, pour s’achever le samedi soir, une fois la nuit tombée, et pour les pratiquants soucieux de respecter la loi juive, tout travail ou toute action créatrice d’énergie, comme allumer la lumière, un poste de radio, répondre au téléphone ou conduire, est interdit pendant ce temps de repos.
Mme Gurfinkiel reconnaît avoir été transportée d’émotion, mais pour elle, apprendre la bonne nouvelle à 11h du matin ou à 20h30 " ne change rien ".
Pour prévenir leurs voisins pratiquants sans attendre, certains Israéliens ont fait circuler la nouvelle sur des papiers écrits à la main, selon des images diffusées sur les réseaux sociaux.
Un site internet ultra-orthodoxe raconte qu’un homme a écrit un mot pour remercier ses voisins de l’avoir prévenu, tout en leur demandant de ne pas réitérer ce geste de profanation à ses yeux.
" Petit coup de stress "
Depuis l’attaque des commandos du mouvement islamiste palestinien le 7 octobre, " il y a un petit coup de stress à la fin de chaque shabbat quand on rallume notre téléphone ", confesse Mme Gurfinkiel.
Lancée de la bande de Gaza, l’attaque du Hamas a entraîné la mort de 1.194 personnes du côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP à partir de données officielles. Et sur les 251 personnes enlevées ce jour-là, 116 sont toujours otages à Gaza dont 41 ont été déclarées mortes par l’armée.
La campagne militaire israélienne de représailles sur la bande de Gaza y a fait 37.431 morts, majoritairement des civils, selon des données du ministère de la Santé du gouvernement du Hamas pour Gaza.
Au petit matin du 7 octobre, les alertes à la roquettes résonnent, et des commandos du Hamas se ruent à l’assaut de kibboutz du sud d’Israël. Alors, contrevenant aux règles du shabbat, certains Israéliens allument leur portable quand d’autres sautent dans des voitures pour aller se battre.
La possibilité de déroger au shabbat quand une vie est en jeu " est un principe très connu et très respecté ", explique Nitzan Perelman, doctorante en sociologie à l’Université Paris Cité.
C’est le " pikuach nefesh " (littéralement : " sauvetage d’une âme " en hébreu) : " Si on a la possibilité de sauver une vie, on préfèrera la sauver plutôt que de respecter le shabbat ", explique Yonathan Seror, rabbin à Tel-Aviv.
C’est ainsi que les ambulances peuvent rouler pendant le shabbat, ou qu’un juif pratiquant s’autorisera à prendre sa voiture pour aller à l’hôpital en urgence.
Radio silencieuse
Depuis la guerre du Golfe (1992), une station de radio à destination des foyers orthodoxes émet en silence pendant le shabbat, ce qui permet de laisser le transistor allumé sans être dérangé. Le silence n’est troublé qu’en cas d’alerte, immédiatement diffusée.
Dans les semaines suivant le 7 octobre, M. Seror a conseillé à ses fidèles de garder leur téléphone allumé pendant le shabbat, mais plus aujourd’hui, car " ce sont des autorisations ponctuelles ".
Les exceptions aux dérogations du " pikuach nefesh " se multiplient néanmoins avec la guerre qui se prolonge, relève Mme Perelman.
Efi est mère de deux soldats au front à Gaza (et pour cette raison ne souhaite pas que son nom de famille soit mentionné). " Le samedi, c’est ce qu’il y a de plus stressant ", dit-elle à l’AFP : " Nous n’utilisons pas le téléphone et ne savons pas ce qui se passe, mais je laisse l’appareil allumé. "
" S’il n’y a rien d’autre [que quelques bips], je sais que tout va bien. Sans ça, je ne pourrais plus vivre pendant le shabbat ", ajoute-t-elle.
En Israël, le shabbat est aussi synonyme de repos politique, sauf en cas de danger pour la vie d’autrui ou pour la sécurité de l’Etat.
Le 7 octobre, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait publié une vidéo dès la mi-journée pour annoncer que son pays était " en guerre ".
Mais le 8 juin, M. Netanyahu a rendu visite aux otages libérés sans attendre la fin du shabbat, suscitant de vives critiques du quotidien ultra-orthodoxe Hamevasser.
Déjà le samedi précédent, le bureau de M. Netanyahu avait envoyé un communiqué pour réagir à une déclaration du président américain Joe Biden, en plein repos hebdomadaire.
Ses alliés d’extrême droite, les ministres Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, tous deux religieux, avaient attendu la nuit pour dénoncer cette proposition de cessez-le feu à Gaza.
Par Antoine Boyer