HOGRA – L’immolation qui dérange les autorités marocaines (« El Pais »)
Mi-décembre, dans la foulée du suicide de Mohammed Bouazizi en Tunisie, le monde découvrait la hogra, ce mot arabe qui désigne le mépris et l'arbitraire avec lesquels certaines tranches de la population du Maghreb se sentent traitées par les autorités, mais aussi la détresse, le mal-être et l'impression de n'avoir plus d'issue. Dans ce blog, nous consacrions fin janvier une note à la vague de suicides par le feu qui avait touché l'Algérie cet hiver.
Il y a quelques jours encore, le Maroc ne connaissait pas le phénomène des "immolés de la hogra". C'est le journal espagnol El Pais qui met en lumière, ce vendredi, l'histoire de Hamid Kanouni, déjà abordée par quelques sites consacrés à l'actualité marocaine.
Le 7 août, le jeune homme de 27 ans s'est aspergé d'essence et s'est fait brûler devant le commissariat de Berkane, dans le nord-est du Maroc. Transféré dans un hôpital de Casablanca, il est mort le lendemain. "C’est la hogra. Ils m’ont méprisé. Mon gagne-pain est perdu", auraient été ses derniers mots, selon un ami qui l'accompagnait dans l'ambulance.
Les versions divergent sur les raisons qui ont poussé Hamid Kanouni à s'immoler par le feu. Le jeune homme était un marchand ambulant de pain, son commerce se résumant à la charrette qu'il poussait dans les rues de Berkane. Il était en conflit avec une boulangère de la ville, qui l'avait employé un temps et n'appréciait pas de le voir stationner à proximité de sa boutique. "Les clients de l’établissement convoitaient davantage le pain fabriqué par Hamid", assure Info Maroc.net.
Après une énième dispute, la boulangère aurait demandé à la police d'intervenir. Selon le président de la branche locale de l'Association marocaine des droits de l'homme, cité par El Pais, "la police l'a battu, insulté et a saisi la voiture" avec le pain, qu'elle a détruit.
Une version confirmée par plusieurs témoignages mais que dément la police. Citées par l'agence de presse MAP, les autorités assurent que le vendeur ambulant s'était "réconcilié" avec la boulangère, que "sa marchandise a été détruite par un inconnu" pendant qu'il était au commissariat et qu'il s'est immolé "à proximité du commissariat". Il aurait attribué son geste, avant son transfert à l'hôpital, "à ses relations tendues avec la propriétaire du four qui l'employait dans son local avant de le renvoyer".
A Rabat, l'histoire semble déranger. Jusqu'au démenti de la police, aucune information n'avait été publiée sur le sujet par l'agence MAP. Surtout, assure El Pais, la police aurait essayé de convaincre la famille que Hamid Kanouni soit enterré à Casablanca plutôt qu'à Fès, sa ville natale, où habite sa famille. Finalement, son cercueil a été transféré à Fès. L'ambulance qui le transportait est tombée en panne, et l'autre véhicule envoyé n'est arrivé qu'à minuit. Dans le cimetière, raconte El Pais, il y avait beaucoup de monde, mais il n'y a pas eu de mouvement de protestation.