Share |

Répondre au commentaire

Mort à Pantin - Charles Benarroch

 

 

Depuis quelques jours ça me turlupinait.
Je les sentais s’agiter sous le marbre, une impatience diffuse un ressentiment palpable.

Certains signes traversaient mes nuits, certaines de leurs douces requêtes, peuplaient mes rêves et nourrissaient une culpabilité tranquille, mais sournoise.

Ce matin-là, levé à six heures et très déterminé, malgré la chaleur montante inédite, d’un des mois de septembre les plus chauds signalés par les relevés météo.  
Douche rapide et en guise de déjeuner, une cuillère à café d’un miel de Nouvelle Zélande utilisé par les guérisseurs Maori, qui à mon sens, possède deux qualités, une énergisante réelle et un léger effet placebo…  

Après les rues parisiennes vides du mois d’août, je me disais qu’un dimanche matin devrait être fluide et en effet, j’ai traversé le périph en un temps record…
J’avais pensé à tout, bouteilles d’eau, éponges, mon calendrier des fêtes juives, des billets d’euros pour payer les prières, mais j’avais oublié ma kippa.  
J’étais au bord de faire demi-tour…

L’avenue du Cimetière parisien était embouteillée.
Les portes n’ouvraient qu’à neuf heures.
J’ai réussi à me garer, à choisir deux bougies, un grand pot de Véronique dite “Hebe speciosa variegata“ la fleur de cimetière par excellence.
On m’a fourni une balayette, un seau et une petite pelle, équipé comme pour aller à la plage….
Devant les pompes funèbres des établissement E.B. une dame stationnait avec sa maman, face au rideau de fer qu’elle essayait d’ouvrir.  
J’ai dit vouloir une Kippa qu’elles m’ont fourni gracieusement, puis j’ai attendu dans ma voiture.  
Le texte d’une chanson écrite dans les années soixante m’est revenu en mémoire :

On va pas à pas vers la mort
On va son bonhomme de chemin
Sagement elle nous attend au port
Sûre qu’on accostera demain

 

Quand notre vieux trop corps fatigué
S’en ira pactiser avec elle
Elle a de la suite dans les idées
Elle ne manque jamais à l’appel

C’est jour de fête c’est jour de bombe
Quand quelque part en explose une
Ou quand dans l’journal à la une
Elle lit l’détail d’une hécatombe

Etc.

Elle est restée dans mes tiroirs.
Une chanson sur la mort c’est invendable !
Ça et la vulve sont parmi les sujets les mieux gardés de nos sociétés.
Eros et Thanatos, célèbres duettistes, pas toujours en odeur de sainteté…
 

Sitôt la porte ouverte j’ai suivi le flot des voitures.

L’avenue Principale, ensuite deux allées après le deuxième carrefour, l’avenue des Mûriers Blancs puis celle des Platanes.

L’état des lieux avaient empiré, des ornières, de la terre et des pierres non recouvertes de bitume, des trous comme des nids d’autruches, même en roulant à faible allure, mes amortisseurs ont vécu là une souffrance, des outrages jamais égalés.

J’étais à nouveau dans les rues de New-York avec son asphalte crevassé, ses énormes et fréquents nids de poules, que les taxis feignaient de ne pas voir, sur lesquels ils roulaient à toute vitesse.  

Je pensais pouvoir me fier à ma mémoire, ligne 1, 62e divisions, tombe 24, ça me semblait des infos suffisantes pour trouver mon chemin.  
Mais ce jour-là ils avaient installé des barrières et les haies devant les tombes avaient considérablement poussé, elles étaient si hautes qu’elles en masquaient la vue…  

Perplexe, désorganisé, je me suis perdu !

J’ai tourné en rond, l’avenue des Sycomores, des Érables, des Noisettes de Byzance, des Peupliers Argentés, avaient déployé pour moi tous leurs fastes, des attraits à vous donner l’envie d’habiter là…
Entouré des prestigieuses personnalités inhumées dans le carré juif.
du philosophe Emmanuel Lévinas, au boxeur Alphonse Halimi, en passant par Reinette l’Oranaise, une des chanteuses préférées de Raphaël mon père…

Au bout d’une heure, au bord de craquer, de tout laisser tomber et de repartir avec ma jolie Véronique dans le coffre, j’ai coupé le moteur et fermé les yeux.

En principe je suis loin de n’avoir qu’une vision organique ou holistique du monde, loin d’avoir accompli une vraie et salutaire révolution Noétique.

Persuadé qu’ils allaient entendre mon appel, me répondre, me servir de GPS, me guider enfin vers le lieu de leur dernière demeure, que je n’arrivais plus à retrouver, je me suis concentré fort et leur ai parlé…  

Dix minutes à peine écoulées, passe une voiture déglinguée, au volant de laquelle une barbe blanche considérable, que je m’empresse d’arrêter.

Je lui fais part de mes déboires.   
Il me laisse sa carte :
« J’ai encore une famille à voir, ne bouge pas d’ici, appelle-moi dans dix minutes je viendrais te conduire vers tes parents »

Le vieux rabbi a tenu parole.  
Arrivés devant la tombe de mes parents, j’ai posé la Kippa offerte sur le sommet lisse de mon crâne dégarni.
Il a demandé le prénom de tous mes chers disparus et dit ses prières en boulant le texte comme d’habitude !

Je lui ai remis les billets réservés à cet usage, il a disparu comme il était apparu.

L’ange Gabriel ?   

J’ai rempli le seau à la fontaine située à quelques mètres. Par ces temps de sècheresse un essaim de guêpes opportunistes a profité de mon eau.  
Sur le chemin, s’étalaient le nom des personnages de ma jeunesse, gravés sur les tombes environnantes.
Ils ne semblaient pas trop furieux de voir un mécréant comme moi !

Je crois à la porosité des mondes.  

J’espère que le vieux dieu psychopompe qui a escorté leurs âmes, sera encore là pour mon épouse et moi quand viendra l’heure.

Une convention obsèques attend depuis deux ans notre décision.
Nos corps entiers légués à la science ?
Ou juste nos organes ?

Inhumés avec cérémonie religieuse prêtre et église pour elle, Rabbin et kaddish pour moi ?

Ou incinéré, les cendres dispersées au jardin du souvenir, jetées à la mer, dans la Seine, la Marne ?
Cercueil en chêne, en sapin, en carton ?

Toutes ces questions restées en suspens nous empêchent-elles de mourir ?   On n’est pas pressés d’y répondre ...

J’ai bien nettoyé, épousseté, lavé la tombe.
Dans le petit bac-jardinière judicieusement aménagé, j’ai planté et arrosé ma Véronique.  
J’ai allumé mes deux bougies.
Et j’ai pu enfin me recueillir…

Expliquer, que malgré mon manque de visites je pense fort à eux, qu’ils sont en permanence logés dans mon cœur, que leur place est toujours réservée et vacante, qu’elle ne serait jamais attribuée à d’autres.

J’ai bricolé mes propres prières, moins savantes que celles boulées par le vieux Rabbi, mais sincères.
Dans ce domaine seul compte la ferveur !   

Sur une tombe toute proche se recueillait une famille sépharade.
Ils tentaient de débarrasser le marbre de toute la poussière accumulée. Des feuilles séchées, des brindilles, des vieilles bogues de marrons d’Inde, des racines de mauvaises herbes poussées autour.
Pour ce faire, ils disposaient de quelques Kleenex.

La mère âgée et sa fille mûre se disputaient au sujet de la meilleure manière de procéder, le père tournait autour impuissant, se faisait rabrouer.  
J’ai proposé ma balayette, le vieux a titubé jusqu’à moi, a manqué tomber, s’est fait engueuler, a rétorqué à mon adresse :

« Je suis encore assez grand pour savoir ce que je fais non ?!»  

Il est reparti balayette en main, a commencé à dépoussiérer une tombe à côté, mais pas la bonne !

La protestation fut immédiate, mère et fille outrées !

« C’est quand même incroyable de se tromper comme ça ! »

« Une tombe c’est comme le Port Salut, le nom est écrit dessus ! » …

 

Répondre

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.
CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage (spam).
Image CAPTCHA
Saisir les caractères affichés dans l'image.

Contenu Correspondant