Ces dictons tirés de la Bible
Comme Monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir, on cite parfois les Écritures à notre insu. Notre langage regorge d’expressions, métaphores et comparaisons puisées dans la Bible.
Expressions tirées de l’Ancien Testament
Du récit de la Création dans la Genèse, déjà, notre langage a tiré des expressions : de être en tenue d’Ève ou d’Adam (pour respectivement une femme ou un homme dévêtus), à fruit défendu (pour tout ce qui attire du fait d’être interdit), ou pomme d’Adam (pour désigner familièrement la saillie dans la face antérieure du cou chez l’homme), jusqu’au jardin d’Éden pour un lieu paradisiaque.
Mais notre langage courant fait aussi référence à maints d’autres passages des premiers livres de la Bible. Une période de vaches maigres : dans la Genèse, chapitre 41, Pharaon fait le songe de sept vaches « efflanquées, très laides d’aspect et maigres de chair » montant du Nil derrière « sept vaches grasses de chair et belles d’aspect », qu’elles dévorent.
Joseph lui interprète ce songe comme l’annonce par Dieu de sept années de grande abondance suivies de sept années de dure famine, qui feront oublier toute l’abondance du pays d’Égypte. Pour les économistes, ce passage offre une première illustration des cycles conjoncturels, où alternent croissance et récession. Plus largement, l’expression rappelle qu’une situation de vaches maigres est provisoire et peut être suivie à nouveau de vaches grasses.
Un colosse aux pieds d’argile. Autre songe d’un puissant interprété par un autre prophète juif. Ici Daniel, dans le livre de la Bible portant son nom, interprète la vision du roi Nabuchodonosor d’une « grande statue, extrêmement brillante », dont la « tête était d’or fin » mais dont les pieds sont « partie fer et partie argile » et donc ne tiendront pas ensemble, « de même que le fer ne se mêle pas à l’argile ». Une fatalité à laquelle ne peut échapper la statue, dont l’apparence puissante est donc trompeuse.
C’est aussi de la Bible que vient la mise en garde de ne pas mettre le pot de terre avec le pot de fer (Ecclésiastique 13, 2), comparaison que reprendra en fable La Fontaine.
Baisser les bras : on oublie que cette expression courante pour signifier un renoncement après l’effort provient du combat de Moïse, « le bâton de Dieu à la main », avec Amaleq, dans Exode 17 : « Lorsque Moïse tenait ses mains levées, Israël l’emportait, et quand il les laissait retomber, Amaleq l’emportait. » Les mains de Moïse s’alourdissent au point qu’il faut les lui soutenir pour ne pas qu’il les baisse. Et ainsi « jusqu’au coucher du soleil ».
D’autres dictons bien connus sont extraits directement d’épisodes de l’Ancien Testament : œil pour œil, dent pour dent, selon la fameuse loi du talion ; un jugement de Salomon, en rappel de la dispute entre deux femmes pour un enfant que règle le roi Salomon, à qui Dieu vient de donner en soi l’intelligence du cœur (1 Rois 3).
C’est ce même sage Salomon que tente d’éprouver en vain une souveraine d’un royaume du sud-ouest de la péninsule arabique, la reine de Saba (1 Rois 10), d’où vient l’expression se prendre pour la reine de Saba appliquée à une personne qui se croit importante. Pauvre comme Job, en souvenir de cet homme que Dieu prive en un jour de sa famille et ses biens avant de le faire souffrir. Pour un plat de lentilles (Genèse 25, 29-34) fait référence au potage de lentilles préparé par Jacob et qu’avale son frère aîné Ésaü, acceptant, tant il est exténué, de lui vendre son droit d’aînesse.
Enfin, des épisodes comme la tour de Babel dans la Genèse, celui des dix plaies d’Égypte dans l’Exode, suivi de la traversée du désert pour la terre promise sont devenus autant d’images employées couramment.
Expressions tirées du Nouveau Testament
Du Vade retro lancé à Pierre, à tendre l’autre joue (Matthieu 5, 38-42) quand on vous frappe la droite, de jeter la pierre (Jean 8, 5-11) contre la femme adultère à rendre à César ce qui est à César (Luc 20, 26) pour ne pas le confondre avec le culte rendu à Dieu et à chaque jour suffit sa peine (Matthieu 6, 34) sans s’inquiéter du lendemain ou encore Nul n’est prophète en son pays, comme en fait l’expérience Jésus de retour dans son village de Nazareth : maintes paroles prêtées directement au Christ forment de célèbres adages.
De même source mais moins souvent citée, cette mise en garde de Jésus, reprise dans les trois Évangiles synoptiques, après sa rencontre avec un homme riche refusant de vendre tous ses biens : Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. C’est toute la difficulté d’emprunter la porte étroite, la seule qui conduit au Royaume.
D’autres expressions sont tirées des paraboles qu’emploie Jésus pour enseigner : le bon Samaritain (Luc 10, 29-37), la brebis égarée (Luc 15, 4-7) suivie du retour de l’enfant prodigue (Luc 15, 11-32) pour lequel il faut tuer le veau gras.
De Matthieu 13, 24-30 vient le besoin de séparer le bon grain de l’ivraie, non sans avoir auparavant laissé l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson. Et en Matthieu 20, 1-16, la parabole des ouvriers envoyés à la vigne, où les ouvriers de la onzième heure touchent au soir le même salaire que ceux embauchés au point du jour.
Sans provenir mot pour mot des Évangiles, d’autres locutions populaires, héritage chrétien oblige, ont leur origine dans différents épisodes de la vie de Jésus : crier sur les toits, selon la recommandation de Jésus à ses douze disciples : « Ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. »
Ne pas être treize à table, en souvenir du dernier repas du Christ avec les Douze. S’en laver les mains, en imitation du comportement devant la foule de Ponce Pilate (Matthieu 27, 24), qui décline ainsi toute responsabilité sur la condamnation du Nazaréen. Pleurer comme une Madeleine, à l’instar de Marie, du petit village de Magdala, pleurant devant le tombeau vide au matin de la Résurrection. Trouver son chemin de Damas, c’est-à-dire la vérité, et se convertir, tel le futur saint Paul, dans les Actes des Apôtres, approchant cette ville et se trouvant soudain enveloppé de lumière au point de tomber à terre.
à lire : Dictons à saveur biblique, commentés par le bibliste P. Jacques Nieuviarts A.A., en supplément au DVD La Bible au goût de sable, produit par Bayard, 2011, 19,5 €.
SÉBASTIEN MAILLARD