Armand Elmaleh Lemal, le jazz autrement
Armand Elmaleh Lemal, plus connu sous le pseudonyme Jauk Armal, est un percussionniste qui a révolutionné le jazz et la fusion au Maroc. Il fêtera ce qu’il appelle « le cinquantenaire d’une baffe », celle qu’il a reçue de la très célèbre composition du saxophoniste Paul Desmond, Take Five. Moments de nostalgie avec un artiste juif marocain hors-pair.
Pourquoi avez-vous fait des travaux sur le jazz ?
Quand j’ai commencé la batterie, j’avais 10 ans. J’avais un père et un papa. Le père, décédé, était un amazigh marocain juif, et le papa qui m’a élevé était chrétien. Ce dernier écoutait du Jazz, Ahouach, Beethoven et Maria Callas. Cela m’a beaucoup marqué. Je suis devenu percussionniste et donc un touche-à-tout en musique, le jazz principalement.
Pourquoi critiquez-vous la vieille école du jazz. Voulez- vous donner une nouvelle lecture, une nouvelle manière de l’écouter ?
En 1962, j’avais 18 ans et je jouais Take five du saxophoniste Paul Desmond, écrite pour l’album Time Out du quartet de Dave Brubeck. Ce dernier, dans une analyse, a révolutionné le jazz en montrant qu’il est possible de le surpasser en jouant à cinq ou sept temps. J’étais fasciné par cette explication, surtout, qu’il avait dit que notre rythmique en musique en Afrique peut en cacher une autre. Pendant une semaine, j’étais dans un état de béatitude suite à cette révélation. Un mois après, ma mère me propose de rencontrer des musiciens amazighs pour jouer ensemble. Et c’est avec eux que je me suis lancé dans les méandres de ma révélation.
Y a-t-il une vraie musique de jazz au Maroc ?
Il y a très peu de musiciens jazz au Maroc. Au maximum, je dirais qu’il y a cinq compositeurs. Les frères Souissi par exemple, moi-même, Karim Soussan, Majid Bekkas. Je peux m’aventurer et dire que je suis le fondateur du jazz et de la fusion marocains.
Qui est votre public généralement ?
Ce sont souvent les vieux mélomanes nostalgiques. Il n’y a malheureusement pas encore de jeunes qui s’y intéressent car pour eux le jazz c’est le blues, alors que c’est différent. Le blues c’est un système pentatonique, une gamme universelle alors que le jazz est un rythme harmonieux ou à plusieurs temps et qui peut être rapide ou lent.
Le mot « juif » dans la nouvelle Constitution a été remplacé par le mot « hébraïque ». Simon Lévy a critiqué cela. Qu’en pensez-vous ?
Il a raison, parce que dans le vieux Larousse des années 1950, il est écrit que « juif » est la qualification péjorative des personnes de confession judaïque. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas bien de garder chez les Marocains ce malentendu. C’est comme « musulman », ce n’est pas péjoratif. Il fallait garder le mot « juif » car pour nous ce n’est pas une insulte. Politiquement parlant, il faut se pencher sur ce changement linguistique. Malheureusement, les juifs et les musulmans ont les religieux les plus racistes actuellement, alors qu’ils ont le même ancêtre.
« Il y a très peu de musiciens jazz au Maroc. Au maximum, je dirais qu’il y a cinq compositeurs. »
Quel est votre avis sur la nouvelle Constitution au Maroc ?
Il faut prendre du recul. Dans un pays où plus de la moitié de la population est analphabète, il est inenvisageable d’appliquer des Constitutions étrangères. Ce n’est pas possible ! Mais je reste optimiste…. Feu Hassan II disait lui-même que l’Islam et la démocratie sont incompatibles. Personnellement, je suis en faveur d’une évolution vers une monarchie constitutionnelle parlementaire laïque. Mais ce n’est pas possible actuellement.
La liberté d’expression au Maroc, cela vous dit quelque chose ?
Savez-vous qui sont les meilleurs groupes de rap en ce moment ? Ce sont les Marocains et les Libanais grâce à la liberté d’expression… Donc, il y a une nuance à faire quand on parle de liberté d’expression…
Que reprochez-vous à la communauté juive ?
Elle est très capitaliste, réactionnaire et hypocrite. Nous ne représentons aucune force. Elle s’intéresse plus à la dernière Rolex ou à la dernière voiture de luxe…
Le Musée du judaïsme marocain lui-même est en train de s’effondrer, car les 5 000 juifs marocains ne sortent pas le moindre sou de leurs poches pour le maintenir en vie.
L’état marocain lui-même devrait penser à financer quelques projets culturels pour sauver ce riche patrimoine. Mais ce n’est pas tout… Les casbahs aussi sont marginalisées.
Votre prochaine production ?
Une tournée nationale pour mes 50 ans de carrière musicale, de fusion et de jazz marocains. À Casablanca, cela aura lieu forcément au Théâtre Mohammed VI ou de Moulay Rachid. À Rabat, cela se déroulera peut-être au Théâtre Mohammed V. C’est le « mémorial de la baffe » dont je vous ai parlé, avec Take Five en 1962 !â—†