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Obama tente de récupérer l'électorat juif

Par Laure Mandeville

 

 

Accusé de trop faire pression sur Israël, le président courtise une communauté qui compte pour l'élection présidentielle.

Dans son magasin de l'avenue M, dans le quartier de Midwood à Brooklyn, Sonia Bibi épluche ses livres de comptes, assise au milieu de centaines de lustres de cristal étincelants. Mais cette quinquagénaire s'interrompt volontiers quand elle entend le nom d'Obama. Un voile de colère passe dans ses yeux noirs. «Lui, on ne l'aime pas, il est contre Israël», lance-t-elle d'un ton définitif.

Si on lui demande pourquoi elle pense ainsi, alors que le président américain vient de prononcer une vibrante défense d'Israël devant l'Assemblée générale des Nations unies, promettant d'opposer son veto au Conseil de sécurité à toute tentative de reconnaissance unilatérale d'un État palestinien, Sonia répond que «ce n'est pas suffisant pour qu'on puisse lui faire confiance». «C'est un musulman, ou en tout cas, il est avec eux. Il a beaucoup trop fait pression sur le premier ministre Nétanyahou», assène-t-elle.

Lorsqu'on lui dit qu'Obama est chrétien, Sonia hésite, avant d'appeler son mari à la rescousse. «Non, il n'est pas musulman, mais il a grandi dans cette culture-là», corrige ce dernier, apparemment ignorant de l'enfance du président, passée - hormis quatre années en Indonésie - à Hawaï auprès de ses grands parents maternels blancs, sans contact avec ses racines kényanes.

Inconditionnels d'Israël

Légèrement moins remonté que sa femme, Elliott Bibi reconnaît que le discours de l'ONU d'Obama a quelque peu apaisé les susceptibilités de la communauté juive américaine. Mais lui non plus n'est pas «certain que ce geste suffise». Une récente élection parlementaire dans le 9e district de New York - un vivier multiculturel abritant une importante minorité juive qui porte volontiers la kippa, voire l'habit traditionnel des Loubavitch - a révélé l'ampleur du fossé qui s'est insidieusement creusé entre Obama et un électorat qui avait voté pour lui à 78 % en 2008. Le candidat démocrate David Weprin, qui se présentait dans cette circonscription acquise au parti d'Obama (en remplacement du représentant Anthony Weiner, réélu sept fois mais écarté pour s'être exhibé en slip sur Internet), a été largement battu par son adversaire républicain Bob Turner. «Tous mes amis démocrates avaient voté Obama et, cette fois, ils l'ont boudé. Israël doit être plus soutenue, c'est la seule démocratie du Moyen-Orient et les Arabes doivent reconnaître son droit à exister s'ils veulent une négociation», explique Elliott Bibi qui, lui, a toujours été conservateur.

Dans l'avenue M, artère à la fois animée et tranquille où s'alignent des poissonneries kasher et des boulangeries d'où s'échappent d'appétissantes odeurs de pain au sésame, les passants interrogés martèlent le même message de méfiance. Un récent sondage de l'institut Gallup, réalisé, il est vrai, avant le discours de l'ONU, signale d'ailleurs une baisse de 28 % de la cote de popularité présidentielle, tombée de 83 % à 55 % depuis 2008. «Il est clair que de larges pans de l'électorat juif ne sont pas contents de la politique d'Obama, qu'ils jugent anti-israélienne, même si ce n'est pas vrai», commente Aaron Miller, expert au Woodrow Wilson Center. Globalement libéraux dans leurs choix de politique intérieure et de société, les Juifs américains sont souvent des inconditionnels d'Israël et semblent ne pas avoir prisé le bras de fer tenté par Obama au début de son mandat, pour forcer la main de Nétanyahou sur le gel de la colonisation dans les Territoires occupés.

Beaucoup d'observateurs, comme le journal Politico, continuent de penser que la «migration» du vote juif ne sera pas massive, malgré les efforts appuyés des candidats républicains pour le séduire. Mais l'enjeu semble tellement préoccuper la Maison-Blanche que, non contente d'avoir endossé sans réserve le parti d'Israël à l'ONU, elle a nommé l'ancien président du Conseil démocratique juif, Ira Forman, à un poste de directeur de campagne, afin de ramener cette communauté au bercail. «Voici venir le temps où la politique étrangère cède le pas à la politique intérieure. Palestine dehors. Électeurs juifs dedans», a commenté le journal israélien Yedioth Ahronoth.

Mise en garde

Les Juifs représentent à peine 2 % de la population américaine, mais l'enjeu pourrait être crucial en Floride (5 %) et en Pennsylvanie (4 %), deux États traditionnellement très disputés. Surtout, la Maison-Blanche redoute les défections des puissants donateurs juifs, qui avaient tant fait financièrement pour sa première campagne. «Beaucoup de Juifs qui avaient donné des tonnes d'argent sont très peu enthousiastes pour le refaire», a confié sans ambages un leveur de fonds d'Obama au journal New York. Le magazine new-yorkais, qui a fait sa une la semaine dernière sur la tête d'Obama vue de dos et coiffée d'une kippa qui laisse voir ses oreilles décollées très reconnaissables, juge cette désaffection injustifiée. «Barack Obama est le meilleur ami d'Israël», note-t-il, titrant même, de manière un peu provocante, sur «le premier président juif» d'Amérique.

Tout le reportage de l'auteur John Heileman vise à montrer que, loin d'avoir maltraité les Juifs, Obama les défend bec et ongles, même s'il n'épouse pas la définition du Likoud et de Nétanyahou quant à l'intérêt national d'Israël. Dans son quartier de Midwood, Bruce Katz, un vieux monsieur qui est en train de ramener chez lui des rames de papiers posées sur une petite poussette, reste circonspect : «Nous lui avons envoyé un signal pour le mettre en garde. Voyons s'il saura l'entendre.»

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