La libération de Gilad Shalit ressuscite le Hamas
Selon le politologue Denis Charbit, le groupe islamiste effectue avec cet accord son grand retour sur la scène politique palestinienne.
Après cinq ans de captivité, un accord a enfin été trouvé entre le Hamas et Israël pour la libération du soldat franco-israélien Gilad Shalit. Celui-ci devrait prochainement être remis aux autorités israéliennes, en échange de 1 027 prisonniers palestiniens retenus dans l'État hébreu. Professeur en sciences politiques à l'université ouverte d'Israël, le politologue Denis Charbit explique au Point.fr comment cette libération a pu être négociée et pourquoi elle consacre le Hamas au détriment du Fatah.
Le Point.fr : Un soldat israélien échangé contre 1 027 Palestiniens ? Ne trouvez-vous pas cela déséquilibré ?
Denis Charbit : C'est vrai. Jamais un tel nombre n'avait été atteint. Il faut dire qu'il existe beaucoup de prisonniers palestiniens (5 300, NDLR), alors qu'après la libération du soldat Shalit, il n'y aura plus aucun Israélien dans les geôles palestiniennes. Mais l'opinion publique était d'accord. Il existe au sein de la population israélienne un contrat moral pour que tout soit mis en oeuvre pour la libération des soldats enlevés. Cela inclut les opérations militaires ou les échanges de prisonniers.
Pourquoi ces négociations ont-elles duré cinq ans ?
On a été proches d'un accord à deux ou trois reprises. Mais le gouvernement israélien a voté contre, car il jugeait qu'il risquait à l'époque trop gros. Côté israélien, deux obstacles se sont toujours heurtés à un accord. Tout d'abord, des désaccords sur certains "terroristes historiques" auteurs de graves attentats, et qui faisaient partie des demandes d'échange. D'autre part, l'État hébreu exigeait que ces terroristes soient renvoyés à Gaza, voire expulsés à l'étranger, peu importe s'ils étaient originaires de Cisjordanie. La raison est que la Cisjordanie est considérée comme calme avec une coopération entre l'armée israélienne et la police palestinienne. Israël ne souhaite pas qu'elle soit déstabilisée par d'ex-terroristes à la retraite. Mais en annonçant mardi, sur les 1 027 libérations prévues, de laisser rentrer dans leur région d'origine 819 Palestiniens, Tel Aviv semble avoir reculé.
À quoi peut-on attribuer le revirement de Netanyahou ?
Idéologiquement, l'ensemble de la droite israélienne s'oppose à toute résolution de ce genre. Car elle implique l'idée de négocier avec le Hamas, de récompenser les terroristes, et donc de risquer que de nouveaux soldats soient enlevés. Mais le Premier ministre israélien et l'ensemble de la population restent hantés par le souvenir de Ron Arad, ce pilote d'avion tombé entre les mains du Hezbollah dans les années 90. Les négociations avaient tellement traîné qu'il est décédé en détention. Sans doute Netanyahou ne voulait-il pas que se reproduise un nouveau drame, que l'opinion israélienne ne lui aurait pas pardonné. Cette libération sera le point positif de son bilan de mandat avant les élections législatives d'octobre 2013.
Quel a été le rôle de l'Égypte dans cet accord ?
Le Caire a joué le rôle de médiateur dans cette affaire, qui confirme son rôle régional. Compte tenu des évolutions dans ce pays, il était important pour Israël de réchauffer sa coopération avec l'Égypte. Mais les Israéliens ont notamment profité du fait que le Hamas n'a jamais été aussi faible sur le plan diplomatique, avec son principal soutien, la Syrie, qui vacille. On n'a jamais douté à Tel Aviv qu'un accord autour de Gilad Shalit affaiblirait le Fatah et renforcerait le Hamas. Il n'est pas exclu qu'au moment où l'Autorité palestinienne demande son État à l'ONU et tente d'isoler Israël, il y ait eu une sorte de calcul visant à envoyer une "bombe politique" qui ressuscite le Hamas au moment où il est mal en point.
Le Hamas est-il le véritable vainqueur de cet échange ?
Le Hamas va pouvoir récolter au sein de l'opinion publique palestinienne les points perdus ces dernières années, en jouant sur le fait que le Fatah n'a jamais réussi à faire libérer de prisonniers. Clairement, après des mois d'impopularité, accentuée par le discours onusien de Mahmoud Abbas, qui a grandi le Fatah auprès de la population palestinienne, le Hamas obtient enfin une victoire, importante pour lui avant la tenue de prochaines élections législatives, prévues pour l'instant en décembre.
Cette victoire peut-elle favoriser le processus de réconciliation entre les deux partis palestiniens ?
C'est vrai que Fatah et Hamas ont conclu un accord en mai. Mais je pense que ce qui s'est passé mardi ne peut que stimuler leur concurrence. Avec ce nouvel accord passé avec Israël, le Hamas reprend l'avantage.