Maroc : que signifie la victoire des islamistes modérés ?
LE PLUS. Avec 107 sièges sur 395, le Parti justice et développement (PJD) a remporté les élections législatives du 25 novembre. Conséquence : le prochain chef de gouvernement proviendra de cette formation. Abdelmalek Alaoui, analyste politique, décrypte les résultats et répond aux craintes de ceux qui analysent cette victoire comme celle de l'intégrisme.
Moins de quarante-huit heures après la victoire électorale des islamistes modérés du Parti justice et du développement au Maroc, et à la veille d’une nomination plus que probable d’un Premier ministre choisi en son sein par le roi Mohammed VI, quelle lecture donner à cette alternance politique .
Pour beaucoup de Marocains qui ont porté leurs suffrages sur le PJD lors du vote de vendredi, il semblerait que le référentiel islamiste n’ait pas été déterminant, mais que le principal objectif poursuivi par le corps électoral était de porter à la tête du gouvernement un exécutif qui serait en situation d’améliorer la gouvernance publique et de lutter contre la corruption. Sans surprise, ces deux thèmes ont été les principaux chevaux de bataille de la campagne menée par les islamistes. Cette stratégie s’est avérée – a posteriori – en concordance parfaite avec les attentes de l’électorat.
En ce sens, l’abandon par le PJD de thèmes moraux – la consommation d’alcool par les musulmans ou les questions de genre en sont les plus emblématiques et les plus controversés –, pour s’inscrire dans une logique d’offre politique "généraliste", a contribué au processus de normalisation du parti islamiste, et a éloigné le spectre de l’instauration possible d’un rigorisme religieux, redouté par certaines franges progressistes.
Le leader du PJD, Abdelilah Benkirane, a d’ailleurs pris soin, lors de l’un de ses passages télévisés récents, de souligner que, "bien que les questions relatives à l’interdiction de la consommation d’alcool ont fait partie à l’origine de notre calendrier politique, tel n’est plus le cas, car ce qui nous intéresse, c’est de nous consacrer à l’amélioration de la santé, du logement et à la lutte contre la corruption".
Ce message d'"aggiornamento doctrinal" empreint de realpolitik, a immédiatement été renforcé dès le lendemain des élections par un geste politique très fort sur le plan inter-religieux lors de la rencontre – fortuite ou organisée – entre Benkirane et le président de la communauté juive du Maroc.
Ainsi, si la victoire du PJD s'est effectivement vérifiée, alors que certains indicateurs laissaient à penser que la coalition de centre-droit du G8 était en position de l’emporter, les jugements alarmistes émis par certains doivent être nuancés :
- Cette victoire, bien que nette, reste, d'abord, relative et en tout cas ne confère pas au PJD de majorité parlementaire lui permettant seul de s’imposer.
- Ensuite – et cela rapproche la transition marocaine des meilleures références transitionnelles espagnole ou même sud-africaine – la nomination d'un Premier ministre issu du PJD ainsi que la nécessaire coopération – déjà annoncée – avec d'autres formations participent pleinement de l’intégration du PJD dans le jeu politique et parlementaire, et s’inscrit donc dans un processus de responsabilisation et de recherche du compromis.
- Et enfin, et cet argument s'est imposé comme incontournable durant toute la journée de vendredi dans les bureaux de vote, le PJD par son implication et par la construction de son action participe paradoxalement à la construction démocratique. Renouvelant une crédibilité partisane bien mal en point pour les autres formations, et notamment chez les nombreux électeurs sortant des bidonvilles pour remplir leur devoir électoral, le PJD a inauguré un nouveau rapport aux partis politiques.
Présente dans la grande majorité des bureaux de vote et souvent représentée par des jeunes électeurs (garçons et filles), cette formation – par ses préoccupations sociales et son discours anti corruption – a montré la voie de la reconquête politique d'un corps social en quête de repères.
Reste désormais à examiner la traduction de ce savoir-faire à l’aune de l’arrivée du PJD aux affaires. Indéniablement à l’aise dans son rôle traditionnel d’opposant, le parti islamiste devra découvrir les mille et une subtilités et arbitrages nécessaires à l’exercice quotidien du pouvoir exécutif. Pour ce faire, il dispose d’un atout de taille : l’expérience de son allié, le parti de l’Istiqlal, qui a participé à tous les gouvernements depuis près de quinze ans.
Par Abdelmalek Alaoui Analyste politique
Edité par Daphnée Leportois Auteur parrainé par Céline Lussato