Valéry Zeitoun: portrait d'un enfant terrible de l'industrie du disque
Fêtard magnifique et grande gueule notoire, le producteur Valéry Zeitoun a été débarqué d’Universal le mois dernier. Etait-il devenu trop flamboyant pour un milieu de plus en plus aseptisé ou avait-il simplement perdu la main ?
"Vous m'appelez pour quoi ? Pour la nécrologie, c'est ça ? Les gars, vous savez, je suis pas encore mort !" Un communiqué vient tout juste d'annoncer son licenciement d'AZ, la filiale d'Universal qu'il dirigeait depuis 2002, mais Valéry Zeitoun se marre, chambre, comme si de rien n'était. Il a toujours fonctionné ainsi. Il a toujours parlé fort, vite, haut, séduisant beaucoup de ses interlocuteurs, en repoussant aussi de très nombreux. Après plus de vingt ans dans l'industrie, Valéry Zeitoun y a certainement autant d'amis que d'ennemis, mais tous s'accordent au moins sur un point : sa sortie d'Universal lui ressemble car elle ne fut pas discrète.
Sur le papier, l'affaire - la petite affaire - s'est jouée le 20 octobre dans un club huppé de Saint-Germain-des-Prés. Ce soir-là, Valéry Zeitoun est au Montana avec son pote Frédéric Beigbeder, un très proche, parrain du dernier de ses quatre enfants. Des connaissances vont et viennent. Izia, la star montante d'AZ, s'arrête et prend un verre. Quelques minutes plus tard, Bono débarque. De passage à Paris, le chanteur de U2, représenté en France par AZ, veut voir son copain Valéry, il commande une Budweiser. Zeitoun est chez lui, dans son QG, dans son élément. La soirée est belle.
A une table voisine, s'installe une équipe de Mercury, un autre label d'Universal, concurrent direct d'AZ. Les clans se toisent. En raccompagnant Bono vers sa voiture, Zeitoun tombe sur un membre de la partie adverse. Un brin fanfaron, il lui présente le chanteur irlandais. Bono parti, il y revient, taquine encore. Le ton monte et Olivier Nusse, patron de Mercury, vient s'en mêler. Discret, bosseur, il n'a jamais pu encadrer la star d'AZ, qui le lui rend bien. D'une violente ruade, Nusse, ancien rugbyman, passablement éméché, finit par envoyer valdinguer Zeitoun. Le boss d'AZ est à terre, les quatre fers en l'air. Une semaine plus tard, Universal annonce son départ du groupe par communiqué. Le lien entre les deux événements ? Ténu.
"Ce truc-là c'est un détail, dit Zeitoun. Nusse n'a aucun rôle dans mon histoire. Je négociais mon départ depuis un moment."
Au vrai, la séparation avait été actée trois semaines plus tôt lors d'un dîner chez Pascal Nègre, le patron d'Universal. Ce soir-là, en tête à tête, Nègre, le pote de vingt ans, le témoin de mariage, a annoncé à Zeitoun qu'il lui enlevait la direction d'AZ et que l'attendait un poste de directeur de l'image chez Universal. Un placard, évidemment, Zeitoun l'a bien compris. Entre eux, l'histoire - la grande histoire - était terminée.
Elle avait commencé à Cannes en 1989. Lors d'un repas organisé pendant le Midem, Valéry Zeitoun, 23 ans, remarque Pascal Nègre installé à une table voisine. Nègre porte une veste à carreaux, des santiags, il a de la verve, de l'énergie. A 28 ans, il est déjà le patron de la promo du label CBS. De retour à Paris, Zeitoun lui écrit une lettre et décroche un rendez-vous. Dans le bureau de Nègre, autour d'une bouteille de Chivas, il se raconte : mère goy, père juif tunisien, vendeur de cuisines puis importateur d'électroménager. Zeitoun a raté son bac deux fois mais il a animé des émissions sur Skyrock, a été coursier à La Défense, vendeur d'espaces publicitaires pour les Pages jaunes, puis s'est retrouvé, au culot et complètement par hasard, attaché de presse de Cerrone. A défaut d'être bluffé, Nègre est amusé. Il lui trouve un poste de grouillot chez CBS.
Zeitoun est chargé d'apporter les cafés et d'enregistrer les passages télé des artistes maison. Il travaille dixhuit heures par jour, monte en grade, devient bientôt attaché de presse. Quand Nègre part chez Barclay, en 1991, il le suit.
Chez Barclay, Zeitoun réussit ses premiers coups. Il danse sur le bureau du programmateur musical de M6 et décroche une place en rotation pour un clip d'Harry Connick Jr. En pleine montée du FN, il parvient à faire jouer Khaled deux dimanches de suite chez Jacques Martin. Zeitoun est très bon parce qu'il n'a peur de rien. Un jour, il tient tête à Bernard Lavilliers qui le teste, l'appelle "mon jouet". Une autre fois, il va rencontrer Lara Fabian aux Etats-Unis. Elle lui montre la pochette de son prochain album, qu'elle trouve magnifique. Il lui dit que c'est "pourri". Séduite par sa franchise, Fabian demande à ce qu'il soit désormais son seul interlocuteur. Pagny fera plus tard la même chose.
Pour moins que ça, d'autres se braquent. Zeitoun se trouve ses premiers ennemis. Dechavanne veut l'attraper parce qu'il a "mal parlé à son assistante". Nagui aussi le cherche, parce qu'il n'a pas eu de place en business lors d'un voyage de presse. C'est toujours comme ça avec Zeitoun. Il fascine ou rebute.
Chez AZ, bien plus tard, il aura ses fidèles, amusés par toutes ses extravagances. Quand il glisse un billet de 20 euros dans le soutien-gorge d'une collaboratrice pour qu'elle se paie une baby-sitter et vienne boire un coup avec la bande, ils rigolent. Quand il prend par le col et menace d'emplâtrer le manager de Scissor Sisters pour une sombre histoire de logistique, ils roulent des yeux. Ceux qui n'appartiennent pas à la bande regardent leurs pompes, affligés, parfois au bord de la crise de nerfs.
"Pour moi, Valéry est la définition parfaite du mot beauf", dit une ancienne salariée du label.
"Pas si simple, répond Nicolas Bedos, un copain. Derrière la première, la deuxième et la troisième couche de bling-bling, il y a un type sensible. Je me souviens qu'il avait été très ému par un compliment que je lui avais fait sur l'un de ses enfants. Je me souviens aussi de la fois où il nous avait enfermés dans sa voiture, sur un parking, en Normandie, pour nous faire écouter un morceau de Christophe. Une fois. Deux fois. On était fatigués, on voulait sortir. Mais il refusait. Il était très ému par le morceau."
Après deux ans de succès chez Barclay, Zeitoun s'en va chez Mercury puis passe bientôt chez Polydor. Dans le sillage de Nègre, lancé vers le sommet d'Universal, l'attaché de presse prend de l'ampleur tout au long des années 90, se rapprochant progressivement de l'artistique. Un personnage se construit. Zeitoun a toujours été un fêtard. Au lycée, déjà, dans l'appart qu'il occupait seul à Montparnasse, il y avait toujours du monde, de la musique. Mais là, le rythme est particulièrement intense.
Zeitoun sort tous les jours, pour le plaisir ou les affaires. Il étend son réseau, devient pote avec Marc Lavoine, Michel Denisot ou Régine. Il mélange les genres, les gens. Ce sera toujours l'une de ses forces. Aujourd'hui, il est aussi proche de Bruce Toussaint que de Jean-Roch ou de Jean-Pierre Bernès, l'agent numéro un du football français. Il sait y faire, il est charmeur, sincère et jamais avare d'un SMS gentil.
A l'époque, son QG se trouve aux Bains Douches. Un soir, devant la porte, coincée dans la foule, une nana l'interpelle : "Valéry, tu te souviens de moi ? Tu sais, quand tu étais coursier, on bossait ensemble." Valery resitue très bien la fille. A l'époque, elle avait grossièrement repoussé ses avances, préférant celles d'un tocard en Mercedes. Elle minaude, demande un coup de main pour rentrer. Sapé comme un milord, Zeitoun savoure l'instant. "Désolé, je ne peux rien pour toi." De toute façon, à l'intérieur, au niveau restaurant, il y a Sandra, la chef de rang. Elle l'a aidé à se remettre de sa séparation d'avec sa première femme, Muriel Cousin. Il est de nouveau amoureux. Tout lui sourit et ce n'est pas fini. A l'été 2001, Pascal Nègre appelle son pote en vacances aux Etats-Unis et lui fait la proposition du siècle. S'il accepte d'être jury dans l'émission Popstars, que lance M6, il aura son label. Son label à lui.
"A cette époque, se souvient un cadre du groupe, Nègre était obsédé par l'idée qu'Universal soit visible dans les médias. Comme il n'avait ni la vocation ni le temps pour le faire, il a cherché quelqu'un de doué pour la télé. Il a misé sur Valéry. Tout le monde n'était pas convaincu mais lui y croyait vraiment."
Dans Popstars, Zeitoun lui donne raison, avec panache. Hâbleur, séducteur, il écrase l'émission et l'une de ses saillies, "Me raconte pas ta life, man !", s'impose dans le phrasé ordinaire jusqu'à devenir le thème de sonneries téléphoniques. Zeitoun fait mieux encore. Dans la médiocrité ambiante, il repère Chimène Badi, sa toute première signature pour AZ. L'un de ses plus gros coups avec Grand Corps Malade, repéré en 2006.
A la tête d'AZ, Zeitoun refuse qu'on dise qu'il est "un patron de label". Il se veut "producteur à l'ancienne" et accepte volontiers les comparaisons avec Eddie Barclay. Lui aussi a ses fêtes, les fêtes AZ, "les fêtes à Valéry", dit-on. Elles coûtent cher, près de 50 000 euros, mais, une fois par an, elles lui permettent, à lui et au label, de briller. Celle du 28 juin 2007 à Bobino est la plus belle de toutes. Ce soir-là, Amy Winehouse, magnifique, offre l'un des plus beaux concerts de sa carrière. Entouré de ses amis du show-biz, abreuvé de champagne, Valéry jubile. A la fin du set, il emmène Pascal Nègre voir sa protégée backstage. Le patron d'Universal se présente, n'en finit plus d'énumérer ses titres de gloire.
Amy le coupe : "Hey, mec, tu pourrais pas juste me trouver de la drogue ?" Zeitoun se marre. "C'est pour ça que je l'aimais, dit-il. Elle était naturelle, authentique."
Le patron d'AZ oublie juste un détail, qui a son importance. A l'origine, il ne voulait pas d'Amy Winehouse. Quand ses employés en charge de l'international, enthousiastes, sont venus lui faire écouter l'album Back to Black, il les a envoyés balader. "Elle va nous planter la promo, ce n'est pas la peine", a-t-il lancé. Ils ont insisté, plusieurs fois. Il s'est énervé, n'a rien voulu entendre pendant des semaines. C'est finalement l'intervention express de Pascal Nègre qui permettra au disque de sortir en France.
Pour Nègre, Zeitoun avait perdu la main depuis plus d'un an. Il le lui avait déjà dit, à plusieurs reprises. Il lui reprochait de trop sortir, d'arriver trop tard et trop fatigué. Il lui reprochait aussi de ne pas traiter ses artistes les plus vendeurs avec assez d'égards, raison pour laquelle Gérald de Palmas et Michel Sardou avaient quitté le label. "J'ai l'impression que c'est lui la star, pas moi", avait lâché le chanteur de droite en claquant la porte. Ces dernières années, outre Popstars, Zeitoun a eu sa propre émission de poker sur Canal Jimmy. Il a aussi tourné dans quatre films et a même raconté sa life sur un blog.
Pour Nègre, une telle exposition était envisageable tant que les succès s'enchaînaient. Mais ce n'était plus le cas. L'album de Christophe, qui avait coûté près de 500 000 euros, s'était mal vendu. L'opération de casting "Je veux signer chez AZ" n'avait pas eu le résultat escompté. Pendant que Mercury allait de carton en carton grâce à Ben l'Oncle Soul, Nolwenn Leroy ou Thomas Dutronc, AZ ne faisait plus rentrer d'argent. Valéry le savait et en souffrait. A un ami proche, il a confié avoir l'impression de ne plus savoir "la mettre au fond".
"Oui, les deux dernières années ont été difficiles, concède-t-il, mais combien y a-t-il eu de bonnes années avant ? Dix-huit. Dix-huit bonnes années contre deux mauvaises. Et on me vire..."
A une autre époque, Zeitoun aurait sans doute disposé de plus de temps pour se refaire. Dans le contexte actuel, alors qu'Universal était en train de racheter EMI, le couperet est tombé. "Depuis qu'il est au board d'Universal, Nègre a besoin de montrer qu'il tient les rênes, dit un salarié d'AZ. Ça ne valait pas le coup de s'emmerder avec Valéry, un petit Français, à la tête d'un label que les Américains ont toujours eu du mal à comprendre car il n'existe pas chez eux." "Parce que les disques se vendent moins, on aseptise le show business, on remplace les personnalités par des types ternes, lisses", s'attriste Frédéric Beigbeder.
Mais Val Pacino, comme le surnomme l'écrivain, a promis de revenir. Il a déjà reçu une demi-douzaine de propositions de jobs et travaille activement à l'écriture d'un scénario de film sur la nuit. "Je ne suis pas encore mort", nous avait-il dit avant toute chose au téléphone.
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