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L'artisanat juif de la vallée du Drâa tombe dans l'oubli

 

 

À Amzrou, dans le Sud marocain, une boutique propose des objets d'art fabriqués par des artisans juifs il y a plus d'un demi-siècle.

 

Dans une pièce sombre, faiblement éclairée par un puits de lumière, des hommes, assis à même le sol, fondent de l'argent et le versent dans des moules en argile. Sur sa carte de visite bariolée, Douini Barzouk, patron de la boutique, indique "fabrication de bijoux" et "anciens objets d'art". De quoi s'agit-il ? Il nous entraîne, à travers les ruelles couvertes d'Amzrou, dans le Sud marocain, à l'intérieur d'un immense entrepôt, contenant un invraisemblable bric-à-brac. D'imposantes portes sculptées, des vases, et, dans un coin, un plateau en bois, orné d'un chandelier à sept branches et d'une étoile de David à six branches.

"Il y avait des artisans juifs ici. Ils sont partis en Israël, il y a très longtemps", évoque Douini Barzouk. "Des Arabes travaillaient avec les juifs. Ils ont perpétué la tradition", ajoute-t-il, estimant le départ des dernières familles juives autour de 1962-1963. Notre accompagnateur, originaire de la région, estime que les juifs ont plutôt quitté la vallée du Drâa après 1956, date de l'indépendance du Maroc. Agnès Bensimon, dans Hassan II et les juifs. Histoire d'une émigration secrète, écrit qu'après l'indépendance "de Ouarzazate, à Mhamid, le long de l'oued Drâa, de Ouarzazate à Ksar-es-Souk, de là vers Taouz par l'oued Ziz et à l'est de Ksar-es-Souk jusqu'à Figuig, à la frontière algérienne, ils [les juifs] sont un peu plus d'une dizaine de milliers, essaimés sur l'espace immense et ingrat du Grand Sud marocain" (*). Bonne entente avec les musulmans

Bonne entente avec les musulmans

Amzrou est une petite bourgade assoupie, jouxtant la ville de Zagora, siège du gouvernorat, au coeur de la vallée du Drâa, dans le Sud marocain. Notre accompagnateur nous conduit ensuite jusqu'à la synagogue du quartier du Mellah. Nous sonnons chez un voisin pour obtenir la clé de la porte d'entrée de la synagogue. La pièce est vide, mais les murs en pisé sont bien entretenus. Quelques touristes viennent la visiter. Les habitants d'Amzrou mettent parfois un peu de réticence à évoquer cette importante communauté juive qui vivait en bonne entente avec les musulmans. Mais, ensuite, ils en parlent sans aucune animosité.

La présence juive au Maroc est attestée dès le IIe siècle avant Jésus-Christ. "À l'époque de l'expansion phénicienne, des colons issus des tribus d'Israël s'établissent avec les fondateurs de Carthage sur les côtes de l'Afrique", raconte Agnès Bensimon. Cette communauté est renforcée au VIIe siècle par les juifs d'Espagne, fuyant les persécutions wisigothes. Beaucoup plus tard, entre 1391 et 1492, durant la Reconquista par les rois catholiques, les communautés juives de la péninsule ibérique (Espagne et Portugal) sont contraintes de s'exiler au Maroc.

Le pays, devenu un protectorat français, comptait 204 000 juifs, selon le recensement de 1947, soit 2,3 % de la population marocaine. L'indépendance, en 1956, intervient sans bain de sang. Un juif, le docteur Léon Benzaquen, médecin et ami personnel du roi Mohammed V, devient ministre des Postes dans le premier gouvernement marocain. Mais aujourd'hui la communauté juive compte moins de 7 000 membres, concentrés dans les grandes villes, Casablanca, Rabat. En revanche, la vallée du Drâa, après deux millénaires de présence interrompue, oublie peu à peu ses bijoutiers juifs.

Par Ian Hamel, de notre envoyé spécial d'Amzrou (Maroc)

    (*) Le Seuil, L'histoire immédiate, 1991.

 

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