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Israël, terre promise des immigrés africains

Israël devient une destination privilégiée d'Africains en quête d'une vie meilleure et qui n'hésitent pas à risquer leur vie en traversant le désert du Sinaï.

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou annonçait le 11 décembre la construction d’un nouveau rempart, non pas contre les roquettes palestiniennes, mais contre les immigrés clandestins venus d’Afrique subsaharienne.Selon la police locale, chaque mois, près de 1.000 migrants africains passeraient clandestinement la frontière israélienne avec l’Egypte, longue de 250 kilomètres.

Cette illégalité rend le trajet entre le continent africain et Israël, de plus en plus dangereux, et les conditions de cette traversée clandestine font écho à la traite illégale des esclaves, qui persista en Afrique orientale jusqu’à l’extrême fin du XIXe siècle.

Ils s’appellent Onill, Merhawi, Bakary et Mariam, et comme des milliers d’autres Africains, ils veulent quitter le continent. Leurs motivations sont diverses: l’une souhaite améliorer son niveau de vie, un autre veut fuir les exactions commises dans la région du Darfour, un autre encore veut se soustraire au service militaire. Israël est à leurs yeux le premier pays riche accessible par voies terrestres. Mais la traversée vers cet Eldorado peut vite tourner au cauchemar.

Le passage dans la clandestinité

Le Caire est le point de rencontre de différentes trajectoires personnelles prenant leur origine au sud du Sahara. La capitale égyptienne est une première oasis dans la traversée de ces migrants. Pour certains Africains plus démunis, l’arrivée est saisissante: jolis bars, marchés abondants, touristes, pyramides, boutiques de luxe, derniers modèles automobiles. Sous ses airs de grande ville moderne, Le Caire fascine et laisse croire au changement possible.

Grâce aux réseaux tissés par leurs compatriotes sur place, les migrants en transit sont orientés en vue de leur prochain départ.

«J’ai été accueillie sur place par un Guinéen, dont on m’avait donné le numéro de téléphone. Je me sentais vraiment en sécurité», explique Mariam.

Dès le lendemain de son arrivée, l’étudiante ivoirienne de 24 ans, s’est retrouvée dans la maison d’un Égyptien avec une vingtaine d’autres Africains.

«On nous a pris nos papiers et on nous a dit de prendre le moins de bagages possible», ajoute-t-elle.

Le passage dans la clandestinité entraîne un changement de statut. Dès lors, les migrants se voient privés de leur citoyenneté, et de toute identité sociale, et sont ainsi confiés à des intermédiaires égyptiens en vue de traverser le désert du Sinaï. On leur fait miroiter un voyage sans risques majeurs, et effectué confortablement en voiture. Mais la réalité est tout autre, comme en témoigne Mariam: le trajet vers Israël s’effectue toujours de nuit et dans un camion de marchandises.

«On nous a largués quelque part en route, dans une maison abandonnée», ajoute-t-elle.

Un lieu où ils se sont faits dépouiller de leurs derniers biens. Mariam a, quant à elle, réussi à cacher ses liquidités dans sa culotte.

Pendant trois jours, ils sont restés sur place et ont dormi à même le sol. Mariam a alors commencé à regretter son départ.

«Une nuit, à 2 heures du matin, on est de nouveau venu nous chercher. On nous a mis dans des sacs de marchandises refermés avec seulement quelques trous d’aération pour respirer. Par-dessus nos corps entassés, il y avait des marchandises pour mieux nous camoufler».

Ils ont été transportés ainsi dans plusieurs relais clandestins, tels, jadis, les captifs dans des points de baraquements, en attente de leur prochaine déportation vers une destination inconnue.

Dans le désert du Sinaï, esseulés, à la merci de passeurs parfois peu scrupuleux, ces migrants n’ont aucune prise sur le temps de leur trajet. Celui-ci s’apparente au «middle passage», ou «traversée du milieu», épisode durant lequel les captifs déportés étaient maintenus dans un état de violence exacerbée.

Une expérience traumatique

Les conditions de la traversée du Sinaï sont inhumaines.

«J’ai attrapé la gale, j’avais faim et la bouche sèche, j’avais trop peur de m’endormir», confie encore Mariam, le regard vide.

Des silences suspendent son récit. Surgissent alors des mots pénibles; «captifs», «déportés», «camps», « marchandises», «bétails»… Ces mots, elle les dit avec force. Une fois lâchés, sa voix tremble, elle sait qu’elle a échappé au pire.

D’autres femmes dans la même situation que Mariam ont été retenues en captivité et violées, l’exploitation sexuelle étant, rappelons-le, une forme d’asservissement. Certaines d’entre elles ont même accouché dans le désert; d’autres encore y ont survécu mais risquent la condamnation sociale ou la mise à mort si elles rentrent chez elles. Mariam est une miraculée et elle en est consciente:

«J’ai été quand même mieux traitée par rapport à d’autres, parce que j’avais payé le prix fort et mon passeur a veillé sur moi jusqu’au bout».

Certes, aujourd’hui, les migrants africains s’engagent volontairement dans la traversée clandestine du désert du Sinaï, qui leur coûte de surcroît des sommes faramineuses, variant entre 600 et 20.000 dollars (entre 458 et 15.300 euros).

En cas d’arrestation et de rapatriement, les candidats à l’exil sont susceptibles de perdre tout l’argent investi. Lesdites arrestations sont souvent musclées. Amnesty International publie régulièrement des rapports faisant état d’interrogatoires musclés, de jugements hâtifs rendus dans des tribunaux militaires égyptiens, conduisant à des peines de prison au motif de «tentative de passer illégalement la frontière orientale de l’Égypte».Une centaine de ces «infiltrés» auraient même trouvé la mort sous les tirs de l’armée égyptienne, qui se défend en parlant «d’accidents».

Lors de son trajet, Bakary, un autre migrant, a vu de nombreux cadavres d’Africains:

«Les Bédouins qui étaient avec mon groupe étaient armés et on a entendu des tirs sur notre chemin. Mon groupe s’est ensuite dispersé, explique ce Sénégalais de 38 ans.

«L’armée égyptienne tue dans le désert, ils ne veulent pas nous laisser passer. C’est vraiment très dangereux!» ajoute-t-il.

Actuellement, dans le désert du Sinaï, les clandestins sont exposés à une mort atroce. La chaîne américaine, CNN a fait part de terribles faits. Des centaines d’Africains portés disparus auraient subi des ablations d’organes.

Capturés dans le désert, les migrants malchanceux auraient l’ordre de s’acquitter de 20.000 dollars (15.300 euros) auprès de leurs ravisseurs, faute de quoi ils seraient «dépecés vivants». Les organes ayant une durée de vie de 6 à 8 heures, ils seraient donc immédiatement placés dans des «réfrigérateurs mobiles».

Le trafic d’organes exige un haut niveau d’organisation, l’articulation des réseaux est étendue et favorise la corruption des acteurs locaux. 25TV, une chaîne égyptienne, a récemment diffusé un documentaire dans lequel les Bédouins interrogés soupçonnent la police égyptienne, des hôpitaux ainsi que des médecins, d’être impliqués dans ce trafic.

Tandis que l’on estime de 10 à 30% le taux de mortalité chez les captifs autrefois déportés du continent africain, il paraît difficile de chiffrer avec exactitude le nombre de morts pendant la traversée clandestine du Sinaï, mais il est attesté que tous n’en sortent pas vivants. De même des ONG font état de plusieurs centaines de disparus alors que les autorités étrangères (essentiellement Soudan et Erythrée) parlent de plusieurs milliers d'individus dont on a perdu la trace.

Face aux barbelés

«Après une traversée de trois semaines, nous sommes restés quatre jours dans le sable avec des vêtements de couleur claire pour nous fondre dans le décor. Il nous fallait trouver une opportunité alors que nous n’étions plus qu’à 50 mètres des barbelés», raconte Mariam.

A quelques pas de la frontière, le Bédouin a quitté Mariam et ses compagnons de route en leur laissant une consigne: «Vos vies sont maintenant entre vos mains». Bakari a, quant à lui, passé la frontière seul, suivant les conseils de son passeur arabe:

«Tu dois traverser la frontière en marchant vers les lumières; si tu croises l’armée israélienne, agenouille-toi tout de suite et dis que tu demandes l’asile politique, les soldats t’emmèneront dans un lieu sûr et ne te reconduiront pas en Égypte».

Et c’est exactement ce qu’il lui est arrivé.

«Ils m’ont dit you’re welcome [soyez le bienvenu, ndlr]. J’étais soulagé car j’avais peur de retourner en Égypte».

Quelques jours plus tard, il a été conduit dans un centre de détention, où se décide le sort des migrants. A sa sortie, il a obtenu un permis de séjour auprès du Haut Commissariat des réfugiés (HCR) de Tel Aviv.

L’emprisonnement ou le retour forcé

«Nous ne sommes pas obligés de les recevoir», affirme le Premier ministre israélien Netanyahou.

Depuis 2007, la politique d’immigration s’est considérablement durcie pour venir à bout de cet afflux constant de réfugiés africains, les autorités menacent désormais de fermer toute entreprise employant des migrants clandestins.

Selon l’une des principales lois nationales en matière d’immigration, la loi de la Prévention de l’Infiltration, toute personne rentrant illégalement en Israël s’expose à un minimum de trois ans d’emprisonnement, et ceux qui leur viendraient en aide à une peine de cinq ans.

Largement invoquée pour intimider les demandeurs d’asile africains, son utilisation est de plus en plus controversée et vient d’être encore récemment discutée à la Knesset, le Parlement israélien, sous la pression de l’opinion publique.

Dans le même temps, Netanyahou défend la mise en place d’un camp de détention capable accueillir jusqu’à 5.000 personnes pour une période pouvant atteindre trois ans. Le Premier ministre israélien envisage même de se rendre sur le continent noir pour examiner les modalités de retour des immigrés clandestins.

Mariam a obtenu un permis de travail sans passer par la case prison. Comme elle, nombre d'Africains demandent une fois en Israël, le statut de réfugiés politiques, sans toutefois avoir la certitude de l’obtenir. Ils seront de plus en plus nombreux à êtres rapatriés de force dans leur pays d’origine. D’autres ne reviendront jamais du désert du Sinaï, morts anonymes d’un voyage sans retour.

Ekia Badou et Klara Boyer-Rossol

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