Ces révoltants européens
par Paul Krugman
Quand Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, parle des élections européennes et de la “cure d’austérité” il donne raison à Hollande et sa volonté de renégocier le pacte de stabilité….
(Traduction de l’éditorial du 6 mai 2012 dans le New York Times.)
Les français se révoltent. Les grecs aussi. Il était temps.
Les élections qui ont eu lieux dans ces pays dimanche étaient plus des referendums sur la stratégie économique actuelle de l’Union Européenne ; Et dans les deux pays, les électeurs l’ont massivement rejetée. Il n’est pas évident de savoir quand ces votes amèneront à un changement réel de politique, mais les jours de la stratégie de “redressement par l’austérité” sont clairement comptés, et c’est une bonne chose.
Il va sans dire que ce n’est pas ce que vous avez entendu dire par les commentateurs habituels pendant ces campagnes électorales. C’était même assez drôle de voir les apôtres de l’orthodoxie tenter de dépeindre le prudent et bien-élevé François Hollande comme une menace. Il est “assez dangereux” a déclaré The Economist, qui faisait remarquer qu’il (FH) “croit sincèrement à la nécessité de créer une société plus juste”. Quelle Horreur ! (ndr : en français dans le texte).
Ce qui est vrai c’est que la victoire de M. Hollande sonne le glas de « Merkozy », l’axe franco-allemand qui a fait appliquer la cure d’austérité de ces deux dernières années. Ce serait une évolution « dangereuse » si cette stratégie marchait. Mais elle ne marche pas ; il est temps d’avancer. Finalement, les électeurs européens sont plus avisés que les plus sages et brillantes élites du continent.
Qu’est-ce qui ne va pas dans la prescription des coupes budgétaires comme remède aux problèmes de l’Europe ? Une des réponses est que la fée de la confiance n’existe pas ; c’est à dire que l’affirmation que sabrer dans les dépenses va d’une manière ou d’une autre encourager les consommateurs et les entreprises à dépenser plus a été réfutée de façon éclatante par l’expérience de ces deux dernières années. En fait, couper dans les dépenses dans une économie déprimée ne fait que renforcer la dépression.
De plus, il ne paraît n’y avoir que des gains insignifiants, si même gains il y a, en compensation de l’effort. Voyer l’Irlande, le bon petit soldat de cette crise, imposant toujours plus d’austérité et de rigueur dans l’espoir de regagner les faveurs des marchés. Selon la théorie qui prévaut cela devrait marcher. En fait, la volonté de croire est si forte que des membres de l’élite politique européenne continue de proclamer que l’austérité a marché, que l’économie irlandaise a commencé à se redresser.
Mais ce n’est pas le cas. Et bien que vous n’en entendiez pas trop parler dans la presse, le taux d’emprunt de l’Irlande reste bien plus haut que celui de l’Espagne, de l’Italie, et ne parlons même pas de l’Allemagne. Alors quelles sont les alternatives ?
Une réponse –qui a plus de sens que quiconque en Europe ne veut bien admettre- serait de démanteler l’Euro. L’Europe ne serait pas dans cet état si la Grèce avait encore son drachme, l’Espagne sa peseta, l’Irlande son punt et ainsi de suite. Parce que la Grèce et l’Espagne auraient ce qui leur manquent aujourd’hui : un moyen rapide de restaurer la compétitivité des coûts et de doper les exportation : la dévaluation.
Comme contre-exemple à la triste histoire de l’Irlande, voyez l’Islande, qui fut l’épicentre de la crise financière mais qui a pu réagir en dévaluant sa monnaie, la krona, (et qui a aussi eu le courage de laisser ses banques faire faillite et ne pas honorer leurs dettes). Or l’Islande bénéficie du redressement que l’Irlande devait avoir, mais n’a pas.
En même temps, briser l’Euro serait extrêmement déstabilisant et serait une grosse défaite pour le « projet européen », l’effort de longue durée pour promouvoir la paix et la démocratie au travers de l’intégration européenne. Y a-t-il une autre alternative ? oui, il y en a une – et les allemands ont montrés comment elle pouvait marcher. Malheureusement, les allemands ne comprennent pas les leçons de leur propre expérience.
Parlez aux faiseurs d’opinion allemands de la crise de l’euro ; ils aiment faire remarquer que leur propre économie était dans un marasme au début de la décennie précédente mais qu’ils ont réussi à la redresser. Ce qu’ils n’aiment pas admettre c’est que le moteur de ce redressement a été l’émergence d’un énorme surplus commercial vis-à-vis des autres nations européennes -particulièrement celles qui sont maintenant en crise- qui étaient florissantes et connaissaient un inflation au dessus de la moyenne grâce à des taux d’intérêt très bas. Les pays européens en crise pourraient copier le succès de l’Allemagne si elles étaient dans un environnement aussi favorable – soit si les autres pays européens, et notamment l’Allemagne, connaissaient un peu d’inflation.
L’expérience allemande n’est pas, comme se l’imagine l’Allemagne, un argument pour l’austérité unilatérale en Europe du Sud ; c’est un argument pour des politiques expansionnistes et pour que la banque centrale européenne laisse tomber son obsession de l’inflation et se concentre sur la croissance.
Les allemands n’aiment évidemment pas cette conclusion, de même que la direction de la banque centrale. Ils vont s’accrocher à leurs fantasmes de prospérité par la douleur et réaffirmeront que continuer cette stratégie, qui a pourtant échouée, est la seule chose responsable à faire. Mais il semble qu’ils n’auront plus un soutien inconditionnel de l’Elysée. Et cela, croyez le ou pas, veut dire que l’euro et le projet européen ont de meilleures chances de survie qu’il y a encore quelques jours. »