Kamal Hachkar : « mon documentaire est un cri contre l’amnésie, un vaccin contre l’extrémisme »
Malgré la polémique qu’a suscitée son film documentaire «Tinghir – Jérusalem, les échos du Mellah», qui nous emmène à la croisée des cultures en suivant le destin de la communauté juive berbère ayant quitté le petit village de Tinghir entre les années 50 et 60. Kamal Hachkar envisage d’en préparer une deuxième partie. En vacances en Israël, Kamal Hachkar a répondu aux questions de Meteor.
« Les discours racistes à l’égard des Palestiniens et les discours de haine contre les juifs me font vomir. »
Michaela Benhaim : Votre film documentaire Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah a provoqué un tollé au Maroc. Quelles en sont les raisons d’après vous ?
Kamal Hachkar : Tout d’abord, le film a été diffusé en prime time sur 2M, la chaîne la plus importante au Maroc et ce fut un succès considérable en termes d’audience. Ensuite, j’ai reçu des milliers de messages soutenant le film. Dans l’ensemble le film a été très bien accueilli à la fois par le public et les journalistes. Ceci dit, effectivement, ce film a suscité un grand débat et tant mieux. Peu de jours après la diffusion du film, des panarabistes arabes ont demandé une enquête auprès du Premier Ministre car selon eux mon film faisait l’apologie du sionisme et encouragerait la normalisation avec Israël. Quelques mois plus tard, j’ai eu l’honneur que mon film soit attaqué pour les mêmes raisons par un député islamiste au sein du parlement marocain lors des questions au gouvernement. Au final, cela a fait une publicité extraordinaire pour le film car de nombreux journalistes ont rendu compte de cette polémique. Ces extrémistes veulent entretenir l’amnésie de notre histoire, on ne peut effacer la pluralité des identités marocaines. Au contraire, ces attaques ne font que m’encourager dans ma démarche d’exhumer ce passé et de développer les relations entre juifs et musulmans marocains.
M.B : Ce film relate l’exode massif des juifs marocains dans les années 50. Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Qu’est ce qui vous a poussé à faire ce film ?
K.H : Ce film est le fruit d’années de réflexion et de travail. A 16 ans, j’ignorais tout de cette histoire et c’est à cet âge que mes grands parents m’ont révélé l’existence de cette importante communauté. Le mot « juif » était pour moi associé à la Shoah que j’avais étudié à l’école. Et, tout d’un coup, j’apprenais l’existence d’un autre qui n’était plus et où les seules traces étaient ces maisons vides et ces tombes. Comment peut-on quitter sa terre ? Comment survit-on à l’arrachement de son univers social ? J’ai été très marqué par le livre du grand écrivain Edmond Amran El Maleh « Mille ans et un jours », qui se demandait comment une communauté aussi enracinée pouvait quitter sa terre en quelques jours. C’est une forme d’anthropologie du souvenir que j’ai voulu reconstituer et un cri contre l’amnésie. Je me suis plongé corps et âme dans les archives coloniales à Nantes, les photographies de l’époque de Elias Harrus et les récits des Anciens. De cette manière, par la figure de l’autre, je me suis approprié des fragments de mon identité marocaine et berbère. Etant moi même un exilé, je ressentais de l’empathie pour cette communauté. La seule différence, c’est que j’ai encore une maison où je peux retourner. En tous les cas, c’est un hymne au vivre ensemble, surtout en ces temps de replis communautaires. Il y avait pour moi, une nécessité vitale de faire ce film avant que les Anciens disparaissent. J’avais envie de rendre une dignité à ces femmes et hommes berbères juifs et musulmans. Ils sont porteurs d’une grande culture qu’il faut savoir défendre et mettre en valeur.
« Ces extrémistes veulent entretenir l’amnésie de notre histoire, on ne peut effacer la pluralité des identités marocaines. »
M.B : Vous avez été traité par de nombreux medias « de traitre à sa patrie et à tous les musulmans »Comment expliquez vous ces réactions pour le moins extrémistes ?
K.H : Ce sont quelques minoritaires. Je pense que ces réactions négatives prouvent que ce travail est important et qu’il fallait le faire. L’essentiel, c’est cette manière dont la jeunesse marocaine s’est réappropriée cette histoire. Ces personnes sont des révisionnistes. N’oublions pas que la dernière constitution marocaine reconnaît l’héritage juif dans l’identité marocaine. Notre force, c’est notre pluralité contre tous ceux qui veulent nous réduire à une identité unique. Alors, il faut se battre pour faire connaître ce patrimoine et c’est ce à quoi je m’attèle. C’est pour cela qu’il est urgent que les programmes scolaires prennent en compte cette histoire afin que les étudiants apprennent qu’au Maroc, c’était aussi le pays des juifs. On construit une génération d’ignorants et ces personnes sont plus facilement influençables par les extrémistes.
M.B : Vous avez également été accusé par les medias de « faire la propagande de l’occupant israélien dans les territoires palestiniens » Y a t-il dans votre film une prise de position politique et idéologique sur le conflit israélo-palestinien ?
K.H : Ce n’est pas un film sur le conflit mai plutôt mon regard subjectif de franco marocain sur ce passé. Bien entendu, filmer en Israël n’est pas anodin, je ne nie pas le problème. D’ailleurs, mes personnages parlent pour moi : Yacout à Yavnè a un des plus beaux discours qui a été fortement applaudi lors d’une projection à New York : elle dit que « la terre est à tout le monde et que juifs et musulmans doivent vivre ensemble ». Elle ajoute cette phrase magnifique « c’est haram de s’entretuer et de toutes les façons, la terre ne bougera pas ». Le message est simple, la nécessité de vivre ensemble, ce film est un vaccin contre tous les extrémistes aussi bien juifs que musulmans. Je suis très conscient des problèmes ici. Je ne supporte pas l’idée qu’on puisse nier l’autre, qu’on généralise. Les discours racistes à l’égard des Palestiniens et les discours de haine contre les juifs me font vomir. Il y a un vrai travail à faire auprès des musulmans qui ignorent la complexité de la situation mais aussi de certains juifs marocains qui parfois ont des discours durs à l’égard des Palestiniens. Effet de miroir sans doute. Je me bats pour que les Palestiniens aient leur Etat à côté de celui d’Israël. Tout le monde devrait se battre pour cela. Il faut mettre en valeur tous ceux et ils sont nombreux qui œuvrent au rapprochement judéo-arabe.
M.B : Un marocain qui fait un film sur les juifs de son pays, c’est tabou ?
K.H : je suis le premier à faire un film documentaire donc forcément, certains n’ont pas l’habitude mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est de voir à quel point, cela a réveillé quelque chose de fort au Maroc. Je me suis rendu compte que beaucoup de jeunes étaient intéressés par cette histoire. Certains dont leurs ancêtres étaient juifs veulent en savoir plus. Vous savez quand vous êtes à l’aise avec vos identités plurielles, on n’a pas peur d’aller vers l’autre.
« C’est un hymne au vivre ensemble, surtout en ces temps de replis communautaires »
M.B : Ce film est-il aussi un hommage à votre terre natale, Tinghir, que vous avez pourtant quitté à l’âge de 6 ans ?
K.H : J’ai un rapport amoureux et poétique à ma ville natale. Je l’aime à la folie et j’aime encore déambuler dans ses ruelles escarpées avec ces maisons en terre de pisée. C’est tout simplement féérique. Elles sont rares les villes qui ont une âme. Je n’ai jamais coupé le lien avec ma ville natale, mes parents nous emmenaient chaque été au bled. Une grande partie de ma famille vit là bas et nous avons une magnifique maison familiale. J’y retourne très très souvent.
« J’avais envie de rendre une dignité à ces femmes et hommes berbères juifs et musulmans.
Ils sont porteurs d’une grande culture qu’il faut savoir défendre et mettre en valeur »
M.B : Dans votre film, vous parlez d’un Maroc pluriel, où à cette époque, juifs et musulmans vivent en parfaite harmonie. L’est-il encore ?
KH : Hélas, la communauté juive s’est fortement réduite mais certains reviennent. Dans les grandes villes du Royaume, la communauté est très bien organisée. Ce fut une grande perte pour le Maroc et parfois je fais un rêve où les marocains de confession juive reviennent en masse. Cela peut être possible si la paix existe au Proche Orient. Le Maroc est un pays qu’on ne peut oublier et d’ailleurs les juifs du Maroc ont un attachement indéfectible à cette terre. Alors oui, essayons de faire revivre ce Maroc pluriel et mon film est ma petite pierre à cet édifice.
M.B : Vous êtes venu à Jérusalem pour y consulter des archives. Comment s’est déroulé votre séjour ? Y avez-vous reçu un bon accueil ?
K.H : Cela fait dix fois que je viens et j’ai de nombreux amis ici, à la fois palestiniens et israéliens, je navigue dans tous les milieux sociaux, religieux, ethniques. J’ai toujours été très bien accueilli. D’ailleurs, j’encourage les habitants de ce pays à aller vers l’autre. Il y a deux jours, je me suis rendu dans un restaurant arabe à Jaffa avec une amie et j’ai vu des tablées communes de familles juives, musulmanes et chrétiennes. C’est cela, qu’il faut montrer. Il faut cesser d’entretenir la haine de l’autre.
« On construit une génération d’ignorants et ces personnes sont plus facilement influençables par les extrémistes. »
M.B : lorsque je vous ai joint, vous étiez à Eilat. Dans la conversation, vous m’avez répondu à maintes reprises dans un hébreu parfait. Ou l’avez-vous étudié ?
K.H : A Paris, j’appartiens à une association Parler en Paix où on apprend conjointement l’arabe et l’hébreu. Ce sont deux langues sœurs aux racines sémitiques. Plus tard, je suis venu faire un Oulpan d’hébreu à l’Université de Haïfa. J’adore cette langue surtout quand on la mélange avec l’arabe.
« Selon les panarabistes, mon film faisait l’apologie
du sionisme et encouragerait la normalisation avec Israël. »
M.B : Merci Kamal, d’avoir pris le temps de répondre à mes questions et bonnes vacances en Israël.
Kamal Hachkar : « mon documentaire est un cri contre l’amnésie, un vaccin contre l’extrémisme »