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Saint-Jean d'Acre et Beit Shéan, trésors d'Israël

 

 

par Richard Saindon

 

Seize heures. C'est l'heure de grâce à Saint-Jean-d'Acre. En bordure des ruelles ombragées de la vieille ville, plusieurs hommes attablés ici et là, jouent aux cartes ou au backgammon en sirotant des verres de café turc. D'autres, assis sur des caisses de fruits, fument tranquillement le narguilé mieux connu chez nous sous le nom de pipe à eau. Officiellement on fume du tabac, mais fréquemment on ajoute aussi un petit extra...

Située à une vingtaine de kilomètres au sud de la frontière du Liban, Saint-Jean-d'Acre, aussi appelée Akko, est à mon avis l'une des villes ayant le plus de cachet et de magnétisme de l'État d'Israël. Il fait bon flâner dans son pittoresque petit port pour observer les pêcheurs ou encore marcher sur les hauts remparts qui épousent le front de mer en admirant les façades médiévales des maisons, palais et caravansérails. Carrefour de toutes les civilisations ayant marqué l'histoire de l'Antiquité et du Moyen Âge, Saint-Jean-d'Acre présente une fascinante mosaïque d'Orient et d'Occident.

Avec son marché coloré et sa demi-douzaine de mosquées, la ville a toutefois conservé un caractère résolument arabe. L'histoire de Saint-Jean-d'Acre est plutôt mouvementée. Phéniciens, Assyriens, Égyptiens, Grecs, Romains, Perses ou Mamelouks l'ont tour à tour vaincue et occupée. Les épaisses murailles de la ville portent d'ailleurs les traces des conquérants ou encore de ceux qui, comme Napoléon Bonaparte, ont tenté vainement de s'en emparer.

La cité des Croisés
Pendant près de deux siècles, de 1099 à 1291, elle fut le bastion des Templiers et des Hospitaliers. C'est de là que les chevaliers Baudouin de Hainaut et Richard Coeur de Lion ont lancé leurs croisades pour tenter de chasser les musulmans de la Terre sainte. Temps fort d'une visite à Saint-Jean-d'Acre, la découverte de la citadelle souterraine des Croisés réserve plus d'une surprise. On apprend d'abord que cette partie de la forteresse a été ensevelie au 18e siècle par un pirate albanais sanguinaire surnommé El-Jazzar (le boucher). Ce charmant personnage voulait bâtir son palais par-dessus la citadelle des Croisés sans avoir besoin de la démolir.

On a entrepris, il y a quelques années, d'excaver les bâtiments de la cité des Croisés et les travaux se poursuivent. Après avoir traversé quelques pièces, on débouche dans l'extraordinaire salle des Chevaliers, ancien réfectoire des moines-soldats de l'ordre des Hospitaliers qui se trouve maintenant à plus de huit mètres sous le niveau de la rue. Il faut voir les immenses piliers qui soutiennent la voûte. Une oeuvre impressionnante. Des fleurs de lys sculptées dans les angles rappellent le séjour des Chevaliers français. On emprunte aussi les passages secrets partant de cette salle et qui autrefois débouchaient à la mer pour permettre l'évacuation en cas d'attaque. Flâner des heures à St-Jean-d'Acre est chose facile tout en visitant les souks, les beaux caravansérails construits par les Croisés pour héberger les pèlerins en Terre Sainte, la mosquée Blanche, léguée par El-Jazzar ou encore le musée de l'Héroisme consacré au nationalisme juif pendant le mandat britannique.

La ville ensevelie
Ce dimanche de mai, il faisait chaud, très chaud même, dans la vallée du Jourdain qui traverse de part en part l'État d'Israël. À une quarantaine de kilomètres au sud du lac de Tibériade, un soleil de plomb dardait les collines verdoyantes et les vastes champs d'oliviers. Malgré un mercure de 34° à l'ombre nous marchions, émerveillés, dans les ruines de Beit Shéan. Quelques heures auparavant, assis à une terrasse d'un village voisin à déguster des falafels, véritable plat national israélien, mon guide, Yaakov Goldfine, m'avait promis de me montrer un site unique; les ruines formidables d'une ville de 50 000 habitants rasée par un tremblement de terre survenu à l'aube, le 18 janvier de l'an 749. Il a tenu parole. Debout dans les gradins du vaste amphithéâtre qui comptait 7 000 places, nous contemplons l'immense champs de ruines. Tout près de nous, un groupe de touristes allemands semble aussi subjugué par l'ampleur des lieux. En fait, le site est si vaste qu'au rythme actuel des fouilles, il faudra 200 ans pour le mettre au jour !

 

Une histoire de sept millénaires
L'implantation de l'homme à Beit Shéan remonte à plus de 7 000 ans. La ville occupait une position stratégique sur la route du commerce entre deux des «superpuissances» de l'Antiquité; l'Égypte et Babylone. Son histoire est faite d'invasions et de conquêtes. La ville fut même rayée de la carte lors de l'invasion des Assyriens en 732 av. J.-C. Trois cents ans plus tard, sous le règne d'Alexandre le Grand, Beit Shéan est reconstruite. Elle devient alors la plus grande des dix villes palestiniennes de l'empire grec et prend le nom qui va être le sien pour les 900 années à venir: Scythopolis. Par la suite, la ville passe tour à tour sous le contrôle de nombreuses dynasties avant d'être conquise par les juifs hasmonéens en 104 av. J.-C. puis à nouveau par les Romains. L'agglomération connaît une ère de prospérité sous les empereurs Hadrien et Marc-Aurèle pendant le deuxième siècle. Perses, Musulmans et Croisés viennent ensuite la conquérir. Finalement, au début du 20e siècle, Beit Shéan n'est plus qu'un petit village oublié, propriété d'un sultan turc. Abandonnée par les Palestiniens lors de la guerre de 1947-49, la région est finalement peuplée par des immigrants juifs.
Fouilles archéologiques
Depuis 1982, le archéologues israéliens mènent une campagne de fouilles de très grande envergure sur le site. Les anciennes rues de la ville sont dégagées. On peut voir à certains endroits les façades des boutiques qui existaient à l'époque romaine. Le temple rond, un édifice haut de 14 mètres, dominait le coeur de la cité. Ses immenses colonnes, d'une hauteur de 9 mètres et d'un poids de 25 tonnes, reposent dans la rue, exactement au même endroit où elles se sont effondrées le jour du tremblement de terre de 749. Les toilettes publiques, ou vespasiennes, sont dignes de mention. La salle mise au jour par les archéologues comptait 40 sièges en pierre. L'eau provenant d'un réservoir aménagé sur le toit du bâtiment, coulait dans un canal situé sous les sièges pour évacuer les excréments. Des générations d'archéologues pourront encore fouiller le site. À lui seul le tell de Beit Shéan, un gigantesque monticule haut de 50 mètres, renferme d'autres ruines accumulées en couches successives au cours des siècles et même des millénaires. Au Moyen-Orient, l'usage voulait qu'on nivelle les vestiges des immeubles abandonnés ou détruits pour construire de nouveaux bâtiments par dessus. Beit Shéan lance par-dessus les siècles des ponts jusqu'à nous. L'antique cité n'a pas fini de nous révéler ses mystères. 

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