Au Louvre, une collection de mille et une nuits
Des yeux cernés de khôl, regard noir intense, accueillent le visiteur : le portrait de la femme d'Antinoé, peint en Egypte au IIe siècle après J.-C., illumine les salles de l'Orient méditerranéen romain du Musée du Louvre, tout juste recomposées.
Cet espace, inauguré samedi 22 septembre, avec le nouveau département mitoyen des arts de l'islam, introduit la brillante civilisation islamique fondée dans le désert d'Arabie, avec la révélation du Coran au prophète Mahomet, en 622. Au fil des siècles, cette civilisation s'épanouit sur plusieurs continents, d'Espagne enInde. Dans l'opulence et le raffinement, les cours royales et princières porteront, de Damas à Bagdad et au Caire, d'Ispahan à Samarcande, Cordoue, Agra et Constantinople, les arts du métal, de la céramique, du verre, du tapis, de la calligraphie, à leur plus haut degré d'innovation et de perfection.
Alors que la tension est extrême aujourd'hui entre le monde occidental et les pays musulmans, Henri Loyrette, président du Louvre, souligne la nécessité "de faireparler la collection des arts de l'islam, une des plus belles au monde et des plus complètes", et de replacer les oeuvres dans une perspective historique pour leurdonner tout leur sens. Un projet de cent millions d'euros, en partie financé par le mécénat de l'Arabie saoudite, du Maroc, du Koweït, d'Oman et de l'Azerbaïdjan.
"Depuis la fin des années 1970, précise M. Loyrette, pas un seul objet n'était exposé. Sur les 18 000 pièces [du VIIe au XIXe siècle], exhumées des réserves du Louvre et du Musée des arts décoratifs [associé au projet], 3 000 sont présentées, certaines par roulement, comme les tapis, le textile et le papier." Le nouveau département consacré aux arts de l'islam vient prolonger l'histoire des civilisations du pourtour méditerranéen. "La mitoyenneté est évidente, la collection se greffe sur le même territoire."
Devant les vestiges de l'église Baouit de la vallée du Nil, bâtie entre le Ve et le VIIe, la filiation saute aux yeux. Les entrelacs géométriques et les arabesques annoncent les diagrammes du porche cairote du XVe, époustouflant puzzle de 300 blocs de grès rose pesant dix tonnes, remonté par les restaurateurs. De génération en génération, le tailleur de pierre puise à la même source, fait le même geste.
Le tapis volant aux reflets d'or qui délimite la scénographie rappelle que la civilisation islamique est née sous la tente. On progresse, dans l'espace géographique et dans le temps, aimanté par la beauté des oeuvres, par la transparence d'une coupe de jade, le lustre métallique d'un glacis, la calligraphie aux arabesques dorées d'une carafe. Chaque objet se lit, se déchiffre. On voudrait en savoir plus. Hélas, la traduction manque. Or, ces trésors profanes sont diserts.
L'accumulation des pièces brouille aussi la lisibilité du message. Il manque une mise en scène à cette civilisation des mille et une nuits, comme celle, par exemple, réalisée pour la "Damascum room", le salon ottoman du XVIIIe, récemment reconstitué par le Metropolitan Museum of Art, à New York.
Quand les objets ne parlent pas, leur histoire en dit long sur les "va-et-vient constants", entre cultures et croyances, que veut retenir Henri Loyrette. Précisément, les trois chefs-d'oeuvre choisis par Sophie Makariou, directrice du département : l'aiguière du Trésor de Saint-Denis. Taillée dans du cristal de roche en Egypte, vers l'an mille, à la cour des Fatimides, récupérée en Sicile parThibaud de Blois-Champagne, la merveille offerte à l'abbaye royale fut confisquée à la Révolution française.
Le baptistère de Saint-Louis est, lui, un bassin mamelouk, en cuivre ciselé d'or et d'argent. L'artiste dissimule six fois sa signature dans la complexité du récit figuratif. Son cortège de dignitaires en armure, ses combats sanglants, ses animaux et créatures aquatiques, seraient une allusion aux croisades. Il servit au baptême des enfants de France, dont le futur Louis XIII.
Tour de force technique, pour la qualité de la taille et son iconographie complexe, la pyxide, boîte ronde à parfums, en ivoire ciselé pour le dernier fils du calife de Cordoue, est "une allégorie aux luttes de pouvoir, qui se terminent par la mort du jeune prince, étranglé au lendemain du décès du calife auquel il devait succéder. Un objet profane qui servit à la communion des chrétiens", précise Sophie Makariou.
La directrice du département, d'origine grecque chypriote, aime rappeler que nous appartenons tous à une commune histoire. Pas question d'afficher un communautarisme à la manière des Anglais. "C'est aussi l'histoire des juifs, des chrétiens du Proche- Orient. Amener à la découverte des oeuvres, à une expérience esthétique" est l'objectif premier de ce huitième département du Louvre. Un musée d'art, pas un musée de civilisation tel que celui de l'Institut du monde arabe. Les deux à la fois, à Londres, au British Museum, "lieu de cohésion civique, à l'inverse de la tradition jacobine française qui prône l'intégration", selon Neil MacGregor, son directeur. "Cela nous permet de jouer un rôle-clé dans la vie culturelle du pays, dans une ville comme Londres où les citoyens de centaines de pays peuvent y retrouver leur propre histoire, leurs traditions. Un élément de tolérance, de cohérence entre les différentes cultures."
Henri Loyrette défend la position française : "Le Louvre est le grand livre où on apprend à lire, une encyclopédie qui se décline en chapitres. On s'adresse à tous pour faire comprendre ce qu'est cette civilisation. On est sur une aire civilisationnelle, non pas sur une aire religieuse. Les objets sont en majorité profanes."
Un dispositif de médiation, cartes, modules interactifs et cartels abondants ponctue le parcours. Des haut-parleurs permettent d'entendre parler arabe, persan et turc. Une manière de s'adresser aussi aux quelque 12 % de musulmans, sur les 9 millions de visiteurs, dont 75 % d'étrangers, qui viennent au Louvre chaque année.
Les arts de l'islam et l'Orient méditerranéen. Musée du Louvre, Paris 1er.Tous les jours sauf le mardi de 8 heures à 18 heures. Jusqu'à 21 h 45 les mercredis et vendredis. Entrée 11 €, gratuit pour les moins de 18 ans. Deux catalogues, 500 pages chacun, 39 €.
Sur le Web : www.louvre.fr.