Mes aventures au Maroc, par Victor Ihyia Assouline - La Gazelle et la Gzerra
Je suis arrivé en fin d'après midi à Mirleft, traumatisé et les nerfs a fleur de peau.Tout avait bien commencé, pourtant Yanna m'avait dit : "Tu prends Supratours (autocar) jusqu'a Tiznit et après un grand taxi qui t'amènera a Mirleft ». Je suis arrivé a Tiznit. Mon grand taxi était une Ford transit (circa 1940) ; une petite camionnette trouée qui aurait du, normalement, d'après la convention de Genève, supporter pas plus de 9 passagers. On était déjà douze et il attendait le treizième avant de partir. Je fais rigoler tout le monde en disant : "el camio mtertek" (le camion est bondé), et "ou tu vas le mettre? "Fel skef ?" (sur le toit). D'entendre ce langage familier sorti de la bouche d'un touriste les avait surpris agréablement.Le treizième arrive, un jeune maigre. Je ne sais pas vraiment où il l’a mis, moi je suis assis devant avec un autre mec.
On démarre, la musique berbère a fond la radio, tout le monde discute, je joue du tam tam sur la boite a gants, et tout ce petit monde, bien que serrés comme des sardines, se mettent a la bonne humeur.
La route est montagneuse, je ne le savais pas. J’ai le mal de montagne depuis longtemps. Même en Californie, où les routes de montagnes sont comme des autoroutes, j'ai du mal.
Bon, je discute avec mon mec à coté, c'est le chef de la commune « Ghoizin » pas loin de Mirleft. Il m’invite d’ailleurs à passer le voir après mon séjour à Mirleft (une question de terrain à vendre).
Le téléphone sonne. C'est celui du chauffeur. Il fouine dans sa poche, un virage arrive, il répond, il roule a 80, je vois le précipice, je me retourne vers le maire, il regarde droit devant lui, les mâchoires serrées. Je sens aussi le silence derrière moi. Ils doivent tous faire la même chose que moi ….. ils prient. D'une main le chauffard prend le virage. J’ai depuis longtemps arrêté de jouer mon tam tam (instrument africain). C'est mon cœur qui maintenant joue de la terboukah (même instrument mais plus sophistiqué).
« Ah ouili ouill, ash derb bia ha del ham ». (Ah ouili ouili c'était à qui cette mauvaise idée). traduction verbatum.
Les virages se suivent de plus en plus serrés et ce chleuh qui conduit a l'air parfaitement heureux. Il met sa musique encore plus fort. Son tombeau est plein, bien sûr, il économise de l'essence et du temps, en prenant cette route. Eh Oui ! Il y en a une autre, bien plus plate et plus droite. « Telbsh omo khnif » (expression marakshi qui parle d sa mère en haillons noirs). Si Je l'avais su avant, j'aurai pu éviter l'embolie.
J'ai laissé mes Tehilim à Marrakesh sinon je les aurais, sans hésiter, lu à haute voix.
Après tout, je m'en fous puisque je vais mourir dans un de ces virages, accompagné de musique gnaoua (musique locale).
Au quinzième ou vingtième virage (je savais compter avant de monter dans ce corbillard) je ferme les yeux et je récite ce que je me rappelle du premier psaume.
“Ashre haish acher lo halakh bederekh rechaim ou bderekh hataiim lo amad”.
Heureux est l'homme qui ne prend pas de taxis comblés et qui évite ainsi de gros ennuis;
J'ai pris quelques libertés dans la traduction, mais dans l'état ou je suis, tout m’est permis.
Yanna m'attendait à l'auberge où l'on s'était donné rendez-vous quelques jours plus tôt.
Une auberge bien sympathique sur la falaise avec la plage juste en bas. L'auberge s'appelle Octopussy. Franchement, il doit y a voir d'autres noms, non? Soi-disant qu'ils spécialisent dans le poisson a la plancha.
Bref, après mon flirt avec la mort, je m'en fous de tout.
Yanna est français, belle, grande avec un sourire constant sur le visage. Elle voyage dans le monde entier, en tranches de deux ans à la fois. Deux ans en Amérique latine, deux ans en Asie, etc. Il n'y a vraiment aucun pays qu'elle n'aille pas visité. (Voir «yannabyls.com»), et toujours en transport public et toujours chez l'habitant. Que ce soit des huttes au Mali, des sampans en Indonésie, où des grottes a Agdez.
On s'est rencontrés sur la place Jamâa el Fna un soir, après le ftour (repas du Ramadan). Je grignotais quelques salades, elle aussi, ensuite elle s'est levée pour aller danser avec les gnaoua plus loin sur la place.
Couverte de sarouals, chemisettes flottantes et foulards berbères, une «Chbnia’’ (vieux foulard que nos grand mères portaient) pour couvrir sa crinière blonde. Elle dissimule ses belles formes et n'exsude que de la spiritualité. Elle est belle mais pas provocante, sensuelle mais pas sexy. Elle envoie la lumière et la lumière lui revient. Elle a pu ainsi éviter tout au long de ses voyages toutes sortes de malentendus, de sous entendus et les situations tendues.
Remis de mon épopée que je n'ai évidemment pas mentionnée, nous nous sommes baignés dans l'océan et, en silence, nous avons salué le coucher de soleil magique, le rugissement des vagues énormes, se fracassant sur les roches comme musique de fond.
Plus tard, nous avons dîné berbère au village chez Aberdigh après, un thé aux Amicales et puis on est rentré dans le noir vers la plage et l'auberge.
J'étais relax et finalement heureux d'être là avec Yanna.
Je me sentais à la fois libre et en paix
A l'auberge, Odile, la patronne des lieux était là., Après quelques banalités entre françaises, j'entend la «Odile» qui dit a Yanna:«pourquoi vous n'allez pas a la Gzerra demain, c'est une plage magnifique avec des arches énormes creusées dans la roche ».
Wouh… wouh! Hlia(expression juive souvent suivie de quelques griffes sur le visage) qu'est ce qu'elle vient de dire la "ensrania"(catho), «elle veut qu'on aille ou? », l'autre ensrania est déjà excitée.
«La Gzerra, avec eu des belles-eu roche-eu »(nbikih hla had) (quelle horreur l 'accent parisien).
Le cœur qui avait commencé a oublier l'épisode de l'après midi s'était mis, d'un seul coup, à faire un petit solo de terbouka (voir page précédente).
D'une voix bien trop fine pour un baryton, je m'inquiète: «Vous avez dit La Gzerra?»,-«oui» répond la Din Ouma (Insulte visant la religion de sa mère) d'hôtelière, -«La Gzerra».
Un bon ami me racontait que les juifs de la région de Ksar el Kebir, dont son père et ses oncles, utilisaient une expression pour rire ou pour maudire. -J'e n’en sais rien, mais c'était :
“Que sé le banga una guezzera que sé lé guezzré”.'
Qu'il lui vienne une malédiction qui le «mal édicte» (maudit).
Je ne suis pas trop superstitieux mais après ce qui m'est arrivé aujourd’hui
vous iriez à la Gzerra, vous?.... franchement?.C'est trop!
La brahmane est aux anges.-«j'en ai entendu parler, tu verras c'est grandiose-eu.
Itihla shehda (que son destin soit sérieusement compromis)
Antoine, le beau père de la folle qui a mentionné la Gzerra, est là aussi. Je demande comment est la route pour aller «tout droit» a La Gzerra.
Il me dit que c'est 27 kilomètres-eu, ligne droite-eu, avec 3 ou 4 virages-eu sérieux... sinon c’est bon .... Lui c'est l'accent du midi qu'il a.
Retourné dans la chambre, je me demande si je ne devrais pas rentrer à Marrakesh ou alors trouver une excuse comme ‘’la cuisine berbère ne me réussit pas‘’au lieu d'aller a cette gzerra del khlah (Au diable)
Je me suis finalement endormi mais c'était loin d'être le repos du guerrier.
Le matin, elle, fraiche comme une douceur, son sourire aux lèvres et moi qui fume mon café et qui bois ma cigarette, les mains moites, le teint blême et les yeux cernés. Et qui ne serait pas dans mon état? Apres avoir évité la mort hier, aujourd’hui je vais tout droit vers la Gzerra. Je vois un grand taxi, je suggère qu'on le prenne a deux, la globe trotter me dit que le taxi va a Sidi Ifni et il doit remplir, patati patata. Il nous déposera à la Gzerra, c'est sur le chemin. Elle a un budget très restreint, je comprends.
Une Peugeot 203 station wagon arrive, elle a mon âge. On a juste le temps de trouver de la place devant qu'elle est déjà pleine. Trois au fond, quatre "Ghledat "( femmes rubenesques) derrière, Yanna et moi et le chauffeur qui a besoin d'un détartrage immédiat, et d'un réalignement des cinq dents qu'ils lui restent.
Je dis au dentier tu vas pas rouler vite? Il me dit - «non, non,. 90 c'est tout! ». Il se moque de moi , tmutlo omo ( insulte qui a avoir avec sa mère ).
Il le sait que j'ai peur…il le sent…ça se voit, ma main agrippée au haut de la porte et mon visage crispé. Il démarre avec un sourire narquois. «in al din» sa physionomie, je lui dit les deux mots en chleuh que je connais, en espérant l'amadouer. Azeul et Hakeinhaounnarbe (bonjour et au revoir). Il s'en fout…il préfère la gazelle à côté qu’il arrête pas de zieuter, au lieu de regarder la route. Je dis à Yanna que c'est pas normal d'être autant dans une voiture. Elle me répond qu'il ya quelques jours, en sortant d'Agdez, elle-même était dans un taxi comblé avec un type à '' LA GAUCHE " du chauffeur, et qu’en chemin, ils ont pris un vieux qu'ils ont mis dans le coffre, parce que sinon il aurait attendu cinq heures au soleil en plein dans la montagne-eu. Le pauvre vieux retenant le coffre ouvert du mieux qu'il pouvait sur une route cabossée.
Yanna était heureuse-eu! - «Oh les jolies falaises-eu, regarde-eu les ânes-eu!
Je m'en fouettais du vieux, de Yanna et de ses histoires de grottes-eu.
Ce que cet Antoine de mes fesses à l’auberge ne m'avait pas dit le soir d'avant, c'est que tous les virages étaient en descente pointue donc quand l'unidentaire s'est mis a pomper les freins et même tirer sur le frein a main, la "Mother Theresa", à coté de moi, d'un air inquiet lui a demandé dans son seul arabe. –«Koulchi Labass? Mouchi mouchkil? » (tout va bien, pas de problèmes?). Fier de ses dents, il lui répondait avec un sourire énorme, -« paa di problim, li frin ki marss».
Je lui demande de ralentir encore une fois. Il me nargue une fois de plus en me disant- «quoi, pli vit? in haal bou chnanou ( insulte visant à la fois son père et ses dents). Si on était sur Terra Firma, je lui enlèverai les trois ou cinq dents qui lui restent.
En tout cas, moi j'en peu plus. Après le fou d'hier et le mehboul d'aujourd’hui plus la Gzerra qui m'attend, je commence a invoquer tous ceux qui pourrait m'aider, Du Rav Khadoury, au Rebbe, en passant par tous les saints du Maroc et je ferme les yeux.
En arrivant, j'ai un peu le vertige. Je paie le taxi ses 30 dirhams et pas un sou de plus, après tout, il voulait ma peau le salopard.Yanna s’étire, heureuse comme toujours, elle me dit –Victor, c'est bien que tu puisses juste méditer comme ça où tu veux..... Si seulement elle savait. On a quand même passé une très belle journée à la Gzerra qui est vraiment un très bel endroit.
Pour le retour, on a fait du stop, deux enseignantes de Casa qui avaient encore plus peur que moi. Donc on a roulé à une vitesse qui me va très bien, 30 km en ligne droite et 4 km à l’heure en virage. Finalement relax, je n'ai pas arrêté de parler et de les amuser à mes deux jeunes charmantes compatriotes marocaines. L'Etrangère, elle, était plutôt pensive. Je crois qu'elle préfère les émotions fortes ou alors elle méditait vraiment, pas comme moi.
P.S. Mon frère ainé, Félix Habib Assouline Z"L est mort à l'âge de 19 ans d'un accident de voiture dans les montagnes entre Cadiz et Jerez de la Frontera en Espagne, au tournant d'un virage.
Victor Ihyia Assouline