Une décision erronée que nous allons payer cher (info # 012709/10) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Les vieux singes ne sont jamais montés aux arbres desquels ils ne savaient pas exactement comment redescendre. Les autres ne sont plus là pour que nous en parlions.
Ce lundi matin, vingt-cinq pourcent de la population israélienne exulte autour de la fin du moratoire sur les constructions dans les implantations, les autres, comme pris en otages, se divisent entre les sceptiques, les inquiets, les anxieux et les révoltés.
La non-extension du gel vient nous rappeler brutalement que c’est une coalition de droite, d’extrême droite et d’Edennistes qui détient le pouvoir à Jérusalem. Tant pis pour l’écrasante majorité d’entre nous qui - selon tous les sondages de ces dernières années -, subit une politique qu’elle ne partage pas.
Certes, Sami El Soudi n’a pas entièrement tort lorsqu’il affirme qu’il existe un accord entre Américains, Israéliens, Arabes et Palestiniens pour que le redémarrage de la construction juive en Judée Samarie ne préside pas à l’enterrement de première classe de ce round de négociations.
Mais il s’agit d’un consensus sur les plus petits dénominateurs communs, sur les quelques fibres qui empêchent la corde de rompre, et non sur l’édification de la voie royale, qui seule peut conduire à un accord.
Si ce plus petit dénominateur commun n’existait pas, on aurait assisté, ce matin au passage des bulldozers, à un tollé assourdissant, accompagné du bruit des pierres heurtant le bitume et de crépitements d’armes automatiques.
Nous constatons simplement que ça n’est pas le cas. Pas massivement du moins. Le crédit est à verser sur le compte de l’administration américaine, du plan Fayyad, et de l’ordre des priorités dans les capitales sunnites, où on se soucie infiniment plus du bras de fer avec l’Iran que des Edennistes de Judée et Samarie.
La nuit dernière et ce lundi encore, les négociateurs des pays impliqués tentent d’élargir la minuscule passerelle. Un objectif difficile, qui n’augure rien de réconfortant pour l’avenir. Ce, si l’on veut bien considérer que Netanyahu se montre intraitable sur... un objet de litige ne recélant pas la moindre importance stratégique.
Que se passera-t-il lorsqu’il s’agira de régler le problème de Jérusalem, de l’eau, de la sécurité sur le Jourdain ?
Peut-on imaginer que la coalition actuelle montre quelque souplesse lorsqu’il s’agira de renoncer à la souveraineté sur certaines parties de la capitale d’Israël ?
Il y a des questions auxquelles on peut répondre : non ! Ce gouvernement ne fera pas la paix. Les réjouissances qui ont lieu depuis hier dans les implantations edennistes, qui concernent 100 000 des 300 000 Israéliens demeurant en Cisjordanie, sanctifient le sentier de la guerre.
C’est la victoire, que l’on voudrait éphémère, de ceux qui entendent bâtir des maisons juives vides, au cœur des conurbations arabes bondées, dans le but de s’assurer que toute solution de cohabitation paisible demeurera impraticable. C’est le triomphe de ceux qui prônent la guerre sans fin, mais qui nous laisseront la faire, car, dans leur écrasante majorité, ils refusent de porter l’uniforme.
Accessoirement, ces habitants idéologiques des implantations nourrissent l’espoir discret que leurs agissements accroîtront l’isolement international d’Israël. Car ces gens sont pour la monoculture et le repli sur nous-mêmes, le seul moyen de rapprocher les autres Israéliens de leur concept théologique et d’instaurer la primauté du royaume céleste.
Ce sont des messianistes convaincus et actifs, et nous ?
Netanyahu dispose de quelques atouts auprès des grandes puissances, à sortir de ses manches aux moments cruciaux de la négociation. Il vient d’en sacrifier un, gratuitement et bêtement, sans en retirer pour son pays le moindre avantage. Au contraire.
Qu’est-ce que cela nous rapporte, en effet, d’édifier des maisons dans des territoires dont on négocie le retrait ? Et si on n’envisage pas de retrait, pourquoi négocie-t-on ?
On évolue dans un questionnement absolument binaire : soit nous ne négocions pas de bonne foi, soit nous sommes des imbéciles. Des sots, s’essayant à ressembler par tous les moyens aux caricatures antisémites controuvées de maquignons aux nez crochus. Dire que la plupart des gentils s’imaginent que les Juifs sont intelligents...
Le 1er ministre et sa coalition croient-ils qu’ils ont résisté à une requête de Mahmoud Abbas : quelle ingénuité !
Nous nous apprêtons à laisser construire deux milles demeures inutiles (dans un premier temps), soulevant ainsi l’antipathie de ceux qui ne nous détestaient pas encore. Dans le même temps, Salam Fayyad élève une ville utile pour quarante mille Palestiniens, et en planifie trois autres, pour cent quatre-vingt mille compatriotes supplémentaires.
Le chemin à suivre ? Pour aller où ?
Que d’énergie, dépensée en vain par Netanyahu à implorer les chefs d’Orient et d’Occident de le laisser mettre un terme au moratoire. Que d’impéritie, de sa part, à discerner les combats essentiels et existentiels, que nous affrontons hic et nunc, du désir de contenter des partenaires politiques, ne cultivant aucun plan d’avenir pour l’Etat hébreu, du moins pas au sens où nous l’entendons.
Le Likoud ne l’a pas compris non plus : le plan Fayyad est imparable. A moins de refouler les quatre millions de Palestiniens en Jordanie, ou d’ouvrir des camps d’extermination - ce à quoi même Lieberman est incapable de songer -, au rythme où vont les choses, dans trois ans, l’Etat palestinien existera de facto.
Et dès ce moment, l’Autorité Palestinienne n’aura strictement aucune difficulté à obtenir l’assentiment du Conseil de Sécurité afin qu’il devienne un pays de jure.
Cela se fera alors selon les termes des grandes puissances, car aucun pays du globe – les Edennistes ont tort ! – ne peut plus vivre en autarcie, même en ressuscitant les rois de Judée. Nous nous trouvons totalement à la merci d’une décision des Etats-Unis et de l’Europe, et mieux vaut, pour nos intérêts principaux, ne pas tester leur capacité à la prendre.
Le gouvernement actuel est en train de galvauder une occasion, probablement la dernière, d’empêcher que les grands de ce monde ne décident de notre avenir à notre place. Et ne nous transforment en une relique de ce que nous sommes, à peine plus étendue que le territoire d’Hong-Kong. C’est cela qu’ils ont en tête.
Israël gâche l’opportunité d’avancer en direction d’un règlement négocié avec des leaders aussi bien disposés et cohérents, que le sont Abbas et Fayyad. Où d’autre, dans le monde arabo-musulman d’aujourd’hui, trouve-t-on des dirigeants à ce point occidentalisés, mêlant aussi peu qu’eux les excès lyriques du panarabisme ou de l’islamisme, et rejetant, par principe et dans n’importe quelle situation, le recours au terrorisme.
Ce que le Likoud et ses alliés n’ont visiblement pas saisi, c’est que la recherche d’une issue pacifique à notre différend avec les Palestiniens est une nécessité stratégique largement moins urgente pour eux qu’elle ne l’est pour nous ; tous les paramètres liés au temps qui passe jouent en leur faveur et en notre défaveur.
Notre unique chance d’assurer notre pérennité dans notre Etat historique passe par la cessation de l’état de guerre avec les quatre millions de Palestiniens. Cet axiome est si simple à comprendre, que je ne ferai pas l’affront à nos lecteurs éduqués de répéter ici, une fois encore, ses composants.
Netanyahu est tout sauf un grand homme, il vient d’en faire, à nouveau, la démonstration. Il nous a renvoyé au ban des nations, prenant le risque d’une recrudescence de violence palestinienne spontanée (non suscitée par l’AP), en une période durant laquelle nous avons besoin de toute notre énergie afin de parer au danger atomique iranien.
Cette prise de risque est colossale, uniquement destinée à satisfaire les délires fanatiques d’une minuscule minorité, et non conforme aux aspirations et aux intérêts du plus grand nombre de mes concitoyens.
A Netanyahu de prier chaque jour à la synagogue la plus proche de son domicile, afin que les prévisions des sondages se réalisent, et que Barack Obama et les Démocrates se fassent éconduire aux élections de novembre. Car si ça n’est pas le cas, il recevra l’ordre de Washington de rétablir le moratoire avant la fin de l’année civile.
Et s’il n’obtempère pas, privés de pièces de rechange et de moteurs, les chasseurs-bombardiers du He’l Avir se verront cloués au sol dès le mois d’avril. Une posture fort médiocre pour anéantir les usines de destruction massive en Perse, tout le monde en conviendra.
Que fait donc Ehud Barak dans cette galère de rameurs inconscients ? Faute d’aboutir à une solution de consensus avec les Palestiniens dans la crise artificielle d’ici fin septembre, si Barak reste dans ce gouvernement, il en aura terminé de sa carrière politique. Ce qui est par ailleurs déjà pratiquement le cas.
Si Binyamin Netanyahu et ses conseillers parviennent à reconstituer l’ordre des priorités de ce pays, qu’ils ont égaré, ils n’auront d’autre hâte que celle de former dare-dare une nouvelle coalition avec le courant centriste. Ils exauceraient ainsi les attentes de soixante-dix pourcent des électeurs hébreux. Ils leur restitueraient la chance, fût-elle uniquement théorique ou infiniment ténue, de saisir un moment du Proche-Orient qui paraît favorable à un accord.
Et Netanyahu reconduirait immédiatement le gel des implantations ; en se demandant, non pas s’il effectue une concession à Mahmoud Abbas ou aux Américains, mais où il entend conduire la nation d’Israël.
Car pour l’instant, le 1er ministre se regarde les pieds en marchant. Il ne prend pas ses décisions au jour-le-jour, mais d’une heure à l’autre.
Il n’a développé aucune prospective quant à l’avenir de nos relations avec les Palestiniens : même s’il était seul à la table de négociation, il serait incapable de parvenir à un règlement, tant il n’a aucune idée pratique de l’avenir qu’il souhaite à Jérusalem, du contour définitif de nos frontières, et du statut final de l’Autorité Palestinienne.
Avant de défendre ses positions, il importe de définir ce qu’elles sont. Désormais, à cause d’une succession de décisions incohérentes, Netanyahu nous a tous emmenés, avec lui, à la cime de son baliveau, et certains d’entre nous comptent sur lui pour nous indiquer le moyen d’en descendre.