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La descendance du créateur du drapeau d’Israël est… arabe(info # 011904/13) [Enquête]

Par Sandra Ores ©Metula News Agency

 

C’est une histoire du peuple juif. Le récit de membres d’une famille, éparpillés à travers le monde, de destins séparés qui se retrouvent. C’est une histoire d’Israël ; de liens familiaux primant sur les tensions religieuses et politiques.

 

C’est une vie de séparation entre Rishon-LeZion et Nazareth ; d’ignorance de l’existence d’un proche, portant toute sa vie la croix d’un lien crûment interrompu. Un enfant déposé sur les marches d’une église, dont une seule lettre du nom, mal transcrite, l’a confiné derrière un vide impassable.

 

Sûrement s’étaient-ils croisés alors qu’ils habitaient, pendant huit ans, le même quartier Alef de Be’er Sheva ; Youssouf Shoufani, arabe et chrétien, travaillant à l’usine de potasse de la mer Morte, et son cousin Naaman Belkind, ingénieur en mécanique à la centrale nucléaire de Dimona, dans le Néguev.

 

La famille Belkind s’inscrit parmi les grands architectes d’Israël. Dans la Russie de 1861, naît Israël Belkind ; il fonde Bilou, un mouvement sioniste dont les principes sont le renouveau politico-économique national et spirituel du peuple hébreu en Syrie et en Terre d’Israël, la renaissance de l’hébreu et la réalisation personnelle.

 

En 1882, un premier groupe de quatorze personnes part pour la Palestine. Israël Belkind est l’un des fondateurs de Rishon-Le Zion, "les premiers à Sion", et le dessinateur (avec Fanny Meirovitch, jeune pionnière comme lui) du drapeau du futur pays.

 

Son neveu, Naaman Belkind (oncle du premier Naaman cité plus haut) est l’un des membres fondateur du Nili. Ce réseau d’espionnage qui fut constitué dans le but de fournir des informations aux Britanniques pour les soutenir dans leur combat contre les Turcs qui occupaient alors la Palestine.

 

En 1915, en dépit de l’opposition farouche du Yishouv (le foyer juif de Palestine avant la création de l’Etat d’Israël), les membres de Nili aident les Anglais, en tablant qu’à l’issue de la guerre, leur soutien les mènera à obtenir de ces derniers leur part de la Palestine. Le réseau est cependant découvert par l’occupant, suite à la capture d’un pigeon voyageur muni d’un message secret à l’intention des Britanniques.

 

Naaman Belkind, son frère Eitan et Yossef Lishansky (d’ailleurs élevé à Métula) sont faits prisonniers par les Turcs qui les expédient à Damas. Naaman et Yossef y sont pendus sur la place publique. Eitan parvient quant à lui à s’enfuir durant son transfert vers la potence et à regagner Rishon-Le Zion. Sa fratrie, originellement composée de trois filles et de quatre garçons, ainsi que ses parents, accueillent son retour sans son frère avec des sentiments mitigés.

 

En 1929, un enfant est déposé sur les marches d’une église de Nazareth. Le curé l’enregistre sous le nom latin de Josephum Belkund – ce qu’il lit par erreur sur le billet qui accompagne le bébé -, et le confie aux soins d’une maîtresse d’école, célibataire et sans enfant.

 

Le prénom Joseph deviendra Youssouf en arabe. L’homme fait sa vie, travaille dur pour nourrir ses sept enfants ; et surtout, ne cesse de porter à l’intérieur de son être la douleur de l’absence d’une famille à laquelle il se sent appartenir, mais qu’il ne sait où trouver.

 

"Un sentiment tragique", note sa petite fille, Hanan.

 

Michel, l’oncle de Hanan, le fils de Youssouf, a les yeux bleus - une caractéristique rare sur les collines de Galilée connues pour avoir accueilli Jésus Christ - qui lui donnent le sentiment d’être quelque peu étranger dans sa cité.

 

Hanan et Michel sont ébranlés en percevant l’immuable solitude de leur grand-père lorsque celui-ci décide, à plus de 60 ans, de passer un avis de recherche dans le cadre d’une émission télévisée.

 

Pas d’appel, aucune réaction, pas de réponse aux interrogations de l’orphelin. Youssouf meurt. Inapaisés, Hanan et Michel entreprennent alors des recherches sérieuses.

 

La jeune fille aux cheveux blonds qu’est Hanan fait preuve de perspicacité en supposant que le curé avait pu faire une erreur en retranscrivant le nom de son grand-père sur l’acte de naissance. Au lieu de Belkund, ne renvoyant aucun résultat sur Internet, au hasard, elle tape, dans le moteur de recherche, "Belkind".

 

Et tombe sur l’histoire de la famille des pionniers ; scrute leur arbre généalogique, avant de voir apparaître le portrait craché de son grand-père parmi les visages répertoriés. Il s’agit d’Ishaï Belkind : la ressemblance est frappante, c’est exactement le même visage.

 

Hanan contacte Tamar Eshel, membre de la famille Belkind, ancienne ambassadrice d’Israël auprès des Nations Unies et ancienne députée à la Knesset. Socialement, politiquement, l’écart est immense entre la jeune fille de Nazareth et la figure de proue de l’establishment israélien. "Moi, arabe, m’adresser à une grande famille sioniste !" se souvient Hanan. La jeune chrétienne souhaite cependant rencontrer Tamar ; elle lui explique au téléphone la raison de son appel.

 

Tamar Eshel, qui n’a jamais entendu parler de l’existence d’un enfant abandonné dans sa famille, accepte toutefois de l’écouter et l’invite à la retrouver dans son appartement, sur les hauteurs de Haïfa.

 

La jeune femme se rend au rendez-vous munie de la photographie de son grand-père. Tamar est instantanément troublée. Elle devine qu’il ne peut s’agir que de l’enfant du cousin de sa mère, Ishaï. Elle n’ébruite pas encore l’affaire parmi les siens ; Ishaï avait été marié, mais n’avait pas eu d’enfant de sa femme, stérile.

 

Tamar s’ouvre discrètement à son cousin Naaman, (le fils d’Eitan Belkind) ; ils décident que ce dernier et Michel (le fils de Youssouf) effectueront un test ADN afin d’identifier un éventuel lien de parenté. L’examen, portant sur le chromosome Y, est confié à l’un des plus grands laboratoires de génétique américains.

 

Deux semaines plus tard, Hanan reçoit un coup de téléphone à six heures du matin. Bouillonnement plus que surprise : les deux échantillons proviennent, au-delà de tout doute sensé, à deux membres proches de la même famille !

 

Tamar Eshel, autant qu’Olga Alroy, la sœur de Naaman, sont bouleversées à l’idée que cet enfant ait grandi, abandonné et loin de la famille, sans qu’aucun de ses membres n’en connaisse l’existence.

 

Olga affirme, "Si Ishaï avait su, il l’aurait cherché, il adorait les enfants". Elle sort de ses placards une photographie de son oncle, celle sur laquelle il apparaît au bras d’une jolie jeune fille. "C’était un coureur", confie-t-elle.

 

L’enfant avait-il été conçu avant ou après le mariage d’Ishaï ? Et qui était la mère ? Ishaï se consacrait à l’époque à l’apiculture avant de rejoindre sa famille à Rishon et de s’occuper de l’ouverture de son premier cinéma.

 

La famille Belkind ne compte que peu de descendants, se sentant, pour la plupart d’entre eux, oppressés par le poids de leur identité généalogique. Nili Belkind (prénommée en écho à l’organisation fondée deux générations avant elle), la fille de Naaman, a même quitté Israël après son service militaire pour faire sa vie à New York. "Je ne voulais pas être un drapeau", confie-t-elle.

 

Michel, c’est son petit cousin !

 

Les Belkind accueillent toute la nouvelle branche de leur famille les bras ouverts, sans aucune réticence. Réunis autour d’un barbecue traditionnel dans le jardin de la maison de l’un des fils de Youssouf, à Nazareth, les cousins arabes et juifs, mélangés et heureux, attestent ressentir une fibre commune. "Quelque chose de chaud", décrit Olga.

 

Michel s’ouvre. "Cette rencontre a changé ma vision des Juifs ; jusqu’à aujourd’hui, j’estimais qu’ils étaient venus d’Europe voler des terres arabes. A présent, je comprends qu’ils souhaitaient acheter des terrains pour construire leurs maisons".

 

"Semblables", ainsi que le décrit Olga, une mésaventure du destin a conduit les membres des deux branches de la famille sur des chemins parallèles. Aujourd’hui réunis, ils continuent leur chemin ensemble, en dépit des fossés et des idées reçues entre leurs deux communautés. La famille de pionniers, dont le passé est profondément ancré dans l’aile révisionniste (droite) du mouvement sioniste, et leurs cousins germains de Nazareth. Du même sang.

 

Leur histoire n’est pas uniquement émouvante. A les voir ensemble à l’occasion de l’une de leurs nombreuses réunions familiales, il est quasiment impossible de différencier les membres de la tribu retrouvée. Rien ne les sépare ; à croire que les murs les plus hauts du Moyen-Orient, qui paraissaient insurmontables, ne sont que des paravents de papier. Je parle, pour mémoire, de piliers de la création de l’Etat d’Israël et d’Arabes palestiniens de Nazareth.

 

Le fatum a couché les paravents artificiels d’un seul souffle, se riant des complots des hommes pour faire refleurir l’espoir. En regardant les deux ailes de la famille Belkind se partager les steaks, qui peut encore sérieusement dire qu’il est impossible de vivre ensemble ?

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