La violence s’intensifie contre les chrétiens
L’attentat d’Alexandrie dans la nuit de vendredi à samedi 1er janvier est le plus violent de ces dernières années contre les coptes
L’attentat perpétré contre l’église des Saints (Al-Qiddissine) d’Alexandrie la nuit du Nouvel An, alors que les fidèles sortaient de la messe, a fait 21 morts et 79 blessés, selon un bilan établi dimanche 2 janvier. La tension reste vive en Égypte et les chrétiens d’Orient ont le sentiment de devenir des cibles d’un terrorisme de plus en plus virulent.
Quelles ont été les réactions en Égypte ?
Après l’attentat, des centaines de coptes ont manifesté leur colère et leur douleur, et des affrontements ont éclaté devant l’église Al-Qiddissine avec les forces de l’ordre. Samedi 1er janvier au soir, au moins 5 000 personnes ont assisté aux obsèques des victimes. La foule a refusé les condoléances du président Moubarak, criant « Non, non, non » quand l’évêque Youanes, le secrétaire du pape copte Chenouda III, a voulu transmettre les condoléances du chef de l’État.
Les coptes estiment que les autorités ont échoué à prendre les mesures de sécurité adéquates pour protéger leur communauté, qui avait été la cible de menaces explicites. Le synode des évêques coptes d’Alexandrie a critiqué le laxisme des autorités face à des déclarations récurrentes anti-coptes.
Dimanche 2 janvier au matin, des centaines de fidèles assistaient à la messe dominicale à l’église des Saints, avec des larmes pour leurs « martyrs » et des mots de colère contre les « fanatiques » qui s’en prennent à leur communauté. Le prêtre qui officiait n’a pas prononcé de sermon, choisissant le silence.
Les autorités religieuses ont condamné l’attentat. Le pape copte, Chenouda III, a dénoncé un acte « terroriste » et « lâche », « visant à déstabiliser le pays ».
Le grand iman d’Al-Azhar, grande institution de l’islam sunnite au Caire, cheikh Ahmed Al Tayyeb, a souligné que « selon la loi coranique, et le devoir patriotique, ce crime haineux est interdit » et que « tous les musulmans (le) condamnent », appelant au calme, tout en critiquant l’appel de Benoît XVI qu’il a qualifié « d’ingérence inacceptable ».
La confrérie islamiste des Frères musulmans, première force d’opposition en Égypte, a évoqué des « complots » visant à diviser chrétiens et musulmans en Égypte.
Le président Hosni Moubarak a dénoncé à la télévision un acte de « terrorisme aveugle » et a promis de traquer ses auteurs. Il a lancé un appel à l’unité nationale : « Tous les fils d’Égypte, musulmans et chrétiens, doivent s’unir pour lutter contre les vils terroristes qui ont attaqué la Nation. »
Qui est derrière l’attentat ?
L’attaque n’a pas encore été revendiquée. Plusieurs pistes semblent possibles. Les autorités égyptiennes évoquent uniquement la piste d’Al-Qaida. Le ministère de l’intérieur et le président ont parlé de « mains étrangères ».
La branche irakienne de l’organisation terroriste avait menacé le 1er novembre, en revendiquant l’attentat contre la cathédrale de Bagdad qui avait fait 58 morts, de s’en prendre aux coptes, la plus importante communauté chrétienne au Moyen-Orient, si leur Église ne libérait pas Camilia Chehata et Wafaa Constantine. Ces deux chrétiennes, épouses de prêtres coptes, présentées comme « emprisonnées dans des monastères » pour s’être converties à l’islam.
Le numéro deux d’Al-Qaida, Ayman Al Zawahiri, est égyptien et nourrit une haine personnelle contre son pays d’origine.
Mais cette piste pourrait en croiser une autre, celle des fondamentalistes islamiques égyptiens. L’attentat de l’église des Saints « est le résultat de la mobilisation anti-copte et des mensonges propagés récemment contre l’Église », a ainsi affirmé le synode des évêques coptes d’Alexandrie.
Ils faisaient allusion à plusieurs manifestations, dont la dernière a eu lieu vendredi 31 décembre, organisée devant une grande mosquée en plein centre d’Alexandrie, sans que la police intervienne, appelant à punir les coptes s’ils n’acceptent pas de « libérer » Camilia Chehata et Wafaa Constantine.
Le terrorisme se renforce-t-il dans les pays arabes ?
La branche irakienne d’Al-Qaida avait revendiqué le 31 octobre dernier l’attaque contre la cathédrale syrienne-catholique de Bagdad, au cours de laquelle avaient péri 46 civils (dont deux prêtres), sept membres des forces de sécurité et les cinq assaillants.
Les coptes, qui représentent 6 à 10 % des 80 millions d’Égyptiens, ont été visés à plusieurs reprises ces dernières années. En 2006, un homme avait attaqué des fidèles dans trois églises d’Alexandrie, tuant une personne et en blessant d’autres.
Le 6 janvier 2010, six coptes avaient été tués par des hommes armés à la sortie d’une messe à Nagaa Hamadi, en Haute-Égypte, à la veille du Noël orthodoxe. « Nous passons chaque fête dans la douleur », disait dimanche 2 janvier en sanglotant Soheir Fawzi, un fidèle présent à la messe dominicale dans l’église des Saints. Il avait perdu en janvier 2010 ses deux sœurs et sa nièce.
Toutefois, note Sherif Azer, de l’organisation égyptienne des droits de l’homme, « il s’agissait jusque-là d’attaques par des hommes armés, des fondamentalistes égyptiens. Cette fois, la nature de l’attaque est différente : il s’agit d’une bombe, peut-être la marque d’un groupe actif par-delà les frontières. » « Les coptes craignent de nouvelles violences lors de la célébration du Noël orthodoxe, le 6 janvier », ajoute-t-il.
Comment réagit la communauté internationale ?
L’attentat a suscité samedi 1er janvier l’indignation et de vives condamnations des responsables politiques dans le monde. Au Proche-Orient, l’attentat a été vigoureusement dénoncé. Les autorités d’Arabie saoudite, de Syrie, du Liban, d’Iran, d’Irak, d’Israël l’ont condamné. Pour le roi Mohammed VI du Maroc, il s’agit d’« un crime contre l’humanité tout entière ».
L’Autorité palestinienne a dénoncé un acte « visant à semer la discorde entre musulmans et chrétiens ». Le Hamas palestinien a aussi exprimé ses craintes. Le parti islamiste chiite libanais Hezbollah a dénoncé « un complot dangereux visant la diversité religieuse dans plus d’un pays arabe et musulman ».
En Europe, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie ont fermement condamné l’attaque. Nicolas Sarkozy a dénoncé « un crime aveugle et lâche ». Le président des États-Unis, Barack Obama, a quant à lui déclaré que les auteurs n’avaient « aucun respect pour la vie et la dignité humaine », souhaitant que les responsables soient « jugés pour cet acte barbare et abject ». Il a également affirmé que son pays se tenait « prêt à offrir l’aide nécessaire au gouvernement égyptien ».
Camille le TALLEC avec Denise AMMOUN