CHAGALL : L'HOMME, LE PEINTRE, LE MARI ET LE MESSAGER
EMMANUEL GIRARD
Quarante ans ce n'est pas rien et cela se fête ! Ainsi, à l'occasion du quarantième anniversaire du musée national Marc Chagall, une exposition est totalement dédiée à l'artiste, associant Nice et le Grand Palais. Découverte de cette homme à la carrière impressionnante.
Surréalisme ? Néo-primitivisme ? Il n'a jamais été facile de rattacher l'oeuvre de Chagall à une école ou à un quelconque courant et c'est déjà cette première caractéristique qui le différencie des artistes de son époque, lui, le peintre juif originaire de Biélorussie. « Chromatisme onirique », voilà à quoi ressemblerait son œuvre.
Né à Liozna en 1887 et mort à Saint-Paul de Vence en 1985, il fut l'un des artistes les plus célèbres installés en France au XXe siècle dont son comparse Pablo Picasso avec qui il se noua longuement d'amitié, ainsi que le poète Blaise Cendrars (parfois plus connu sous les pseudonymes de Jack Lee, Diogène ou Freddy Sausey), l'un des seuls habitants de la Bohème parisienne parlant le russe. Souvent inspirée par la tradition juive et le folklore russe qui anima la plus grande partie de son enfance, son œuvre s'est aussi construite autour de la vision qu'il avait de lui-même, de ses convictions et de sa vie intime.
Mais cette année, le peintre renait de ses cendres grâce à l'exposition estivale Chagall devant le miroir, autoportraits, couples et apparitions, qui durera jusqu'au 17 octobre. Ainsi, une centaine d’œuvre seront présentées autour du thème de l’autoportrait qui a été le sujet le plus traité tout au long de la longue carrière de l'artiste. On y découvre par la-même ses interrogations sur son identité personnelle comme sur son rôle d’artiste, à travers de nombreuses peintures et dessins, où on le retrouve seul ou avec sa femme, sous l’apparence qu’on lui connait ou la forme imagée par laquelle il se perçoit.
Tour à tour réalistes, descriptifs ou mis en scène à la manière des peintres anciens, les autoportraits de Chagall offrent un éclairage unique sur le reste de son oeuvre, bien plus connu en revanche que sa mémoire intime.
SOUVIENS TOI QUE TU N'ES QU'UN HOMME !
Découpé en quatre sections, l'exposition pointe clairement du doigt les interrogations de l'artiste sur son statut tout au long de sa vie. La première partie pourrait ainsi se nommer « Memento mori », à savoir la locution latine « souviens- toi que tu mourras » ou encore « regarde autour de toi, et souviens-toi que tu n'es qu'un homme » (« Respice post te ! Hominem te esse memento ! »). En effet, cette première phase permet de découvrir les autoportraits de Chagall lorsque celui-ci se pose des questions sur lui-même, c'est à dire lorsqu'il s'interroge face à lui-même mais en tant qu'homme tout d'abord.
Devant sa glace, Moïshe Zakharovitch Chagalov se souvient qu'il n'est qu'un homme, un mortel, et que ses intérêts et activités ne sont que vanité. Alors Carpe Diem !
Par la suite, la seconde série d'autoportraits présente Chagall s'interrogeant cette fois-ci en tant que qu'artiste. On peut ainsi l'imaginer non plus devant un miroir scrutant la profondeur de son âme, mais plutôt devant son chevalier, un pinceau à la main... Lui-même disait cela : « Qu'est-ce que c'est artiste ? Qui est artiste ? Est-il possible que... moi aussi... ? ». Alors une réponse ? En effet, si l'on remonte au XIXe siècle, l'artiste est le contraire du bourgeois, son ennemi. Il déteste l'utile et le prosaïque. Il n'est pas soumis aux lois du travail. Qu'il soit ou non célébré, il porte en lui l'espoir d'un geste sublime. Et ce geste sublime, Marc Chagall l'a toujours eu...
SOUS LE MASQUE
Mais l'homme, l'artiste, est aussi un mari et la troisième section se concentre sur les autoportraits avec son épouse, Bella, morte subitement en 1944. « C'est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir, comme si elle veillait sur moi; j'ai senti que c'était elle ma femme, Je suis entré dans une maison nouvelle et j'en suis inséparable » disait-il. Amour fusionnel, amour sublime, elle était sa muse... Pour lui, le couple a toujours été une donnée très importante de sa vie privée mais aussi spirituelle. Et le mariage dans tout ça ? Un lien sacré.
Enfin, la plupart des artistes depuis la renaissance ont toujours aimés se déguiser ou revêtir une forme, un costume qui n'est pas le leur habituellement. C'est ici le sujet de la dernière section qui voit Chagall se représenter tantôt en animal, en instrument de musique, en clown ou encore en ange.
Marc Chagall, un messager de Dieu ? Possible, car miroir de son époque mais aussi de lui-même, son oeuvre restera pour l'éternité gravée dans la mémoire collective.