Hongrie : un ancien leader d'extrême-droite se convertit au judaïsme
Par Roland Gauron
Csanad Szegedi, ex-numéro deux du parti hongrois Jobbik, a dévoilé il y a un an les origines juives de sa famille, rescapée des camps de la mort.
Il y a un an, Csanad Szegedi était encore l'étoile montante de l'extrême droite hongroise. Âgé de 30 ans, il était le vice-président du Jobbik, le mouvement pour une meilleure Hongrie. Élu eurodéputé en 2009, il s'était illustré au Parlement européen dès la session d'ouverture, en revêtant à cette occasion l'uniforme noir des Gardes hongrois, dont il est l'un des fondateurs. Cette émanation paramilitaire, aujourd'hui dissoute par les autorités, était réputée pour semer la terreur dans les camps de Roms à travers le pays. Le Hongrois ne cachait pas non plus son antisémitisme. Seulement, en juin 2012, il dévoile ses origines juives que ses parents lui avaient jusqu'alors cachées. «C'est sûr, il va me falloir un certain temps pour digérer tout cela», admet-il publiquement quelques mois plus tard.
«J'avais peur de devenir schizophrène»
Sa vie a depuis radicalement changé. Csanad Szegedi s'est converti au judaïsme, raconte cette semaine le journal allemand Welt am Sonntag . L'ancien militant d'extrême droite était resté très discret et avait refusé de s'exprimer dans les médias. Il a profité de cette année pour faire le point et admettre qui il était: un Hongrois et un Juif. «Au début, j'avais peur de devenir schizophrène», explique-t-il. À présent, il pratique le Shabbat, se rend à la synagogue et apprend l'hébreu. Il s'est aussi initié au Talmud, l'un des textes fondamentaux du judaïsme rabbinique. Il essaie de suivre au quotidien les 613 commandements qui s'imposent à tout Juif orthodoxe. La transition n'a pas été facile. La cuisine casher, sans porc, ni salami et autres ingrédients qui font la gastronomie hongroise, n'a pas été facile à abandonner. «Le sevrage prendra du temps», admet Csanad Szegedi.
Une famille rescapée des camps
Cette année, il l'a consacré à l'histoire de sa famille et a interrogé sa mère et sa grand-mère. Il découvre que son grand-père a mené une autre vie avant la Seconde Guerre mondiale. L'homme a eu une première épouse avec qui il a eu deux enfants. Tous sont morts à Auschwitz. Veuf, Imre Meisels épouse selon le rite juif orthodoxe une autre rescapée des camps, Magdolna Klein. Le couple prend ensuite ses distances avec la religion. Marquée par la Shoah, la famille opte pour un autre nom. La mère de Csanad Szegedi n'apprend qu'à 14 ans le passé de la famille. Son père lui fait promettre de n'en parler à personne de peur que l'histoire se renouvelle. Elle se marie avec Miklós Szegedi. Le père de Csanad est prévenu des origines de la famille mais n'en tient pas compte. L'homme est pourtant un nationaliste convaincu. Quand son fils lui a annoncé sa conversion, il tente même de l'en dissuader.
«À la fin, vous haïssez la Terre entière»
Csanad Szegedi a fini par renier ses opinions passées. «J'ai fait du mal aux gens, convient-il. Quand je parlais de façon désobligeante de Juifs ou des Tsiganes, j'ai causé du tort à des enfants qui n'ont rien fait de mal.» Auparavant, à la tribune du Parlement européen, il n'hésitait pas à accuser «l'intelligentsia juive» de vouloir souiller le trône d'Étienne Ier, fondateur du royaume de Hongrie. «Vous commencez à haïr jusqu'au jour où la haine devient une fin en soi…, analyse l'ancienne figure politique. Au commencement, c'était “le crime des gitans”. Ensuite, c'est devenu l'antisémitisme, et après nous avons commencé à haïr les Roumains et les Slovaques, parce qu'ils ont persécuté la minorité hongroise dans leurs pays. À la fin, vous haïssez la Terre entière et la majorité de son propre peuple»
Dans un premier temps, la nouvelle n'avait pourtant pas semblé ébranler les convictions de l'eurodéputé. «Cela ne change rien à mon engagement politique, expliquait-il en juin 2012. Cette affaire a été montée pour nous déstabiliser: heureusement, cela n'a pas fonctionné.» Les révélations sur ses origines avaient été orchestrées par un rival qui lui disputait l'hégémonie au sein du parti dans un fief de l'extrême droite. Le Jobbik avait finalement exclu le délateur. «C'est bien la preuve que nous n'avons rien contre les juifs», claironnaient les dirigeants du parti. Mais ses amis du Jobbik se sont finalement détournés de lui. «La meilleure solution serait que l'on t'abatte. Comme ça, on pourrait t'enterrer en bon Hongrois», lui aurait dit un soi-disant proche. Un autre lui demande de s'excuser publiquement. Il raconte alors sa réaction: «J'ai pensé: attends une minute, je suis censé m'excuser du fait que ma famille a été tuée à Auschwitz?»