Fusillade de Tucson: La virulence du débat politique, terreau de la violence à l'encontre des politiques?
ETATS-UNIS - Pour les experts, la radicalisation du débat politique est nouvelle, et pourrait avoir contribué au déclenchement de la tuerie de samedi dernier...
La violence du débat politique Outre-Atlantique a-t-elle provoqué la tuerie de samedi à Tucson, ou au moins entraîné le passage à l’acte de Jared Loughner, le tireur? La polémique enfle aux Etats-Unis. Particulièrement pointée du doigt, l’ex-candidate à la vice-présidence et désormais tête d’affiche du Tea Party, Sarah Palin, qui s’affiche les armes à la main dans ses meetings et fait fréquemment usage d’un vocable militaire. Sa carte des vingt Démocrates à abattre lors de l’élection de novembre dernier, où les candidats, parmi lesquels Gabrielle Giffords, étaient localisés par le viseur d’un fusil à lunette, est également au centre de la controverse.
«Obama est perçu comme un dictateur»
Pour Thomas Snegaroff, historien, spécialiste des Etats-Unis, auteur de Faut-il souhaiter le déclin de l’Amérique? (Larousse, 2009), il est cependant «très difficile de faire un lien direct» entre la virulence politique et la fusillade. L’expert convient d’une «radicalisation du discours politique depuis l’élection de Barack Obama» dans un pays où plusieurs présidents ont été assassinés, mais souligne que le débat politique était déjà très virulent auparavant. «C’est cette radicalisation qui est nouvelle.»
Un constat que fait également François Durpaire, spécialiste des Etats-Unis (Paris I): «Il y a une radicalisation à l’extrême, non pas parce que Barack Obama est noir, mais parce que c’est un président qui mène une politique de gauche», c’est-à-dire qui restaure le rôle de l’Etat fédéral. «Ce choix d’un retour à un état fédéral fort entraîne une crispation chez les conservateurs, qui le vivent comme une suppression de leurs droits fondamentaux. Obama est perçu comme un dictateur, c’est pour cela que des manifestants l’ont par exemple affublé d’une moustache à la Adolf Hitler.»
«Deux visions de l’Amérique qui s’affrontent»
«Ce sont deux visions de l’Amérique qui s’affrontent depuis longtemps», reprend Thomas Snegaroff. «Cela a toujours eu lieu, mais le changement que veut insuffler Obama conjugué à la crise économique font que la situation devient explosive.» En effet, la situation économique et sociale américaine, avec un taux de chômage qui frôle les 10% de la population active depuis plusieurs mois, rend «la population plus perméable à ce type de discours haineux».
Et les premiers éléments qu’ont rassemblés les enquêteurs sur Jared Loughner – notamment des vidéos où il divague sur la grammaire ou la monnaie américaine, et accuse le gouvernement fédéral de «lavage de cerveau» - semblent attester de son instabilité psychologique. Il se positionne contre le «big government», soit toute ingérence de l’Etat ou de l’Etat fédéral dans les droits fondamentaux des Américains.
Un crime antisémite?
Le tireur aurait de plus des liens avec American Renaissance, un magazine qui prône la suprématie blanche et l’antisémitisme. Or, Gabrielle Giffords est la première femme juive d’Arizona élue au Congrès américain. «L’enquête est en cours, mais il peut y avoir un lien entre la fusillade et l’antisémitisme», indique François Durpaire.
«Dans ces groupuscules, l’opposition au “big government” se couple avec un aspect racial. D’autant plus dans les Etats comme l’Arizona, qui sont frontaliers du Mexique, où les blancs se sentent minoritaires, non seulement sur le plan démographique, mais aussi du pouvoir politique – avec un président noir, une représentante au Congrès juive.» Un mélange explosif.
Bérénice Dubuc