Pour avancer, il faut dévoiler le «Secret» de l’islam
Les élites des pays démocratiques se muent en gardiennes du «Secret », soit les versets violents contenus dans le Coran. Selon Daniel Sibony, elles enferment ainsi les musulmans dans leur identité et font le jeu du radicalisme.
Depuis que je m’intéresse à la question de l’islam, je me pose la même question: pourquoi lors des multiples polémiques qu’ils traitent, les journalistes n’interrogent-ils jamais leurs interlocuteurs musulmans sur leurs textes et en premier lieu le Coran? Pourquoi ne prennent-ils pas la peine de se renseigner là où chacun peut le faire? Et plus globalement, pourquoi les élites des pays démocratiques dans leur ensemble font-elle de même?
C’est qu’il existe selon Daniel Sibony un «Secret» bien gardé, à savoir les dizaines de versets qui expriment une «vindicte» contre les juifs, les chrétiens et les non-musulmans (dont le djihad, mais ce mot est banni du livre). (1) L’auteur traite de cette question par un biais psychanalytique, avec une belle volonté de relier nos deux cultures. On peut inclure dans sa démonstration le traitement des femmes.
Deux «culpabilités narcissiques» se tiennent par la barbichette dans cette histoire. D’une part celle de l’Occident qui vise à défendre les musulmans au nom de son passé coupable -shoa, colonisation- et de ses valeurs supérieures. Débattre de ces versets qui excluent l’autre, ce serait «stigmatiser », qui plus est une minorité. Et les minorités, on se fait un devoir de les protéger…. fut-ce contre elles-mêmes. C’est un certain mépris que les élites occidentales expriment ainsi, qui sous-entend que les musulmans sont incapables d’affronter ce problème. Or, Daniel Sibony en est convaincu, ils le sont.
Pieux mensonges
L’Occident soucieux de sa belle image les enferme ainsi dans leur identité fondamentale, au besoin par de pieux mensonges. Malek Chébel Gilles Kepel ou Tarek Obrou, fervents partisans de la rencontre des cultures, partagent cette «peur de dire» et utilisent divers stratagèmes pour n’avoir pas à dévoiler le «Secret ». L’ONU de son côté participe activement à fixer dans le marbre l’interdiction de parler du contenu violent du Coran.
La culpabilité narcissique des musulmans de son côté se traduit par la conviction que leur religion est supérieure et par la crainte que la reconnaissance et la relativisation de ces versets n’altèrent leur identité. De plus, face à une élite si compréhensive, «pourquoi brader ses origines, son âpreté, sa pureté, sa perfection, si on peut les garder et en même temps bénéficier de l’intégration ? », questionne l’auteur.
Et pourtant, beaucoup de musulmans, une grande majorité pense Sibony, ont un réel désir de vie pacifique et même conviviale avec les autres. Ils ne sont pas responsables de versets écrits il y a plus d’un millénaire. Il n’est pas question qu’ils modifient leur Texte, mais ils pourraient entretenir un autre rapport avec lui. Cet autre regard permettrait de «reconnaître la violence -extrême- de l’acte fondateur, et de dire qu’elle est obsolète, qu’on n’en est plus là, plutôt que de laisser les extrémistes la mettre en œuvre». Car le maintien du tabou, ce sont surtout les musulmans qui en souffrent, ils sont facilement pris en otage par les fondamentalistes qui les somment de défendre leur Texte sous peine d’être pris pour des traîtres. Les élites tendent au final à renforcer les rangs des plus radicaux.
Seuls les «islamophobes» désirent éventer le «Secret »
Ces gardiens du Secret doivent exercer une forte pression pour empêcher qu’il ne soit dévoilé. Ils ont fait en sorte qu’évoquer le Coran et sa vindicte, c’est passer pour islamophobe, voire raciste. Au nom de la laïcité, les mêmes disent qu’on n’a pas à se mêler du contenu des textes. Ce qui aboutit à ce paradoxe : «… si quelqu’un dit que les juifs sont des pervers, il encourt une peine de prison, mais s’il enseigne à cent adeptes du Coran que celui-ci tient les juifs pour des pervers, il ne fait que transmettre un texte sacré.»Sibony pose la question clairement : «Faut-il enseigner dans les écoles coraniques des textes appelant à la haine des autres?»
Ces élites frappées de culpabilité narcissique sont conduites à limiter de plus en plus la liberté d’expression au point de faire régner un «totalitarisme affable, débonnaire, souriant».
Benoît XVI a cru pouvoir éventer le secret à Ratisbonne. Il a dû rapidement battre en retraite. Sibony, juif qui a passé son enfance au Maroc, et ne manie pas (trop) l’angélisme observe : «La culpabilité narcissique cautionne la logique de l’ameutement qui tout au long des siècles, en terre d’islam, a dénoncé ceux qui mettent le Texte à distance.»
Des foules «inflammables »
Le psychanalyste ne semble pas toujours convaincu de ses propres thèses. A propos des caricatures danoises, il cite Tarek Oubrou. Celui-ci se prononce sans hésitation pour la liberté d’expression, mais regrette que Charlie Hebdo ne jette de l’huile sur le feu. Sibony observe: «Le problème, c’est que le feu est déjà là, depuis toujours : ces foules sont déjà en feu ou inflammables dès qu’on parle de leur religion sur un mode qui n’est pas le leur (…) Mais il adoucit le constat : «Mais peut-on reprocher à des millions de gens de réagir impulsivement sans se demander d’où vient cette impulsion ni pourquoi elle est irrésistible ? Et si c’était la manière qu’avaient ces masses de soutenir leur tradition et d’aimer leur Texte dans sa globalité, avec ou malgré toute sa fureur contre l’ «insoumis»? »
Cette toile épaisse que font peser les élites occidentales -dont une immense partie des journalistes- , étouffante pour les esprits libres, est un fait indiscutable. Moins convaincante en revanche est l’idée qu’une grande partie des musulmans souhaitent lever ce « Secret » et lire d’un autre œil leur Texte. Sibony met délibérément de côté, dans tout son ouvrage, la croyance absolue que le Coran est mot pour mot la parole d’Allah. Et sa conséquence : l’extrême difficulté à accepter toute exégèse. Bien des érudits musulmans se sont lancés dans l’exercice sans acquérir la moindre influence. De même, la confrontation avec l’histoire semble aujourd’hui encore impossible.
Pourtant, il est clair que la levée du tabou, un exercice que nos sociétés adorent habituellement, engendrerait un espoir nouveau, un débat obligé. Des lois pourraient aussi y contribuer. Et aussi l’ONU. Je pense souvent à cette proposition que faisait David Littman, infatigable défenseur des droits de l’homme, dans cette enceinte : «Pourquoi ne pas voter une résolution stipulant : il est interdit de tuer au nom de Dieu.»?
(1) «Islam, phobie, culpabilité », éditions Odile Jacob, octobre 2013
Mireille Valette