Le dilemme gronde (info # 011607/14)[Analyse]
Par Stéphane Juffa © MetulaNewsAgency
Au neuvième jour de Rocher Inébranlable, alors que la société israélienne et son gouvernement sont partagés sur la façon de terminer le conflit avec le Hamas et que les roquettes des djihadistes continuent d’être lancées sur le territoire israélien, il est temps de procéder à une petite analyse.
Pour relever, d’abord, que la "proposition égyptienne", soutenue officiellement par la Ligue arabe, un "détail" qui échappe globalement, comme beaucoup d’autres choses, à la presse française, satisfait aux attentes de l’Etat hébreu ainsi qu’à celles des grands pays sunnites avoisinants.
On peut la résumer simplement en disant qu’elle envisage un arrêt des hostilités, le reste étant à l’avenant et ne recèle aucun élément essentiel.
Si les conditions de cette proposition étaient réalisées, on reviendrait à la situation qui prévalait avant l’ouverture des hostilités, sur la base du principe : personne ne tire sur personne. Mais Israël sortirait de l’affrontement en cours pratiquement indemne alors que le Hamas serait amené à régner sur une bande de terre ravagée, connaissant des problèmes d’approvisionnement en eau et en électricité, des centaines de bâtiments publics et privés dévastés, et surtout, il ne disposerait plus que d’un système de défense amoindri, avec des infrastructures sévèrement endommagées, des stocks d’armes entamés et des pertes conséquentes parmi ses miliciens.
Il ne disposerait pratiquement plus de tunnels sous la frontière égyptienne, indispensables à son réapprovisionnement en armes et en munitions, et ses caisses demeureraient désespérément vides, ne lui permettant pas de payer la solde de ses miliciens et des fonctionnaires de son califat.
Dans cette situation, il ferait face à de grosses difficultés pour se réarmer et menacer à nouveau ses voisins israéliens. Plus encore que sur le seul plan technique, le Mouvement de la Résistance Islamique serait amené à réfléchir logiquement avant de se lancer dans une nouvelle confrontation avec Israël. Car si un nouvel affrontement avec les Hébreux devait se solder par les mêmes résultats qu’actuellement, il est difficile d’y trouver le moindre intérêt. Ce, même pour une organisation islamiste, dont les motivations et les finalités divergent diamétralement de ce que l’on imagine habituellement derrière le mur de la pensée rationnelle occidentale.
Pour commencer à essayer d’y comprendre quelque chose, il faut être capable d’imaginer que les milices islamistes de Gaza fonctionnent strictement sur le même mode opératoire que le Califat Islamique, anciennement Etat Islamique en Irak et au Levant. Il faut accepter le fait – et je conçois que ce n’est pas aisé – que l’objectif d’Hanya et de Mashal ne consiste pas à assurer le bien-être des habitants de Gaza mais à étendre la loi d’Allah sur la planète entière, en commençant par l’Autorité Palestinienne, Israël et l’Egypte, les entraves immédiates à leur projet.
Nous, de noter aussi que le Hamas ne désirait pas ce conflit, il s’y est laissé entraîner par une cascade d’événements qu’il n’avait pas voulus. Ce qu’il était en train de réaliser, c’était son retour en Cisjordanie par des moyens non violents, avec des chances réelles d’y supplanter à moyen terme le Fatah. Pour y parvenir, la dernière chose dont il avait besoin, c’était Rocher Inébranlable et sa mise sur la touche de la société palestinienne et du monde arabe.
Il a été trahi par l’une de ses cellules insignifiantes à Hébron, qui a pris à la lettre son injonction permanente de kidnapper des soldats ou des civils sionistes. Hanya et sa branche armée n’ont donné aucun ordre spécifique aux terroristes qui ont enlevé et assassiné les trois étudiants torahniques.
Il a subi le poids de ses erreurs lorsque le gouvernement Netanyahu a profité de la situation pour démanteler le réseau d’activistes politiques que le Hamas avait difficilement réussi à réintroduire en Judée-Samarie. A ce niveau, pour les djihadistes de Gaza, tout est à recommencer.
Il a tout perdu lorsque l’exécutif de Jérusalem, plus par vengeance que par calcul, car il n’était pas non plus intéressé par un nouvel affrontement généralisé, a pris la décision de faire payer au Hamas de Gaza le prix fort pour le crime perpétré par sa cellule d’Hébron en lançant des raids limités sur la Bande.
Des raids qui ont dégénéré, lorsque le Djihad Islamique ainsi que la branche "militaire" du Mouvement de la Résistance Islamique, n’écoutant pas Ismail Hanya, ivres du récit des succès de DAECH, ont élevé le niveau du feu et provoqué le conflit actuel.
Cela ne fait pas des dirigeants du Hamas des gens sympathiques ou fréquentables : si leur ambition dépassait le principe du Djihad, ils auraient employé leurs moyens à construire un Etat musulman modèle à Gaza; une entité qui aurait servi d’exemple et éveillé l’envie des croyants en Cisjordanie, en Arabie Saoudite et en Egypte. Mais ils ont coulé assez de béton dans leurs tunnels et leurs villes souterraines pour construire à Gaza-city les plus hauts gratte-ciel du Moyen-Orient.
Ce, encore, dans un but uniquement tactique, dénué du moindre plan stratégique : ils n’ont en effet pas acquis les armes nécessaires pour avancer d’un seul mètre en direction de Tel-Aviv. Les deux seuls objectifs qu’ils n’ont cessé de poursuivre consistaient à tuer le plus de Juifs possibles et à édifier un réseau de défense contre d’éventuelles incursions de l’Armée israélienne.
Même dans ces projets, ils ont lamentablement échoué : lancer 1350 roquettes pour tuer un civil et blesser 17 autres personnes, sans anéantir le moindre char, sans endommager le moindre édifice public, sans parler d’affaiblir Tsahal, voilà de l’argent, du temps et des hommes terriblement mal investis.
Quant à résister à Tsahal, je me contenterai d’affirmer que ses divisions mettraient moins d’une heure pour atteindre la mer en sectionnant la bande côtière d’est en ouest à divers niveaux, et deux jours tout au plus pour occuper le QG des djihadistes au cœur de Gaza-city. En 2009, lors de l’offensive terrestre israélienne Plomb durci, qui s’était arrêtée à moins de 100 mètres du QG du Hamas, les pertes des Tsahal furent négligeables. Et je ne suis au courant d’aucun fait nouveau qui serait de nature à modifier le rapport de force si le gouvernement devait à nouveau décider d’une attaque au sol.
Forts de ces connaissances, on peut légitimement se demander pourquoi Israël n’a pas encore lancé ses Merkava à la conquête de Gaza.
Il faudra peut-être s’y résoudre, mais l’occupation de la bande côtière n’est pas le souci principal de l’exécutif ni celui de l’état-major de l’Armée. La question, c’est ce que l’on fait "après". Israël n’aurait pas uniquement l’obligation – cela fait partie des conventions internationales – de nourrir et de soigner une population démunie d’un million trois-cent-mille Gazaouis ; elle devrait aussi démanteler et détruire chaque cache d’armes, mettre la main sur cinquante-mille terroristes ayant pris le maquis, les interroger les uns après les autres et construire et entretenir de gigantesques prisons pour les accueillir.
De plus, il faudrait recourir, comme en 2009 et même plus, à des destructions massives sans pouvoir éviter de toucher des centaines de victimes collatérales, dont les images, exploitées par les media hostiles auraient vite fait de retourner l’opinion mondiale contre Jérusalem, et de la ré-isoler, alors qu’est en train de se former une alliance de facto avec les pays arabes environnants et que les Etats civilisés lui reconnaissent le droit de défendre ses citoyens.
De l’avis de Jean Tsadik, qui en connaît un rayon en la matière, il faudrait un an et demi à deux ans et des moyens extrêmement considérables pour mettre Gaza au pas et assurer – à la fin de cette période uniquement – que les agglomérations israéliennes cessent d’être prises pour cibles par les terroristes de la bande côtière.
En fin de compte Israël, qui n’a strictement aucun intérêt à occuper durablement Gaza, n’aurait de solution que d’en remettre les clés à Mahmoud Abbas, comme le préconise Sami El Soudi depuis plusieurs années dans ces colonnes.
Or sur la base de la "proposition égyptienne", il est théoriquement possible d’obtenir le même résultat sans devoir procéder à la réoccupation totale de la Bande. Il suffit, en principe, de continuer le pilonnage systématique des points d’appuis du Hamas, en lançant, si cela est nécessaire, des opérations au sol extrêmement limitées, destinées à anéantir ce qu’il n’est pas loisible de détruire depuis les airs.
Et nous nous trouvons actuellement, grâce au Dôme de Fer, dans la dynamique d’un combat de boxe, dans lequel l’un des combattants donne des coups sans en recevoir, tandis que l’autre en prend plein la tête, sans être capable de toucher son adversaire. Un moment donné, celui qui subit va s’écrouler, il suffit de continuer de le frapper. Lorsqu’il sera à bout, il jettera l’éponge ; dans le cas du Hamas, cela signifie qu’il n’aura plus d’autre solution que celle d’accepter la "proposition égyptienne", et de transférer graduellement les clés du pouvoir à Abou Mazen, en commençant par le contrôle des postes frontières par ses policiers.
Cela peut prendre une semaine ou même le double, ce n’est pas fondamental, car, d’un strict point de vue tactique, la guerre d’usure qui se déroule depuis neuf jours, grâce au Dôme de Fer, bénéficie à Israël.
Dans le cadre actuel de la confrontation, Hanya manque d’images de civils déchiquetés pour les présenter aux caméras, au point qu’il doit en emprunter aux archives des autres guerres. 215 morts à Gaza, dont 140 miliciens, les media français mentent aussi sur ce point, contre 190 000 en Syrie ; il faut être un fieffé antisémite pour ne pas constater la différence et nous accuser d’inhumanité. J’ai même entendu hier un intellectuel arabe sur Aljazzera affirmer que "les soldats syriens ont tout à apprendre de Tsahal quant au comportement à avoir dans une guerre".
La guerre d’usure, c’est la voie suivie par Binyamin Netanyahu et on ne peut pas lui donner entièrement tort. Mais il est fort disputé au sein même du cabinet politico-sécuritaire restreint, notamment par Avigdor Lieberman et Naftali Bennett. Le premier multiplie les interventions publiques affirmant qu’il est indispensable d’entrer à Gaza et d’équarrir le Hamas, sans se soucier de semer la division en plein conflit.
Sur le fond, les deux points de vue se tiennent. Pour les ministres de la droite du 1er ministre, dont l’opinion est partagée par la majorité de la population, la poursuite des tirs sur les villes israéliennes est insupportable.
Car il existe des différences radicales entre une guerre et un combat de boxe ou une partie d’échecs. Les arguments des va-t-en-guerre tendent à prouver que la fonction primordiale d’une armée consiste à protéger les habitants d’un pays et, qu’en se cantonnant dans une guerre d’usure, elle ne fait pas son travail tant qu’elle n’empêche pas, par tous les moyens à sa disposition, l’ennemi de tirer des roquettes sur les citoyens israéliens.
Ce qui les irrite particulièrement est qu’il ne fait aucun doute que Tsahal possède ces moyens et qu’elle est capable de mettre fin aux activités du Hamas en l’espace de quelques jours. D’ailleurs, l’état-major de l’Armée a annoncé qu’il était prêt à intervenir au sol à Gaza mais que la décision dépendait des autorités politiques.
Une "petite" organisation terroriste tire ce mercredi la bagatelle de 70 fusées sur les villes israéliennes (dont 26 interceptées par les Dôme de Fer), interrompt l’activité normale de tout un pays, terrorise la population et Tsahal se préoccupe de tactique.
A Ashkelon, hier, six roquettes ont été interceptées en l’espace de quatre minutes. Il y a deux heures, trois autres ont été abattues, mais, chaque fois, les gensdoivent abandonner les espaces ouverts pour courir aux abris. De plus, à trois reprises, dans cette ville uniquement, les projectiles sont passés au travers, détruisant des maisons et blessant des habitants.
Et puis, Tsahal est limité par le gouvernement à un rôle tactique, à l’instar du Hamas, sans la moindre perspective stratégique. Les analystes dont je suis, font remarquer qu’il passera encore beaucoup d’eau sous les ponts avant qu’une situation aussi propice à se débarrasser des djihadistes ne se présente à nouveau : l’Egypte est pour l’élimination des terroristes de Gaza, la Jordanie aussi, le Hezbollah libanais est occupé en Syrie et ne peut ouvrir de second front au Nord, la Syrie d’al Assad est empêtrée dans sa Guerre Civile, l’Iran, en Syrie et en Irak, et le Hamas est à genoux.
L’approche stratégique pose la question : voulez-vous indéfiniment vivre à côté d’un mini-régime qui essaie, à chaque occasion, de tuer vos concitoyens ?
Ainsi que celle-là : même en situation de légitime défense, êtes-vous obligés de vous contenter de tenter de contenir ceux qui vous agressent sans cesse ? Même si le coût est élevé, le temps n’est-il pas venu de débarrasser Israël de cette menace constante sur son front-sud, seule façon d’assurer durablement une existence paisible aux habitants du pourtour de Gaza, existence à laquelle ils ont indiscutablement droit ?
Toujours dans la perspective stratégique, on peut affirmer que l’ordre que Tsahal pourrait instaurer dans la bande côtière est incontestablement préférable à la situation incertaine qui s’établirait suite à une hypothétique mise en oeuvre de la "proposition égyptienne". En précisant que le Hamas a rejeté ladite proposition, et, qu’en suivant la voie empruntée par Netanyahu, la tragi-comédie en cours pourrait se prolonger deux semaines encore et que cela donne aux Israéliens l’impression d’être mal ou pas gouvernés du tout.