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Poutine et l’économie russe en route vers l’impasse(info # 011508/14)[Analyse]

Par Sébastien Castellion© MetulaNewsAgency

 

La semaine dernière (6 août), le président Poutine - en réponse aux sanctions prises contre la Russie par des Etats de l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon, a signé un décret interdisant l’importation de certains produits agricoles en provenance de pays ayant adopté des sanctions contre la Russie. Les Russes devront donc dire au revoir au foie gras français, aux saucisses allemandes, au saumon norvégien et aux produits laitiers américains.

 

Ces sanctions sont très sélectives : le Coca-Cola et les bières irlandaises, par exemple, resteront autorisés à l’importation. Leur effet total sur les économies occidentales sera négligeable : les producteurs de saumon norvégien ne sont certainement pas satisfaits, mais ils ont déjà reçu des offres pour diriger leur production vers d’autres marchés. Le même phénomène se produira pour les autres secteurs touchés. Dans le jargon économique, on dit que le marché de la nourriture est très peu élastique : si un produit chinois ou brésilien vient remplacer un produit américain ou européen sur le marché russe, il laissera une demande insatisfaite ailleurs vers laquelle les exportateurs occidents pourront se diriger.

 

Enfin, les sanctions de Poutine ont une apparence nettement grotesque, dont l’humour populaire russe s’est immédiatement emparé. La dernière plaisanterie en cours à Moscou est que le président a voulu prouver qu’il est l’égal des dirigeants occidentaux en infligeant, à son tour, des sanctions contre la Russie.

 

Au-delà de l’anecdote, cependant, il est parfaitement exact que le régime de Poutine – après avoir, au cours de la première décennie du siècle, plutôt bénéficié à l’économie russe – est désormais devenu un obstacle au développement économique du plus vaste pays du monde.

 

Les difficultés économiques de la Russie seront naturellement aggravées par les sanctions occidentales qui ont frappé quelques dizaines de proches de Poutine ; deux banques, Gazprombank et Veshnekombank ; deux grandes entreprises énergétiques, Rosneft et Novatek ; et, depuis le 25 juillet dernier, dix-huit autres entreprises de secteurs stratégiques.

 

A moyen terme, la fin de la coopération avec les Etats-Unis dans les technologies énergétiques ne peut que nuire au développement de la Russie, dont l’économie reste extrêmement dépendante de l’énergie. Avant la crise ukrainienne, Rosneft et Exxon-Mobil étaient tombés d’accord sur la création d’une entreprise commune pour l’extraction de nouvelles ressources en hydrocarbures dans l’Arctique. Sans l’apport de technologie américaine, le projet ira bien plus lentement, s’il ne sera pas tout simplement annulé.

 

Plus profondément, cependant, le principal effet du régime Poutine sur l’économie russe aura été de rejeter le modèle de développement qui avait commencé à intégrer la Russie dans l’économie mondiale et de replier le pays sur un idéal d’autosuffisance, qui a, dans l’histoire économique de la planète, toujours conduit à l’échec.

 

Il n’en a pas toujours été ainsi. Au cours de ses premières années de pouvoir, au tournant du siècle, Poutine a considérablement aidé l’économie russe pour une raison simple : il a rétabli l’ordre. Sa prise de pouvoir, contre les oligarques qui s’étaient partagé les dépouilles de l’économie russe au cours des années 1990, a permis de restaurer un Etat à peu près fonctionnel en rétablissant des entrées fiscales qui s’étaient largement taries sous le président Eltsine. Elle a réduit les flux de capitaux sortant du pays et créé les bases de nombreux investissements étrangers en Russie.

 

Sous l’inspiration notamment de l’actuel Premier ministre Alexandre Medvedev, le régime Poutine avait même commencé à diversifier son économie au cours de la décennie 2000, ajoutant au secteur énergétique des investissements non négligeables dans les technologies de l’information, les nanotechnologies et autres secteurs de pointe.

 

Certes, le régime Poutine n’était pas le seul facteur de la forte croissance russe pendant la précédente décennie. La forte augmentation des prix du pétrole et du gaz a probablement, au total, joué un rôle plus important. Il reste que même cette soudaine abondance n’aurait pas pu profiter autant à l’économie russe sans le rétablissement simultané d’institutions à peu près fonctionnelles.

 

Progressivement, cependant, la prise de pouvoir qui avait commencé par rétablir un climat d’affaires plus serein s’est transformée en une prise de contrôle directe, par le Président Poutine et les hommes de son clan, des secteurs susceptibles d’apporter les rentes les plus juteuses à ceux qui peuvent les contrôler sans avoir à se soucier du droit, des juges ou de l’opinion publique : énergie, ressources minières et banques.

 

Près de la moitié du secteur pétrolier et des banques appartiennent désormais à l’Etat. Les acteurs privés qui restent en place savent que leurs droits de propriété ne seront pas protégés, le cas échéant, contre les appétits du pouvoir. Ils sont donc contrôlés en pratique eux aussi, malgré l’absence de liens de capital, par le clan Poutine.

 

L’insécurité juridique qu’entraîne le contrôle des secteurs stratégiques de l’économie par une clique placée au-dessus des lois provoque automatiquement une baisse des investissements, à mesure que les investisseurs potentiels s’aperçoivent qu’ils risquent de tout perdre sur un caprice du prince.

 

A cet égard, l’expropriation, le 25 octobre, de la société pétrolière Yukos – dont le principal actionnaire, Mikhail Khodorkovsky, avait été dûment jeté en prison pendant dix ans – a servi d’avertissement à tous ceux qui auraient eu la tentation de faire confiance aux institutions russes pour protéger leurs droits de propriété.

 

Les résultats sont là. Alors que la production pétrolière russe avait augmenté de 50% entre 1999 et 2004 (les cinq premières années de la présidence Poutine), elle n’a augmenté que de 10% dans les dix années qui ont suivi. La production gazière, pour sa part, a presque entièrement stagné en dix ans (cf. les statistiques de l’agence internationale de l’énergie).

 

Cette relative stagnation de la production russe a eu lieu au moment même où, dans le reste du monde, la généralisation de nouvelles technologies d’extraction conduisait à une forte augmentation de la production. Les mêmes statistiques montrent que, dans les dix dernières années, la production du pétrole aux Etats-Unis a augmenté de 50% et celle du gaz, de plus de 20%.

La valeur des grandes entreprises russes d’hydrocarbures traduit ce recul technologique et l’inquiétude des investisseurs face aux institutions russes. Gazprom, le quasi-monopole gazier confié à l’ami de Poutine Alexei Miller, avait une valeur de marché de 360 milliards de dollars en 2007 et ne vaut plus que 77 milliards aujourd’hui. Rosneft, le premier producteur mondial de pétrole (dirigé par un autre ami du prince, Igor Setchine) vaut 58 milliards de dollars ; par comparaison, l’américain Exxon-Mobil, qui produit moins de pétrole et possède moins de réserves, est évalué à 422 milliards.

 

Quant aux nouvelles technologies, longtemps promues par Alexandre Medvedev, elles n’ont jamais réellement décollé. Les instituts universitaires de Saint-Pétersbourg et Nijni-Novgorod continuent à produire d’excellents informaticiens, mais les meilleurs d’entre eux poursuivent ensuite leur carrière à San Francisco ou Tel-Aviv. Rusnano, le fonds d’investissement dans les nouvelles technologies créé en 2007 pour promouvoir le développement des nanotechnologies, n’a pas dépassé le stade expérimental.

 

Tout cela ne gêne pas outre mesure le président russe. Poutine n’a pas pour objectif d’enrichir la Russie. Son but est de rester au pouvoir et il utilise pour cela deux moyens : une dose régulière de propagande obsidionale - « l’Occident est l’ennemi et nous sommes assez forts pour lui tenir tête » -, et une distribution systématique de prébendes pour servir son clan et acheter ceux qui pourraient devenir ses ennemis.

 

Dans un tel système, les nouvelles technologies, qui progressent par des échanges quotidiens entre spécialistes de divers pays et diverses cultures, sont plus dangereuses qu’utiles. La valeur des entreprises d’hydrocarbures ne se mesure pas à leurs avancées technologiques ou à leur valeur de marché, mais à leur disponibilité pour contribuer des fonds aux institutions et aux personnes désignées par le prince.

 

Le président cherche parfois à rationaliser ses choix économiques en sortant de la naphtaline la théorie économique dite « d’autarcie », qui voudrait que l’on puisse retrouver la croissance en substituant, chaque fois que possible, les produits importés par des produits nationaux, sous la haute direction de l’Etat. Son conseiller économique le plus en vue, Sergeï Glazev, est régulièrement mis à contribution pour publier des interviews ou des articles défendant cette théorie, qui a été constamment démentie par l’histoire économique.

 

Il est peu probable, cependant, que Glazev ou Poutine croient leurs propres paroles quand ils affirment qu’isoler le pays améliorera son économie. La Russie n’est pas victime de théories économiques erronées. Elle est victime de priorités politiques qui condamnent le régime à dépendre des ressources en hydrocarbures pour survivre, et tout le pays à voir s’aggraver régulièrement son retard technologique et son isolement politique.

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