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L'inquiétant exode des juifs de Toulouse

 

 

Les candidats à l'immigration en Israël, «l'alyah» en hébreu, sont de plus en plus nombreux. La communauté juive de Toulouse tire le signal d'alarme.

Les attentats de Toulouse et de Bruxelles, la recrudescence des actes et des propos antisémites mais aussi la stagnation économique de la France justifieraient, selon les témoignages des migrants, ces départs massifs vers l'eldorado israélien. C'est le cas d'E., un médecin gériatre de 52 ans, parti avec son épouse et ses trois enfants le 31 juillet dernier, au plus fort du conflit israélo-palestinien. «Nous sommes arrivés à Tel-Aviv un jeudi à minuit ; à 6 heures du matin, nous étions déjà dans un abri» raconte-t-il. Son alyah, il y songeait depuis longtemps : «La première raison, c'est l'envie de vivre une vie juive pleine et entière ; la deuxième, c'est la difficulté à mener cette vie juive en France. J'en ai assez de justifier mes actes ou d'être stigmatisé. Par ailleurs, j'ai été extrêmement choqué par la violence de certains propos et actes antisémites commis en marge des dernières manifestations de soutien à la Palestine. Oui je suis Français et je le resterai ; oui je continuerai à payer mes impôts en France. Mais je préfère vivre là-bas sous la menace des bombes qu'ici avec la bénédiction des insultes.» Et il ne regrette pas de «repartir de zéro» ou apprendre l'hébreu — une obligation pour chaque migrant — pour pouvoir exercer son métier : «Jamais je ne retournerai en France !»L'alyah ou alya, terme hébreu qui désigne l'immigration des juifs en Israël, serait-il devenu le nom d'un nouvel exode ? Autrefois marginale, l'installation des juifs français en Israël constitue aujourd'hui un véritable phénomène au point d'inquiéter les responsables de la communauté juive de Toulouse. Cette année, des dizaines de Haut-Garonnais sont partis s'y établir définitivement : vingt-sept familles au printemps dernier et une quinzaine d'autres depuis le début de l'été, les deux grandes périodes d'alyah. Et c'est encore plus qu'en 2013.

L'État hébreu ne serait pas le seul foyer d'accueil des juifs migrants. Londres ou New-York constitueraient d'autres foyers d'adoption, essentiellement pour des raisons économiques. «On dit souvent que la communauté juive de Toulouse représente environ 20 000 personnes, explique l'un de ses représentants. Mais ça, c'était il y a vingt ans. Aujourd'hui, on est plus proches des 10 000.» Pour E., la situation est critique : «L'année dernière, seulement deux mariages ont été célébrés à Toulouse. À ce rythme, nous ne serons plus que 2 000 dans dix ans.» Un membre de la communauté le résume autrement : «Un pays qui perd ses juifs n'est jamais en bonne santé».

L'alyah ou la «montée» en Israël

«Alyah» signifie «montée» ou «ascension», en référence à la ville de Jérusalem entourée de collines. Votée en 1950, la Loi du retour garantit à tout juif le droit d'immigrer en Israël. Seuls peuvent en bénéficier les juifs mais aussi les enfants, petits-enfants et conjoints de juifs. Un organisme dédié, l'Agence juive, prend en charge le processus d'installation et de naturalisation. Elle attribue notamment une aide financière à chaque famille sous la forme d'un «panier d'intégration» : par exemple 35 000 shekels (environ 7000 euros) pour un couple et 10 000 shekels (environ 2000 euros) pour un enfant de moins de 4 ans.

«Le climat était devenu invivable»

Jérôme a quitté la banlieue toulousaine il y a un an, à l'été 2013, pour s'installer dans la banlieue de Tel-Aviv avec sa femme et ses deux enfants de 8 et 12 ans. Ce commerçant de 39 ans ne se voyait plus d'avenir en France depuis les attentats de Toulouse : «Les événements d'Ozar Hatorah ont touché de très près mes enfants. Le climat était devenu invivable. Ce n'était plus la France que j'ai connue, où je suis né. Un jour je me suis demandé quel avenir je voulais donner à mes enfants et j'ai pris la décision de partir en Israël. Je savais qu'il y avait aussi des problèmes, que la réalité politique n'était pas facile mais au moins, j'avais le sentiment d'affronter la réalité de face».

Malgré la menace des bombes et l'hostilité des pays voisins, Jérôme affirme se sentir plus en sécurité en Israël qu'en France. «C'est vrai que les premières alertes ont été difficiles mais on s'habitue à vivre avec les sirènes et les descentes dans l'abri.» Cette famille «d'olims» (migrants en hébreu) a dû surtout se familiariser avec la société israélienne : «C'est une mentalité moyen-orientale, très particulière. Les Israéliens sont très directs, ça peut être déstabilisant. Il faut aussi apprendre l'hébreu, on étudie la langue pendant cinq mois. La nourriture, je dois avouer qu'elle est meilleure en France. Et pour le coût de la vie, l'immobilier et l'automobile sont extrêmement chers.» Difficile de s'installer en Terre promise sans un sou en poche : «Une alyah, ça se prépare, affirme Jérôme. Il faut prévoir entre six mois et un an de salaire et de loyer. Il y a des aides à l'installation mais elles ne durent pas plus d'un an». Bien sûr, sa famille et ses amis restés à Toulouse lui manquent. Comme les matches du Stade Toulousain et du TFC qu'il continue de suivre à distance. Mais Jérôme est convaincu d'avoir fait le bon choix : «Je pense même que nous sommes partis à temps ! D'ailleurs de plus en plus de Toulousains font leur alyah, comme nos voisins. On a l'impression ici de rattraper le temps perdu. Peut-être que demain on ne sera plus là alors on vit chaque instant à 100 %.»

Nicole Yardeni : «De plus en plus de départs »

Nicole Yardeni est la présidente du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) de Midi-Pyrénées. Entretien.

Peut-on parler d'exode massif des juifs vers Israël ?

Je ne crois pas. Cependant, il est vrai que l'on observe de plus en plus de départs : cinq mille cette année contre trois mille l'année dernière, et plusieurs dizaines de familles toulousaines. Pour autant, l'alyah est un choix propre à chacun et il ne faut pas oublier que les juifs français, pour l'immense majorité, restent en France et se sentent profondément français.

Mais pourquoi autant de départs ?

Il y a plusieurs raisons. Certains se sentent en insécurité, un sentiment renforcé par les attentats de Toulouse et de Bruxelles. L'affaire Merah a été un déclencheur pour beaucoup de juifs, pas seulement à Toulouse, et l'attaque ciblée du musée juif de Bruxelles a fini d'enfoncer le clou. D'autres en ont assez d'entendre des propos antisémites à tout bout de champ ou de devoir se justifier sur tous les sujets, notamment la situation en Israël pour laquelle les juifs ont un attachement naturel comme les Arméniens avec l'Arménie. Enfin, il y a une question de dynamisme économique : certains considèrent que la France offre moins de perspectives et ils se tournent vers Israël mais aussi les États-Unis ou le Royaume Uni.

Ce phénomène vous inquiète-t-il ?

Les communautés vont souffrir, bien sûr. Je suis vraiment surprise par le profil de ceux qui quittent la France. Avant, c'étaient des jeunes qui partaient pour leurs études ou leur service militaire; ou des personnes âgées qui partaient prendre leur retraite au soleil. Mais aujourd'hui, le phénomène touche essentiellement des jeunes familles avec des enfants. Ce qui était ultra-minoritaire autrefois est devenu majoritaire. C'est ce qui a changé.

La communauté toulousaine est-elle vraiment plus proche des dix mille membres que des vingt mille ?

Peut-être pas dix mille mais douze mille, oui.

Propos recueillis par Sébastien Marti

Ladepeche.fr

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