Le destin du frère
Il était de coutume dans divers groupes ethniques que la famille se tienne ensemble et que les frères et soeurs s'entraident. Celui qui réussissait et gagnait bien sa vie devait venir au secours du reste de la famille.
Ils étaient une fois deux frères, l'un d'eux avait réussi dans les affaires et l'autre, le plus jeune, malgré qu'il avait la même formation que son frère aîné et malgré tous les efforts qu'il déployait chaque semaine, n'arrivait pas à joindre les deux bouts. Pour survivre, tous les vendredis il alla visiter son grand frère qui était devenu riche, pour lui demander une aide financière. Pendant des mois le riche aidait son frère sans jamais se plaindre. Un vendredi le grand frère eut une idée géniale. Puisqu'il était riche, pourquoi ne pas rendre son frère riche une fois pour toutes et le problème de son frère serait résolu. Il prépara un sac de pièces d'or qui auraient pu faire le bonheur de son frère.
Le riche tenait à faire le transfert de cette fortune discrètement, de sorte que son frère ne se sente pas endetté envers lui. Il voulait que son frère croie que la somme lui est tombée du ciel.
Comme son pauvre frère disait toujours qu'il n'avait pas de chance, le riche voulait que le jeune commence à croire à sa chance et qu'il reprenne courage.
Le grand frère prit le sac plein de pièces d'or et alla le déposer près du puits qui était à côté. Il l'avait mis de sorte que le sac n'échapperait pas au regard fouilleur de son frère.
Quand le pauvre frère arriva pour lui demander comme d'habitude une somme nécessaire pour la semaine et avant même que le pauvre ouvrît sa bouche, le riche frère lui dit :
« Bien que tu sois arrivé tôt, mon frère. » Le pauvre tout heureux de cette agréable réception lui dit:
« Que puis-je faire pour toi, mon frère ? » Le riche, faisant semblant d'être très occupé avec ses papiers lui dit :
« Mon frère, je n'ai pas eu le temps de remplir ma gargoulette, tant j'étais occupé. » Le pauvre frère était content de pouvoir pour une fois rendre service à son grand frère, prit la gargoulette et sans hésitation se dirigea vers le puits. Quelques minutes plus tard il revint avec la gargoulette pleine d'eau. Le frère prit la gargoulette et but une bonne gorgée, comme s'il était vraiment assoiffé. Le pauvre tout souriant s'assit sur une chaise en attendant le moment approprié pour demander la somme habituelle à son frère, quand soudain il vit le regard de son frère qui l'observait. Le riche se rendit compte qu'aucun signe n'indiquait que son frère avait pris connaissance du trésor. Ce silence de la part de son frère l'intriguait et pour être sûr qu'il ne se trompait pas, il dit :
« Mon frère, est‑ce que la corde du puits était encore en bonne état ? » Le frère tout naïvement répondit:
« Je ne sais pas, mon frère, je n'avais pas fait attention à la corde ». Le riche toujours intrigué lui dit:
« Mon frère, veux‑tu venir avec moi au puits ? » Le pauvre ne comprenait pas ce que son frèrevoulait de lui, mais il le suivit jusqu'au puits croyant que son riche frère voulait lui donner une leçon de morale comme d'habitude. Quand les deux frères arrivèrent au puits le riche montra le sac d'or à son frère et lui dit :
« Mon frère, n'as‑tupas vu ce sac ? » Le pauvre répondit d'un air innocent :
« Mon frère, je ne pouvais pas le voir, puisque mes yeux étaient fermés. » Le riche tout furieux lui dit :
« Mais pourquoi tes yeux étaient‑ils fermés ? » Le pauvre frère tout honteux delui‑même lui répondit :
« Mon bon et généreux frère, tu sais combien je t'aime. D'abord il n'y a pas une semaine qui passe, sans que je te rende visite, n'est‑ce pas ? Lorsque tu m'avais demandé de remplir la gargoulette, je voulais me prouver à moi‑même, que j'étais en mesure de faire l'aller et le retour de chez toi jusqu'au puits avec les yeux fermés. » Puis il continua:
« Tu vois, pour une fois j'avais regagné la confiance en moi‑même et comme tu le vois j'ai réussi non seulement à faire l'aller et le retour avec les yeux fermés, mais j'ai aussi usé de la corde et rempli la gargoulette sans même verser une goutte d'eau par terre. » Son frère tout triste écoutait le jeune et d'un ton résigné lui dit :
« En effet mon frère, tu as bien réussi tout cela. Puisque ainsi est ta destiné tu resteras indigent. » Sans dire un mot, le riche reprit son sac et le remit dans son coffre‑fort. Puis il tendit une pièce en or à son frère en lui disant :
« Vas, mon frère continue ta semaine comme d'habitude, c'est bien ton destin. Si tu as été créé avec des yeux fermés, qui suis‑je pour te les ouvrir ? »
Emile Tubiana