Armée et religion : ne pas tout mélanger (info # 011403/15)[Analyse]
Par Ilan Tsadik © MetulaNewsAgency
Une directive de 2009, rectifiée en 2011, tentait de faire la part des choses entre les attributs du Rabbinat militaire et ceux du Corps éducatif au sein de Tsahal. Selon ce texte, le Corps éducatif est en charge des plans et programmes éducatifs de l’Armée, incluant l’identité israélienne et juive, tandis que le rabbinat devrait s’occuper de la "conscience juive".
Face à la multiplication des tensions entre les deux entités, le chef d’état-major sortant, Benny Gantz, avait, en 2013, confirmé la répartition de ces prérogatives.
A cette époque, l’unité du porte-parole de Tsahal avait tenu à préciser que ""l’identité juive", que le Corps éducatif a pour mission d’inculquer, englobe la tradition nationale du peuple juif, la tradition militaire, le dialogue sioniste moderne, le pluralisme, la culture de la mémoire de la Shoah, ainsi que des sujets de la même veine".
Quant à la "conscience juive", dévolue au rabbinat, elle est censée se préoccuper d’exposer "le lien entre les soldats et leurs racines juives".
En 2013 également, le contrôleur interne de l’Armée avait été saisi de plaintes émanant d’officiers du Corps éducatif, rapportant des tentatives du Rabbinat militaire en vue de changer le statu quo régulant la séparation des questions attenantes à l’Etat et celles concernant la religion, et de s’éloigner des directives en vigueur. Le contrôleur avait endossé ces craintes, jugeant qu’elles étaient démontrées, et avait invité les deux autorités à s’en tenir strictement à la démarcation établie entre leurs deux fonctions. Le contrôleur avait notamment observé que le rabbinat se mêlait de la formation éducationnelle des recrues, qui n’entrait pas dans ses tâches.
Loin de se calmer, la dispute s’est amplifiée ces derniers mois, se cristallisant autour des cérémonies de prestation de serment des militaires. A en croire l’officier en charge de l’éducation des hommes, le Brigadier Général Avner Paz-Tzuk, qui s’en est ouvert par écrit au Major Général Khagaï Topolanski, le responsable des ressources humaines des Forces de Défense d’Israël [Tzva Haganah le Israël, Tsahal], les rabbins se sont accaparés du rôle central lors des cérémonies de prestation de serment, alors qu’ils n’ont rien à y faire.
Cette cérémonie, à en croire Paz-Tzuk, "n’a pas de caractère religieux et il n’existe aucune raison pour qu’il en aille autrement. Il n’y a pas de raison", ajoute le brigadier général, "pour qu’un rabbin prononce l’allocution principale lors d’une cérémonie durant laquelle les appelés jurent fidélité à Tsahal et à l’Etat".
Or de nos jours, la plupart de ces cérémonies sont conduites par les commandants de l’entraînement de base des unités participantes, conjointement avec le rabbin desdites unités.
Paz-Tzuk affirme avoir reçu de nombreuses réclamations émanant des commandants, qui se plaignent de la centralité déplacée des rabbins durant ces occurrences. Il demande que le rôle principal de cet évènement à caractère strictement militaire – il marque la fin de la période de tironout, la préparation militaire de base - soit uniquement réservé aux commandants des unités, sans qu’ils ne soient accompagnés comme leur ombre par des rabbins.
Les commandants, précise Paz-Tzuk, ne voient aucun mal à ce que des passages de la bible soient lus durant la prestation de serment, mais il affirme que ce sont les officiers et les soldats qui doivent les lire.
Le porte-parole de l’Armée a admis que l’ordre de ces cérémonies avait été bouleversé à un certain nombre d’occasions au fil du temps, et annonce que Tsahal est en train d’examiner les recommandations émises par ses personnels professionnels.
L’Armée entend définir encore plus spécifiquement l’ordre de ces évènements, dont la place des commandants, afin de préserver le caractère étatique de Tsahal et des individus aux croyances diverses qui servent dans ses rangs.
Ce point me semble important au vu de mon expérience personnelle ; de nombreux soldats non-israélites effectuent leur service militaire obligatoire dans l’Etat hébreu, parmi eux, les Druzes, les bédouins (musulmans), les Circassiens, ainsi qu’un nombre grandissant de chrétiens se portant volontaires [pour eux et les autres musulmans, le service militaire n’est pas obligatoire. Ndlr.] pour défendre leur pays.
Dans presque toutes les unités, il existe un nombre plus que symbolique de recrues non-juives ; dans l’unité des gardes-frontières (affiliée à la police), il advient parfois que lors d’une prestation de serment, il y ait plus de représentants des autres confessions que d’Israélites. Vouloir imprimer un caractère essentiellement rabbinique à ces évènements a souvent pour effet de détacher ces appelés de l’ethos commun et de les mettre mal à l’aise, comme si le rabbinat militaire tenait absolument à ce qu’ils se sentent sinon étrangers, du moins particuliers dans leur propre pays. Un pays qu’ils s’apprêtent à défendre durant au moins trois ans, et pour lequel, quelquefois, ils vont faire le sacrifice ultime de leur personne.
Ce, tandis que la majorité des jeunes religieux juifs (pratiquants et harédis confondus), ainsi que des rabbins en Israël, rejettent le service militaire. Tandis qu’aussi, en cette veille d’élections, il est possible d’entendre des responsables de formations politiques fondamentalement juives religieuse, à l’instar des dirigeants de Shass (Sefardim Shomreï Torah, les sépharades qui respectent la Torah), le parti des religieux sépharades comptant des centaines de milliers d’adeptes, répéter que le sionisme est une erreur, quand ils n’affirment pas, à l’image de feu leur rabbin et guide Ovadia Yossef, que "les sionistes sont des singes".
Les problèmes de l’Armée divisant le Rabbinat militaireet le Corps éducatif ne sont que le reflet du désordre trônant dans la société civile à propos de la séparation entre l’Etat et la religion. Il manque aux citoyens de ce pays des lois claires établissant les prérogatives de l’un et de l’autre ; mais l’unique façon d’y parvenir passe par l’adoption d’une Constitution.
On pourrait enfin savoir si nous vivons dans une république – ce à quoi s’oppose avec véhémence la plupart des rabbins -, dans une monarchie de droit divin – ce à quoi s’oppose la quasi-totalité des laïcs – ou dans un régime d’un type nouveau qui reste à inventer.
Pour le moment, nous devons être l’un des seuls Etats sur la planète Terre à être "juste un Etat". On dit Royaume de Belgique, République française, mais Etat d’Israël.
La division entraînant le blocage au sujet de la Constitution tourne également autour de la question des droits fondamentaux de l’être humain. Ici, il est impossible de se départager sur la question de savoir si c’est l’Homme ou Dieu qui se situe au centre du monde et pour lequel on doit principalement œuvrer.
Il existe traditionnellement à la Knesset une "Commission de la Constitution", mais elle piétine depuis des décennies et continuera vraisemblablement à faire du surplace durant la prochaine législature, quel que soit le vainqueur des élections de mardi. La faute à tous les autres problèmes dont le traitement paraît plus urgent aux partis politiques.
La faute aussi aux partis laïcs, qui se priveraient de leurs électeurs religieux s’ils faisaient de la Constitution un cheval de bataille. Aussi, alors que l’on prévoit un écart de un à quatre sièges entre le 1er et son dauphin, s’aliéner les voix de qui que ce soit participe carrément d’une erreur stratégique.
Ce, à moins de s’appeler Avigdor Lieberman, qui promet, élection après élection, le mariage civil à ses partisans en tête de ses programmes politiques, et qui l’oublie aussitôt qu’il reçoit un portefeuille ministériel.
Il y a ainsi fort à parier que Don Quichotte Paz-Tzuk et les commandants de Tsahal vont continuer à faire surtout la guerre aux moulins à vent plutôt qu’aux terroristes, pendant que le commandement général de Tsahal, à la demande de l’exécutif civil, ordonnera la rédaction de nouveaux textes au demeurant consensuels mais qui ne satisferont personne et perpétueront les conflits d’influence laïcs-religieux au dernier endroit où ils devraient se produire.
J’aimerais aussi – mais je vous assure qu’ils ne m’écouteront pas – que l’on cesse de classer les gens en vertu de la communauté confessionnelle à laquelle ils appartiennent à l’origine et que l’on fasse cas de deux autres très grosses catégories de personnes : ceux qui ont choisi de ne pas suivre de religion du tout, et c’est leur droit absolu, ou ceux qui en suivent une mais qui n’ont pas envie de se faire canaliser et moraliser par des rabbins qui ne sont pas les détenteurs exclusifs des clés du judaïsme et qui, d’ailleurs, se disputent entre eux sans cesse au sujet de l’orthodoxie.