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Interview Myriam Perets Par Guitel Ben-Ishay et Laurent Goldenberg – Le P’tit Hebdo

 

L’histoire de notre pays est faite de joies et de douleurs intenses. La vie de Myriam Perets en est le symbole le plus touchant. Mère de cinq enfants, cette grande dame a perdu deux de ses fils à l’armée. Le premier, Ouriel (zal), est tombé en 1998, à l’âge de 20 ans, le second Eliraz (zal), en 2010, il avait 32 ans, était marié et père de 4 enfants. Entre les deux, son mari, qui ne s’est jamais remis de la mort d’Ouriel (zal), quittait, lui aussi, ce monde. Myriam Perets a donc perdu ce qu’elle avait de plus cher et pourtant elle n’a ni haine, ni colère. Au contraire, elle aime chaque Juif et la terre d’Israël. Sa foi est inébranlable. Nous avons rencontré ce personnage hors du commun. Elle nous a donné de grandes leçons de vie.

Lph : Myriam, parlez-nous un peu de vous.
M.P : Je suis née au Maroc en 1954. Une nuit de 1965, tous les Juifs de notre ghetto se sont rassemblés en silence. J’ai alors entendu : « Cette nuit nous partons en Eretz Israël ». Jusque là, je n’avais jamais entendu ces mots, mon père ne parlait que de Yeroushalaïm, comme du Gan Eden.
Lorsque nous avons accostés, mon père a embrassé la terre et nous avons fait comme lui.
Nous avons ensuite habité dans les baraques réservées aux immigrants d’Afrique du Nord à Beer Sheva. C’était un logement très vétuste, mais nous étions les plus heureux du monde.
Lorsque j’ai rencontré mon mari, Eliezer, il travaillait à Sharm-El-Sheikh et je l’ai suivi là-bas.

Lph : Quelles étaient vos occupations à Sharm-El-Sheikh ?
M.P : Nous étions la seule famille religieuse. Eliezer a crée une synagogue. Pour ma part, j’étais professeur de littérature dans une école. Mais ce que j’apprenais à mes élèves, c’était avant tout leurs origines et leurs racines : parasha de la semaine, shabbat, shmita, prières.
Mes deux premiers enfants, Ouriel (zal) et Eliraz (zal), sont nés à Sharm-El-Sheikh. En 1982, suite aux accords de paix avec l’Égypte, nous avons dû partir et nous sommes arrivés à Guivat Zeev.

Lph : Comment avez-vous vécu ce départ ?
M.P : Cela n’a pas été facile. Nos enfants ont commencé à regretter notre maison et notre vie là-bas. Je leur ai expliqué qu’il fallait qu’ils se souviennent de cette période, mais que ce qui comptait maintenant c’était de construire une nouvelle maison en Eretz Israël. Je leur ai donné de l’espoir, je n’ai pas commencé à critiquer ni le pays, ni le gouvernement.

Lph : Vous êtes restée dans l’enseignement?
M.P : Oui. J’étais directrice d’une école publique non religieuse pendant 22 ans. J’ai décidé que chacun de mes élèves sauraient ce qu’est la prière, ce qu’est la Torah écrite et orale, shabbat et tout notre héritage. Je voulais les relier à leur peuple et leur donner la possibilité de savoir, de connaître pour qu’ils puissent choisir leur chemin.

Lph : Pensez-vous que cet apprentissage est la clé pour l’avenir de notre jeunesse et de notre pays ?
M.P : Pour qu’un enfant soit attaché à sa terre, il doit connaître son passé, ses racines. La jeunesse israélienne a soif d’apprendre et de connaître cet héritage.

Lph : Vous estimez qu’il y a un manque de ce point de vue dans le système éducatif israélien ?
M.P : Cette soif d’apprendre n’est pas toujours suffisamment assouvie. La preuve c’est que j’ai réussi, avec l’accord des parents, à introduire la prière dans mon école. Pourquoi cela devrait-il être réservé aux personnes religieuses ? La prière nous apprend à être reconnaissant, à se soucier du bien-être de tout le peuple d’Israël.

Lph : Existe-t-il réellement un clivage entre religieux et non-religieux en Israël ?
M.P : De tout temps, il y a eu des débats d’idée au sein du peuple d’Israël. Ce vers quoi nous devons tendre, ce n’est pas à la disparition de ces divergences, mais à leur expression dans l’amour de notre prochain. Chaque personne dans le pays doit se demander ce qu’il fait pour créer des passerelles vers l’autre.
Je voudrais vous donner un exemple personnel. Lorsque mon fils Eliraz (zal) est tombé, le rédacteur en chef adjoint d’Haaretz a écrit qu’il ne voulait pas vivre dans « l’Israël djihadiste de la famille Perets »!
Les médias sont venus recueillir notre réaction. Mon fils Eliassaf leur a répondu : « Dites-lui que nous continuerons à nous battre dans ce pays pour qu’il puisse continuer à exprimer ses idées ». Quant à moi, je lui ai proposé de venir partager un repas à notre table pour que nous puissions discuter. Trois jours plus tard, le journaliste en question m’a appelée pour me demander pardon. Il ne s’attendait pas à ces réactions pleines d’amour.
Voilà la clé, il n’est pas question de religieux ou de non-religieux, mais de se sentir responsables les uns des autres et d’être un peuple uni. Ceux qui ne portent pas de kippa ne font pas forcément moins de mitsvot.

Lph : Vous avez perdu deux enfants à l’armée. De quel œil voyez-vous la frange de la population qui n’accomplit pas de service militaire ?
M.P : J’ai dans ma propre famille des personnes qui n’ont pas fait l’armée. Je viens d’une maison croyante. Je pense que pour certains l’étude est leur mission.
Mais vous savez, aussi bien mes enfants que moi-même, nous ne nous comparons pas aux autres. Notre seule préoccupation est de savoir ce que nous pouvons faire pour notre pays.

Lph : Comment était Ouriel (zal) ?
M.P : Ouriel (zal) était notre premier enfant. Il était un enfant menu et à son entrée au CP, je le voyais s’efforcer pour arriver à la première marche du minibus qui l’amenait à l’école. En tant que mère marocaine, je l’ai pousse à l’intérieur! Il s’est tourné vers moi et m’a dit : « Maman, je suis capable ». Cette phrase me reste et m’aide à tenir. Nous avons des difficultés, des ennemis, mais avec la volonté, rien ne peut nous effrayer.
A 16 ans, il est parti étudier dans l’internat pré-militaire du Rav Druckman et il y a excellé. Ses amis l’appelaient le roi. Un roi est une personne qui a un petit ego, qui se soucient des autres.

Lph : Qu’a-t-il fait à l’armée ?
M.P : Il voulait entrer comme commando Golani. Mais il n’a pas été reçu en raison de son physique. Il n’a pas abandonné jusqu’à ce que le commandant l’autorise à entrer dans l’unité en tant que cuisinier. Il a accepté avec joie. Deux mois plus tard, il entrait comme combattant, il a fini officier.
En 1998, il servait au Sud-Liban, où des soldats étaient tués chaque jour. Il savait et je savais qu’il ne reviendrait pas. Il est mort le jour de son anniversaire.
Après quelques temps, je me suis demandée pourquoi il était parti en première ligne alors qu’il savait pertinemment qu’il allait mourir. J’ai eu la réponse sur un mot du Rav Kook (zatsal) que nous avons trouvé dans son portefeuille : lorsque l’on sait pourquoi, alors la peur de la mort s’éloigne et notre âme est prête pour ce moment.

Lph : Parlez-nous d’Eliraz (zal).
M.P : Pour Eliraz (zal), la vie a toujours été facile. Il ne connaissait pas la peur. Il était un adolescent qui se posait de grandes questions, très attaché à la terre, à son peuple et qui était capable de réflexion d’une grande maturité.
Il s’est engagé dans le commando Golani peu de temps après Ouriel (zal). Lorsqu’Ouriel (zal) est mort, le commandant d’Eliraz nous a demandé de le sortir de cette unité. Eliraz n’a pas voulu et mon mari et moi après de douloureuses réflexions, nous avons accepté de signer pour donner notre accord afin qu’il poursuive dans ce commando.
La longueur de la vie n’est pas entre nos mains. C’est D. qui dirige le monde.

Trois ans après la mort d’Ouriel (zal), Eliraz s’est marié. Nous ressentions enfin la consolation. Il a eu quatre enfants. Il leur a appris la charité, l’amour. Il a fondé un Talmud Torah. Eliraz (zal) ne rentrait jamais chez lui de l’armée, sans être passé par le Beit Hamidrach. Mes enfants ont pris leur force de ce lieu, de la Torah et de leur amour de la terre.

Lph : En ce moment, il est question d’une décision de justice visant à faire détruire la maison d’Eliraz (zal) à Eli, car elle serait sur un terrain appartenant aux Arabes. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M.P : Il existe apparemment un problème juridique. Mais nous ne rentrons pas dans ces considérations. Le plus important, c’est que les enfants d’Eliraz (zal) puissent rester dans la maison où ils sont nés, où ils ont les souvenirs de leur père.
La décision revient au gouvernement et je suis convaincue qu’il trouvera une solution.

Lph : Vous lui faites confiance ?
M.P : Bien sur ! Le premier ministre s’est assis en face de nous pendant la semaine de deuil, il a aussi perdu un frère. Nous avons senti qu’il s’identifiait à notre douleur.
Nous sommes croyants, je suis certaine qu’ils trouveront une solution et quelle qu’elle soit ce sera la bonne.

Lph : Même si cela signifie que votre belle-fille et vos petits-enfants déménagent ?
M.P : Je ne veux pas penser en ces termes. Depuis que j’ai perdu deux fils et mon mari, je ne veux voir que le bien et remercier pour chaque moment que nous vivons. Pour le moment, ma belle-fille et mes petits-enfants sont dans leur maison, laissons D. diriger le monde.
Je ne veux pas que la maison d’Eliraz (zal) devienne un sujet de discorde dans notre peuple. Ce n’est pas digne de lui. Il prônait l’amour gratuit. Je prie pour que cette maison soit celle de l’unité du peuple.
Nous avons surmonté la chose la plus dure qui puisse arriver à un homme. Nous surmonterons aussi cette épreuve quelle qu’en soit l’issue.

Lph : Comment jugez-vous les ONG de gauche qui agissent activement pour la destruction de la maison d’Eliraz (zal) ?
M.P : Ce sont des Juifs, ce sont mes frères. Leurs enfants aussi se battent à l’armée pour notre pays. Même au sein de ces organisations, ils débattent autour de l’aspect humain de cette affaire.
Nous devons nous souvenir à chaque instant que nous sommes frères.

Lph : Vous parlez beaucoup de D’. Est-ce grâce à la foi que vous surmontez avec autant de courage et de dignité toutes vos épreuves ?
M.P : Ma foi totale envers D’ et envers le peuple d’Israël, mon amour pour la terre d’Israël et envers chaque personne du peuple juif m’aident à avancer. Cela n’est pas simple. Je continue aussi parce que je voudrais avoir le mérite d’être présente au mariage des enfants d’Eliraz, la tête haute, à la place de leur père, de leur oncle, de leur grand-père.
Ma vie est faite de drames et d’espoirs. Mais je ne commence pas à me demander pourquoi, mais plutôt qu’est-ce que cela signifie pour moi. Et je pense que cela veut dire que je dois être encore meilleure, j’ai dans mes mains ce que je fais de ma vie, ni le moment de naitre, ni celui de mourir.
Chaque matin, je remercie D. d’être debout sur mes pieds. Je veux dire Am Israel ‘Hai.
Ceux qui ont tué mes fils ont tué leur corps mais pas leur esprit.

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