Va-t-on vers l’interdiction des maillots de bain sur les plages de Korba?
«The real Revolution is the evolution of consciousness »!«La vraie révolution est l’évolution de la conscience» !
Ce matin, comme à l’accoutumée, j’ai décidé d’aller me baigner assez tôt pour éviter la chaleur et le bruit des baigneurs. J’ai en effet pour habitude de travailler à la plage pour profiter des meilleures heures où mes neurones carburent à fond.
J’ai commencé par piquer une tête dans une eau fraiche et limpide avant d’aller m’installer pour façonner le programme d’une rencontre que je vais animer la semaine prochaine, pour le compte d’une agence internationale.
30 minutes après, satisfaite d’un premier brouillon, j’ai décidé de retourner vers cette mer d’une rare beauté. Plongée dans mes pensées, je n’avais pas remarqué un homme d’un certain âge qui s’était approché de moi pour demander l’heure. Poliment, j’ai rebroussé chemin pour chercher ma montre. Il a alors enchainé en me demandant s’il pouvait faire une remarque. J’ai accepté car intriguée sur le genre de remarques que pouvait faire un homme que je n’avais jamais rencontré auparavant,sur une plage près de laquelle je vivais depuis plus de 15 ans, sans jamais avoir été importunée, ni en hiver ni en été.
Avec un regard vide car il faisait tout pour éviter le mien, ce monsieur me lance sur un ton défiant: « Ne trouvez-vous pas que votre tenue n’est pas respectueuse?!» Sa remarque m’a semblé tellement incongrue et inadéquate, que l’espace d’un instant, je n’ai pas su s’il fallait en rire ou en pleurer! Face à une telle indécente intrusion dans ma vie privée, j’avais deux options, la première, classique et facile: lui dire de s’éloigner car il polluait mon champ visuel et au cas où il refuserait, appeler l’agent de sécurité de la résidence privée où je vivais, pour signaler cet intrus qui me harcelait et qui devait comprendre que je ne lui permettrai pas de le faire en toute impunité.
J’ai choisi la deuxième option qui a exigé de moi de garder un très grand sang-froid car l’adjectif « irrespectueux » qu’il avait utilisé m’avait choquée au plus haut point. Pour moi, il représentait une insulte directe à la mémoire de mes parents qui m’avaient appris la valeur fondamentale du respect de soi et des autres. Calmement, j’ai décidé de prendre la peine d’analyser comment, en 2015, un homme tunisien pouvait se permettre d’accoster une femme pour lui faire une remarque des plus déplacées sur sa tenue vestimentaire! Au fond de moi, je savais que si je laissais passer cette atteinte à ma liberté, et sans que notre société ne s’en rende compte, très vite, aucune femme n’aurait le droit de se baigner en maillot de bain !Soudain j’ai compris que ce n’était pas seulement ma propre liberté qui était menacée mais celle de toutes les femmes de mon pays.
Je me suis alors souvenue d’une citation de Thomas Jefferson qui m’a toujours guidée: « In matters of style, swimwith the current; in mattersof principle, stand like a rock » !Que je traduirai par: « En matière de forme, nage avec le courant; en matière de principes, sois solide comme un rocher! »
Ma liberté de m’habiller comme je l’entendais était certainement un de ces principes pour lesquels j’étaisprêteà me battre contre n’importe quelle personne qui oserait vouloir m’imposer à moi,ou àn’importe quelle personne, une tenue vestimentaire quelconque.
J’ai répondu alors à cet homme que j’étais à la mer et que la tenue la plus adéquate était certainement une tenue destinéeà la baignade, en l’occurrence un maillot de bain et que non, je ne voyais pas en quoi ma tenue ne serait pas respectueuse. D’autant plus qu’il y avait à la droite de mon parasol, 3 autres femmes qui toutes portaient de jolis maillots comme moi, alors qu’à ma gauche, il y avait deux ou trois femmes qui avaient choisi de se couvrir en entier le corps avec des pantalons doublés de jupe et autre chemise et foulard. Tenue qui m’a du reste toujours effrayée car, en tant que secouriste, j’ai toujours à l’esprit le risque de noyade. Ayant eu le privilège de sauver plusieurs personnes dans ma vie, je ne connaissais que trop bien le danger que ce risque représentait aussi bien pour le secouriste que pour la personne à secourir !
Il m’a avoué alors qu’il avait deux adolescents et avait peur que si son garçon de 15 ans venait à me voir en maillot, cela risquait de provoquer je ne sais quoi dans son esprit !
Nous avons alors entaméune conversation deplus d’une heure oùj’aiprésenté tous mes arguments basés sur une expérience de plus de 25 ans, pas seulement en Tunisie mais dont 6 mois sur le continent américain, 7 années en France et 10 ans dans tous les pays Arabes (dont deux dans un pays du Golfe).
Je ne citerai de cette conversation que les principaux faits saillants:
Cet homme m’a appris qu’au lendemain du 14 janvier, il avait rêvé que la Tunisie choisirait une autre voie ! J’ai voulu savoir à quel modèle il faisait référence car les pays qui se proclamaient conservateurs et où plus de 90% des femmes avaient choisi --ou ont été contraintes--de se couvrir, étaient des pays qui subissaient le plus haut pourcentage d’harcèlement sexuels, incestes, viols et toutes sortes de violence contre les femmes.
Il m’a aussi appris que cela faisait 20 ans qu’il vivait en France. Cela m’a fait penser à toute la misère intellectuelle, psychologique et spirituelle dans laquelle se débattait une grande majorité de nos concitoyens immigrés. En effet, ces femmes et ces hommes qui ont quitté la Tunisie dans les années 70, 80 ou 90… n’ont pas vécu l’évolution normale et naturelle par laquelle sont passés les citoyens qui ont choisi de rester au pays. Par ailleurs, ils ont évolué différemment en fonction de leur pays d’accueil :
a) La majorité de ceux qui ont émigré, dans les pays occidentaux, ont eu tellement peur de perdre leur culture et leur identité qu’ils ont préféré se renfermer sur eux-mêmes, vivre en communauté reclus dans leur HLM, sans se donner aucune chance de s’intégrer dans le pays d’accueil. Les sociétés hôtes, de leur côté, ont délibérément choisi de ne pas les intégrer car ces immigrés étaient bien trop différents sur tous les points de vue et à toutes les échelles.
b) Pour la majorité de ceux qui sont partis dans les pays pétroliers, et au lieu de préserver l’Islam ouvert et tolérant qui a bercé leur enfance, ils ont préféré l’échanger contre un Islam étrange et étranger, basé sur des interprétations rigides voir extrémistes. Ils ont alors troqué leur tenue vestimentaire habituelle contre un amalgame fantaisiste empruntant les modèles des pays du golfe, de l’Afghanistan, Pakistan et autres contrées lointaines…
A un moment de la conversation, ce monsieur me lance à la figure, comme ultime accusation, que la société tunisienne est devenue remplie d’homosexuels. Là, j’avoue que malgré tous mes neurones qui carburaient encore à 100 à l’heure, j’ai eu du mal à trouver le lien. Comment en effet, mon habit de bain serait responsable de l’augmentation des homosexuels dans les rues Tunisiennes? Je lui ai simplement conseilléqu’il était préférable de rester concentré sur les problèmes vestimentaires et qu’un autre jour, j’étais disposée à discuter avec lui les orientations sexuelles des uns et des autres. Ceci, d’autant plus que par rapport à ses deux enfants, il y avait des tentations bien plus dangereuses tels que l’alcool ou la drogue.
J’ai conclu notre conversation en luiconseillant d’apprendre à son fils en particulier, et aux hommes, en général, à contrôler leurs instincts au lieu de demander aux femmes de se couvrir. En effet, avec toute la bonne volonté du monde, il sera difficile de couvrir 6 millions de tunisiennes, 150 millions de femmes Arabes et encore moins toutes les femmes du monde, même si on voulait habiller ce vœux pieux d’un habit religieux !
A la fin de notre conversation, son fils de 15ans, est venu me dire bonjour et spontanémentet naturellement m’embrasser, comme il l’aurait fait avec une veille tante. Il ne semblait nullement affecté ni choqué par ma tenue.
Ensuite, ma fille est venue me rejoindre à la plage. Quand ils sont partis, je lui ai raconté toute notre conversation. Elle me répondit qu’il fallait voir le bon côté des choses. Pour elle, l’attitude de ce monsieur avait au moins le mérite de vouloir commencer une conversation entre personnes appartenant à deux mondes différents. Il semblerait que sa génération est plus optimiste que la mienne. Mais j’espère qu’elle n’oubliera jamais que: « La vigilance est le prix de la liberté» (Jefferson) et que si nos deux générations ne prenaient pas garde, bientôt des hommes en Kalachnikov, viendraient sur nos plages pour nous interdire de nous baigner avec ou sans maillot!
Grace à cet incident, j’ai pu prendre conscience de quelques réalités:
Il existe un écart gigantesque entre plusieurs franges de notre société comme si,désormais, nous vivons dans des mondes parallèles qui par essence ne se croisent jamais, sauf par accident, quand quelqu’un, qui appartient à un certain monde, s’arroge le droit d’accuser quelqu’un qui appartient à un autre, d’être différent ! Pour ce Monsieur le droit à la différence, au respect de la vie privée et des libertés individuellesne sont pas acceptables. Simplement, il refuse à la Tunisie d’être plurielle et voudrait imposer à ses citoyens, un modèle hypothétique, venu d’ailleurs !
En réalité, il n’y a aucune communication concrète entre ces différentes franges de la société même quand elles appartiennent à une même famille. Elles ne font que cohabiterpacifiquement essayant d’éviter tout malentendu pouvant dégénérer en conflit.
Comme cet homme, un grand nombre de tunisiens pense que la femme n’est rien d’autre qu’un corps, sans cerveau, sans esprit, sans aspirations, ambitions et rêves…Ce corps a le malheur de les tenter et par conséquent il doit être couvert! C’est d’une simplicité presqu’enfantine, or des hommes simples d’esprit, il semblerait qu’il y’en ait de plus en plus! Pour eux, tous les maux dont souffre notre société se résument dans ce corps. Ainsi, le modèle qui va résoudre les problèmes de développement, de pauvreté, de chômage, de changement climatiques….se réduit en 2 mètres de tissus pour couvrir ce corps. Autant coudre des millions de linceuls et enterrer toutes les femmes, ainsi, tous leurs problèmes seront enfin résolus !
Les agences bi et multilatérales continuent de gaspiller l’argent du contribuable dans des conférences, colloques et autres rencontres autour de la problématique du genre et des droits des femmes sans aucune compréhension réelle, ciblant les acteurs clés,ni un impact profond sur les sociétés où elles opèrent.
Pour conclure, je pense qu’aussi bien la gaucheque la droite, sont responsables de la situation psycho-sociale désastreuse dans laquelle se trouvent les Tunisiens d’aujourd’hui et le jour où ces deux courants de pensée feront réellement leur mea-culpa, nous aurons peut-être une chance de repartir du bon pied !
P.S : Je ne le répéterai jamais assez : « Quand c’est urgent, c’est déjà trop tard, gouverner, c’est prévoir » (Pierre Mendès France).
Khadija T. Moalla, PhD