ISRAEL. 20 ans après sa mort, quel est l'héritage d'Yitzhak Rabin ?
Il y a 20 ans était assassiné le Premier ministre israélien, artisan des accords d'Oslo, homme de paix et défenseur sans faille de son pays. Une mémoire qui s'efface petit-à-petit.
Il y a tout juste 20 ans, le 4 novembre 1995, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin était assassiné à Tel-Aviv par un juif d'extrême droite. Retour sur la vie de celui qui partagea en 1994 le Nobel de la paix avec Yasser Arafat.
"Assez de sang et de larmes, assez". A la Maison blanche, aux côtés de Yasser Arafat, en 1993, c'est par ces mots que le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin accompagne la signature des Accords d'Oslo. A l'époque, c'est un élan d'espoir. Aujourd'hui, beaucoup de désillusions.
Les choses auraient-elles été différentes si le 4 novembre 1995, sur la place des rois d'Israël, dans le centre de Tel Aviv, un homme n'avait pas décidé et mis en œuvre l'assassinat public du leader travailliste ? Nul ne peut répondre de façon certaine à cette question bien sûr. L'Histoire ne dévoile pas ses alternatives. Et les avis des uns et des autres ne sont que d'intimes convictions.
Le fait est que beaucoup, encore aujourd'hui, 20 ans après sa mort s'emploient à effacer jusqu'à son nom. Lors d'une réunion récente de lacommission des affaires étrangères et de la Défense de la Knesset l'actuel Premier ministre du Likoud Benyamin Netanyahou grommelait :
On parle ces jours-ci de ce qui se serait passé si cette personne ou une autre avait subsisté, mais ce n'est pas une question pertinente."
"Cette personne ou une autre", comme si le négociateur d'Oslo n'était qu'un personnage historique lambda. Il faut dire que, 20 ans plus tôt, le même homme n'était pas le dernier à fermer les yeux sur les manifestations de haine organisées contre Yitzhak Rabin, voire à les encourager.
Mais, ce gommage de la figure de Rabin dans l'espace public israélien, le désagrégement du camp de la paix orphelin qu'aucune figure politique n'a su porter et l'évanouissement de toute vision d'un règlement définitif du conflit israélo-palestinien laissent penser que la seule présence d'un homme, fut-il un grand homme politique, n'aurait peut-être pas suffi à faire barrage au mouvement de fond guidé par la peur et qui maintient depuis des années les deux nations israélienne et palestinienne dans la guerre.
Reste qu'Yitzhak Rabin n'a pas laissé le monde sans héritage.
Un défenseur de la paix
Présent à Tel-Aviv, samedi soir dernier, aux commémorations à la mémoire du Premier ministre, Bill Clinton, qui patronna en 1993 la signature des accords d'Oslo, a ainsi souligné l'héritage de Rabin auprès des dizaines de milliers d'Israéliens présents les appelant à le "parachever". Pour l'ex-président des Etats-Unis la mémoire de Rabin est avant tout celle d'un défenseur de la paix. Il a lancé au public :
La prochaine étape, dans la magnifique histoire d'Israël, sera déterminée par votre choix. A vous de dire si Rabin avait raison, si vous choisissez de partager votre avenir avec vos voisins et de vous dresser pour la paix, parce que le risque de faire la paix n'est pas aussi grand que celui de lui tourner le dos. Nous prions pour que vous preniez la bonne décision…"
Un visionnaire
Pour l'historien Yossi Ben-Artzi, professeur à l'Université de Haifa, "Rabin avait la claire intention de changer l'Israël du début des années 1990 et il l'a fait. C'est sa claire vision de ce qu'Israël devrait être qu'il nous a laissé en héritage", estime-t-il dans "Haaretz". "Le Premier ministre est arrivé lors de son second mandat à des décisions historiques", poursuit Ben-Artzi. "Tout cela - l'expérience, l'intégrité, les décisions stratégiques sur la question palestinienne et la Jordanie, concernant la mondialisation et des réformes internes et un changement dans l'ordre des priorités d'Israël - ont forgé un sentiment de grand espoir. Pour les habitants du pays, le mode de gestion de l'Etat de Rabin signifiait pour les habitants du pays un véritable Israël sioniste, pas la version messianique-populiste-colonisatrice. Ces divers éléments se fondent dans l'héritage de l'Etat hébreu qui était aussi l'espoir de ses fondateurs ".
Un diplomate
Egalement dans "Haaretz", le professeur Zeev Maoz, qui enseigne la science politique à l'Université de Californie Davis, voit l'héritage de Rabin comme la fusion entre la compréhension des besoins de sécurité d'Israël et la perception de la complexité de ses besoins dans un monde qui implique des liens et de la paix diplomatiques. "Rabin comprend quand la force peut résoudre les problèmes et quand elle en est incapable", dit-il.
Il a saisi les limites du pouvoir et le fait que, fondamentalement, la paix crée la sécurité".
Des enseignements qui resteront dans l'Histoire. Tant qu'ils seront portés. Et c'est là que le principal problème réside. Non seulement Rabin n'a pas laissé d'héritier à sa mesure lors de son assassinat, mais les voix qui portent jusqu'à maintenant son message s'éteignent petit à petit. C'est bien moins l'héritage de Rabin qui manque aujourd'hui que des héritiers.
Céline Lussato
L'Obs