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Père Patrick Desbois. «Daesh commet un génocide contre le peuple yézidi» 

Catherine Dupeyron

 

 

 

 

 

 

 

Le père Patrick Desbois, président d'Action Yézidis, dénonce le génocide perpétré par Daesh contre les Yézidis (1), minorité religieuse du Kurdistan irakien et de Syrie. En septembre, il présentait au Quai d'Orsay un rapport accablant devant une cinquantaine de personnes, dont plusieurs ministres des Affaires étrangères de pays arabes. 

 

En mars 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme a publié un rapport selon lequel Daesh « pourrait avoir perpétré un génocide » contre les Yézidis. Vous êtes plus affirmatif.
Daesh commet un génocide contre les Yézidis, cela ne fait aucun doute. L'Europe l'a réaffirmé récemment. Nous travaillons avec des juristes, dont Andrej Umansky, juriste allemand à l'Institut de droit pénal de l'Université de Cologne. D'après lui, les juristes sont unanimes sur la qualification pénale de génocide. Certains disent même que c'est un cas d'école car tous les éléments pouvant constituer un génocide sont réunis. L'article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale définit le crime de génocide comme l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Les moyens d'y parvenir sont divers. Il peut s'agir du meurtre mais pas uniquement. En l'occurrence, tous les témoignages recueillis par notre équipe prouvent l'existence d'un génocide.

Concrètement, les familles sont littéralement dépecées, chaque personne ayant un sort différent : les jeunes filles sont vendues, revendues et violées ; les jeunes femmes avec enfants deviennent souvent servantes chez des gens de Daesh ; les femmes plus âgées sont fusillées dans des fosses ou utilisées comme boucliers humains par Daesh ; les hommes sont systématiquement fusillés ; les garçons non pubères sont emmenés dans des camps d'entraînement de terroristes et enrôlés dans les commandos de Daesh ; quant aux bébés, ils disparaissent purement et simplement. La présence de « médecins » est souvent évoquée par les victimes. Ces derniers vérifient la virginité des jeunes filles pour les vendre et ils les droguent afin qu'elles ne résistent pas pendant leur viol. Les « médecins » sélectionnent aussi les jeunes garçons non pubères qui, dans leur langage d'enfant, racontent : " On prenait une pilule par jour et après on se sentait très fort ".

Quelle est l'ampleur du génocide ? Le rapport des Nations Unies évoque des milliers de morts et de personnes enlevées.
Sur les chiffres, il faut être prudent ; le nombre de victimes évolue au fur et à mesure de la découverte de nouvelles fosses communes, or celle-ci n'est possible que dans les territoires désormais libérés. En outre, le crime de génocide n'est pas seulement l'extermination physique. Daesh veut détruire cette minorité religieuse qu'ils accusent d'être une religion du diable et, pour cela, tous les moyens sont bons : la mort mais aussi la conversion forcée ou l'enlèvement des bébés, l'entraînement forcé des enfants dans les camps de terroristes. La Cour pénale internationale a déjà reçu de nombreuses plaintes mais elle ne peut juger que les criminels ressortissants de pays qui ont signé le Statut de Rome. Or, la Syrie et l'Irak ne l'ont pas signé.

Vous avez fait trois voyages en 2015 dans les camps de réfugiés Yézidis au Kurdistan irakien et un autre en février 2016. Racontez-nous comment vous procédez ?

Nous avons enregistré 80 témoignages de femmes, d'hommes et d'enfants. Les victimes doivent avoir échappé aux griffes de Daesh depuis moins de trois semaines afin d'éviter que leur témoignage soit influencé par ceux des autres réfugiés du camp ou par leurs échanges avec des médias. Les entretiens, de deux à huit heures, ont lieu en kurde, la langue parlée par les Yézidis. Ces récits ont trois facettes : la description de leur vie d'avant, celle de l'arrivée de Daesh et de ce qu'ils ont subi et, enfin, l'identification des criminels.
Notre équipe, dirigée par Costel Nastasie, responsable Rom européen qui a beaucoup enquêté sur le génocide des Roms, réunit une dizaine de personnes, dont la moitié de Yézidis. Lors de notre dernier séjour d'une douzaine de jours, nous sommes aussi allés à Sinjar, ancienne ville emblématique du peuple Yézidi, qui aujourd'hui n'est plus qu'un immense champ de ruines. Nous y avons découvert plus de vingt fosses communes, les os et les vêtements des victimes gisant à même le sol. Il y a urgence à préserver ces fosses communes afin d'établir clairement les preuves du génocide des Yézidis. Sur place, nous recevons un soutien sans faille du Consul général de France à Erbil, Alain Guépratte. Sur ce dossier, la France est exemplaire. On travaille en étroite collaboration avec le Quai d'Orsay.

Qu'est-ce qui ferait la spécificité de ce génocide ?
Je dirais l'utilisation des enfants yézidis dans la machine terroriste. La plupart des garçons de 6-10 ans, arrachés aux familles, subissent un lavage de cerveau au sein de camps installés en Irak et en Syrie et sont transformés en combattants ou en bombes humaines.

Pensez-vous qu'il est possible d'arrêter ce génocide ?
La difficulté, c'est que ce génocide est noyé dans une machine terroriste et une guerre territoriale. Or, pour la coalition, la priorité est, sans doute, plus que jamais, de faire la guerre contre Daesh mais il ne faut pas oublier les femmes et les enfants yézidis, esclaves de Daesh depuis parfois 18 mois. Par ailleurs, Daesh exécute son génocide de manière artisanale. Je suis sûr qu'ils ne construiront pas un camp comme Auschwitz. Ils savent que s'ils font cela, tôt ou tard, il y aura des photographies satellite, voire des journalistes. Ils tuent à la main sur place en fusillant les gens en place publique ou bien au fond d'un fossé. Une méthode que les nazis ont souvent utilisée en Europe de l'Est.

À ce sujet, vous avez largement contribué à faire découvrir la « Shoah par balles » (2) perpétrée par les nazis à l'égard des Juifs et des Roms. À la lumière du génocide des Yézidis, comment analysez-vous le crime génocidaire ?
La tentation génocidaire est une maladie humaine très archaïque, celle de l'idéologie du surhomme. La promesse de supériorité, de pureté, de vérité, fabrique des tueurs. On l'a vu du côté du nazisme, on le voit maintenant du côté des islamistes. Ce n'est la maladie ni d'un peuple, ni d'une religion. Mais c'est une maladie très contagieuse, qu'il faut nommer et traiter. On accuse souvent internet de diffuser cette idéologie assassine mais, sous le nazisme, internet n'existait pas et les Allemands partaient, sans hésitation, au fin fond du Caucase pour aller tuer des Juifs et des Roms à longueur de journée. Malheureusement, un homme sait tuer comme un chien sait nager, il n'a pas besoin d'apprentissage.

 

1. Le yézidisme est une religion présentée par ses pratiquants comme plongeant ses racines dans l'Iran antique. Géographiquement localisée au Kurdistan et dans le Caucase, elle est une des plus vieilles religions monothéistes, considérée comme la troisième confession kurde. Il est difficile de connaître le nombre exact de Yézidis, il serait de l'ordre de 800.000.
2. « Porteur de mémoires : Sur les traces de la Shoah par balles » par le père Patrick Desbois, Ed. Champs-Histoire (2009).

© Le Télégramme

http://www.letelegramme.fr/bretagne/pere-patrick-desbois-daesh-commet-un...

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