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Le dernier Juif de Tamentit, par Amin Zaoui

 

 

Amin Zaoui écrit de gauche à droite – pour reprendre une des expressions qu’il aime à manier dans ses chroniques hebdomadaires « Souffles » du journal « Liberté » en Algérie. De gauche à droite, en français donc. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est en apparence seulement. Même s’il écrit la langue française avec un art étincelant, Zaoui sait que l’outil linguistique n’est pas la pâte culturelle que l’on rencontre à chaque page de ce livre.  La pâte culturelle vraie, elle s’écrit de droite à gauche. En arabe sûrement. En hébreu aussi et c’est là le fil rouge, la basse continue de cette oeuvre.

Cette pâte est d’abord algérienne. Ce livre n’est pas vraiment un roman, pas une narration, c’est plutôt un conte polymorphe et en cela il rejoint une tradition ancienne du conte algérien, voire arabe. Conte philosophique, moral, spirituel, érotique : le lien millénaire avec la grande littérature arabe est évident, il porte en fait cet opus.

Mais au-delà de l’arabité, dès les premières lignes, dès le titre même, Amin Zaoui annonce la couleur : ce texte est taillé – comme le pénis sémitique qui revient comme un leitmotiv au long de ces pages – par la tradition judéo-musulmane, celle qui, au long de plus d’une dizaine de siècles s’est construite à force de vie commune, de coutumes communes, de partage symbolique autour des deux religions abrahamiques.

« Epoustouflant ce pénis bien taillé, circoncis selon la tradition judéo-islamique ! » s’exclame encore et encore Barkahoum, émerveillée … Et peu importe que les uns prétendent que le « fils unique » fût Isaac et les autres Ismaïl ! L’anneau de l’alliance – symbolisé dans la circoncision – est un bien commun et un lien essentiel.

Avec des périodes heureuses de coexistence parfaite et d’autres où l’intolérance et l’exclusion revenaient comme une malédiction, à la houlette de mauvais princes, et le cortège de misères et d’interdictions infligées aux Juifs.

« (…) « Il est requis des Juifs de ne pas divulguer l’enterrement de leurs morts et de ne pas se lamenter ou pleurer sur eux. Il est prohibé pour les Juifs de monter les chevaux, ne leur sont permis que les mulets et les ânes. » »

Deux amants parlent. Ils se parlent et parlent à tour de rôle. Deux jeux de narration. Deux narrateurs, homme et femme. Deux lignes discursives avec chacune sa musique propre. Abraham et Barkahoum. Couple judéo-islamique. Ils racontent des histoires, leurs histoires respectives, celles de leurs parents, grands-parents. On est dans la transmission et la dette aux ancêtres. S’enchevêtrent alors des récits fictifs, réels, un peu des deux, on ne sait plus très bien. Oui, les Juifs ont bien quitté l’Espagne, l’Andalousie, chassés par les décrets assassins des souverains espagnols. Oui, ils sont arrivés au Maroc, en Algérie. Mais on peut se douter que ce ne fut pas le seul Rabb de Tlemcen, Ephraïm Al N’Kaoua - surtout juché sur un lion avec un serpent pour licol ! – qui arriva dans la ville. Oui l’oncle Mimoun a fait le voyage des hadjis à la Mecque. Oui des anciens ont prié ensemble, juifs et musulmans, dans des mosquées, dans des synagogues, les uns auprès des autres dans les circonstances sacramentelles de la vie, la naissance, le baptême, le mariage, la mort :

« Il balançait sa tête coiffée d’une kippa blanche, d’avant en arrière et d’arrière en avant. Il avait les yeux quasiment fermés. Debout à ses côtés, l’imam de la mosquée lui aussi lisait sur le même ton, à mi-voix, des versets coraniques. Dans un balancement monotone, lui aussi, comme mon grand-père, faisait aller et venir sa tête au crâne rasé, coiffée d’une calotte blanche brodée de petites étoiles jaunes. Ils avaient la même voix. La même musique dans le verbe ! »

« On lit des versets coraniques en mémoire d’une morte juive ! Ce sont les coutumes des habitants de notre ville sans frontières et sans haine. »

Conte érotique aussi. Là encore on retrouve un des thèmes favoris d’Amin Zaoui qui reproche souvent dans ses chroniques à la littérature maghrébine sa pudibonderie, son refus des corps. Rien de tel dans le dernier Juif de Tamentit. Les deux amants s’abandonnent au plaisir charnel et là encore, Zaoui retrouve les accents de la plus ancienne tradition littéraire arabe.

Et Tlemcen enfin, belle et mystérieuse, écrin qui accueillit ensemble pendant des siècles musulmans, Juifs, chrétiens et qu’on retrouve de façon récurrente sous la plume d’Amin Zaoui. Tlemcen des mosquées, Tlemcen des synagogues (dix-sept dit-on à la haute époque !) « la nouvelle Tolède ». Tlemcen qui fut pour les exilés juifs d’Espagne une nouvelle patrie :

« Les villes que nous habitons deviennent nos destins. Elles ressemblent aux noms que nous portons ; ou plutôt ce sont les noms qui nous portent. Le lieu est notre peau. La langue. L’amour. L’enfance. Le miroir. Tlemcen est une ville fascinante aux yeux des poètes, des rois, des philosophes et des religieux. Elle fut notre refuge et notre souffle, après une longue errance et d’innombrables peurs ».

Chant poétique, chant d’amour, de mémoire partagée, Le dernier Juif de Tamentit est à la fois un haut moment de littérature maghrébine et un rappel salutaire des liens symboliques serrés qui unissent les fils d’Abraham, un rappel des fraternités universelles. Un contre-manifeste à toutes les intolérances.

Laissons la conclusion à Amin Zaoui qui dit dans un entretien récent :

« A mon sens, un écrivain n’a pas uniquement la fonction d’écrire un beau texte, car au-delà de la littérature, il a un rôle sociologique à jouer, notamment dans la construction du lecteur »

Et encore :

« Je crois que la littérature est la sœur jumelle de la liberté. Les auteurs qui ont des commissariats ou des mosquées dans leurs têtes, ne peuvent produire un texte libre où le lecteur se retrouve. »

 

Léon-Marc Levy

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