Libye : les trois femmes qui ont décidé Obama à faire la guerre
Le président des États-Unis a traîné les pieds, plus qu'on ne le croyait, pour s'engager dans l'opération contre Kadhafi
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MICHEL COLOMÈS
Barack Obama l'a encore répété cette semaine, pendant son voyage en Amérique latine. Il n'était pas décidé à s'engager, même dans des frappes aériennes limitées, en Libye. Ouvrir un troisième front dans un pays arabe, alors qu'il s'emploie depuis qu'il est à la Maison-Blanche à délier au plus vite l'Amérique de son implication en Irak et même en Afghanistan, lui semblait déraisonnable sur le plan militaire, peu populaire pour ses électeurs et contre-productif pour peu qu'il essaie de faire bouger les lignes entre Israël et les Palestiniens.
Plus que les coups de téléphone de Sarkozy ou les reproches de Cameron, ce sont trois femmes qui ont décidé Obama à rejoindre Français et Britanniques pour empêcher le dictateur libyen de continuer à massacrer son peuple.
Des expériences traumatisantes
La première s'appelle Susan Rice. Les télévisions du monde entier l'ont montrée pendant la réunion du Conseil de sécurité qui a voté la résolution 1973 autorisant les bombardements en Libye. Cheveux noirs tirés sur une robe couleur vert espérance, l'ambassadeur des États-Unis à l'ONU a levé très haut sa main pour manifester l'approbation de son pays à l'option militaire de la onzième heure. À 47 ans, Mrs Rice a déjà servi deux présidents démocrates puisqu'elle a été la secrétaire aux affaires africaines de Bill Clinton. C'est d'ailleurs dans ce premier poste qu'elle a été partie prenante, mais impuissante, d'un des plus grands fiascos récents de la communauté internationale, incapable de s'entendre pour faire cesser les massacres qui, au Rwanda, entre avril et juillet 1994, ont fait entre 500 000 et 800 000 morts. Susan Rice n'avait pas réussi à convaincre Bill Clinton de s'investir pour limiter cette tragédie. Une expérience qui l'a traumatisée.
Samantha Power, 41 ans, c'est l'apathie des casques bleus de l'ONU en Bosnie, face aux mauvais coups portés aux civils par l'armée serbe du général Mladic, qui lui a laissé un souvenir plus qu'amer. Membre aujourd'hui du Conseil national de sécurité qui assiste Obama, elle était dans les années 93-96 journaliste envoyée spéciale du Boston Globe pour couvrir les guerres de Yougoslavie. Écoeurée après le massacre de Srebrenica, en juillet 1995, elle en tirera un livre, Problem from hell, qui lui vaudra le prix Pulitzer en 2002. Elle a vite compris que Benghazi pourrait devenir un autre Srebrenica.
Hillary Clinton décisive
Mais aussi influentes soient-elles, et en dépit de la campagne qu'elles menaient depuis quelque temps à la Maison-Blanche, Susan Rice et Samantha Power n'auraient sans doute pas réussi à convaincre Obama si Hillary Clinton n'avait rejoint leur position. La secrétaire d'État, d'abord aussi réticente que le président à s'impliquer en Libye - tout comme Bill, son mari, avait été hésitant au moment du Rwanda -, a changé d'avis deux jours avant le vote au Conseil de sécurité. Venue le 14 mars à Paris pour la réunion du G8, Hillary Clinton en a profité pour rencontrer discrètement, à son hôtel, Mahmoud Djibril, représentant officieux des rebelles à Kadhafi, puis l'émir du Qatar et quelques émissaires de pays arabes. Tous lui ont dit que le temps pressait pour éviter un coup de folie de Kadhafi, dont la population libyenne serait la victime et dont l'Occident porterait une nouvelle fois l'opprobre.
Dans la nuit, elle a réussi à bousculer la pusillanimité d'Obama et demandé à l'ambassadeur Rice de présenter au Conseil de sécurité un texte plus contraignant et plus précis que celui sur la zone d'exclusion aérienne du territoire libyen qui était alors envisagé : un projet de résolution prévoyant des frappes aériennes pour protéger les civils. La petite histoire des guerres picrocholines des diplomates onusiens aura voulu que Susan Rice se fasse coiffer au poteau par une résolution franco-britannique demandant elle aussi "toutes mesures nécessaires" pour arrêter l'armée de Kadhafi. La venue à New York du ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé, prononçant le 16 mars au soir, devant le Conseil de sécurité, un discours aussi éloquent pour recommander l'action contre la Libye que celui que Dominique de Villepin avait adressé en février 2003 à la même assemblée pour s'opposer à la guerre contre l'Irak, permettra, comme le souhaitait évidemment Nicolas Sarkozy, de montrer que le dispositif contre la Libye, on le devait d'abord à la France, avant les États-Unis.