Taroudant, zests d’Eden
La cité connue pour son mur d’enceinte en pisé dissimule une multitude d’espaces verdoyants, secs ou luxuriants, qui évoquent souvent le jardin originel.
Le paradis était un jardin, dit-on. Alors Taroudant ne doit pas être très loin du paradis. Dans le sud du Maroc, entre le grand et le petit Atlas, entre Agadir à l’ouest et Ouarzazate à l’est, s’épanouissent de manière inattendue ces endroits où l’eau, même rare, permet de recréer quelque chose qui ressemble à l’endroit où Eve et Adam ont pu vivre un temps en toute innocence. Il y a tant de jardins à Taroudant, ouverts ou fermés, accessibles ou inaccessibles, secs ou luxuriants, que l’on se dit que le premier d’entre eux se trouvait peut-être là.
Le lieu défendu
Avant de franchir une porte sur laquelle est écrit «Sonnez et patientez un peu», il faut dire un mot d’un jardin dont les portes resteront closes aux «infidèles», aux chrétiens, et plus généralement à toute personne qui ne reconnaît pas Mahomet comme le prophète. La France, représentée à l’époque du protectorat par le maréchal Lyautey, avait admis et fait respecter cette règle intangible : l’accès des mosquées au Maroc est réservé aux musulmans. Aujourd’hui encore il faut respecter l’interdit qui nous empêche de dire quoi que ce soit sur la cour des orangers de la mosquée Frak Lahbab.
Le parc de l’église
Il est ouvert à condition donc de sonner et de patienter quelques instants. On entre dans un grand parc auquel il faut juste jeter un coup d’œil pour aller voir tout de suite, à gauche, le patio où le temps s’est arrêté au milieu du siècle dernier. Quatre hexagones surbaissés dessinent une croix, reprenant le schéma des jardins du paradis initié en Perse, avec une fontaine au milieu et quatre canaux d’irrigation. Là a grandi un immense laurier-sauce, que l’on appelle ici «feuille de Moïse», des Monstera deliciosa, de la famille de philodendron et des géraniums dont l’odeur a dû être créée pour éloigner le diable. Dans le parc, on peut s’asseoir à l’ombre des gigantesques ficus dont les racines ressemblent à des nœuds de cobras que les charmeurs exhibent sur la place Assaragh. Des citronniers de toutes les couleurs, des pamplemoussiers, et des orangers complètent le paysage. Une euphorbe paraît déplacée et elle l’est. Venu avec le vent ou les caravanes de l’Afrique australe, il marque le territoire des paysagistes Arnaud Maurières et d’Eric Ossart dont on retrouvera ici ou là l’empreinte dans les différents espaces verts de Taroudant.
1- Les patios de Claudio Bravo
En dehors des murs se trouvent deux jardins qui valent la demi-heure de route faite en taxis, devenus confortables - les Dacia ou les Nissan ont remplacé depuis peu les antiques Mercedes dont on ne comptait plus le nombre de kilomètres parcourus. Au nord, en prenant la direction des montagnes qui marquent la frontière entre le Nord et le Sud marocain, Claudio Bravo, le peintre chilien arrivé au Maroc au début des années 70, boudé par les collectionneurs occidentaux mais adorés des princes du Proche et du Moyen-Orient, fait construire un palais dans lequel les patios reconstituent des mondes en miniature. On fait un tour en Italie en profitant de l’ombre apportée le matin par le haut mur situé à l’est, avec de grands cyprès et des statues d’éphèbes, dont il a fallu cacher la nudité quand les ouvriers travaillaient à la construction de cette citadelle. Le jardin, qui sépare l’atelier du peintre et la salle à manger, applique le schéma classique de la fontaine et des quatre chemins en croix. Dans la palmeraie miniature, un dattier et les petits doums des montagnes du Maroc défendent leur territoire face aux grands washingtonia venus du nord des Amériques, aux Bismarckia nobilis de Madagascar et aux Roystonea regia, un palmier royal de Cuba, plantés là par nos deux jardiniers voyageurs. Pour se faire ouvrir les portes de la maison, il faut appeler la veille, cela évite la bousculade et donne l’impression d’être chez soi le temps de la visite.
2- L’oasis de Tiout
Au sud de Taroudant, en allant vers le petit Atlas que les Européens préfèrent appeler l’anti-Atlas, il faut impérativement aller à l’oasis de Tiout pour voir un jardin originel. Un jardin n’est pas un endroit où les plantes poussent naturellement, il s’agit d’un espace domestiqué, où l’homme a apprivoisé l’eau en créant des bassins de rétention pour irriguer des parcelles tracées à la règle. A Tiout, les grands réservoirs permettent d’avoir de l’eau tout au long de l’année, de récolter du blé dès le mois de mai et d’avoir de la luzerne en abondance. On peut suivre les canaux dont l’ouverture ou la fermeture sont décidées par une association des villageois qui veille à la bonne répartition de l’eau. Au milieu de l’oasis, on peut déjeuner ou dîner chez Saïd et sa femme. La tente berbère et la cuisine en plein air n’ont rien de folklorique, elles soulignent juste la distance qui nous sépare du tourisme d’Agadir. Là aussi, il faut téléphoner à l’avance pour commander.
3- Dar al Hossoun et Dar Igdad
Le soir, en revenant en ville, on entre dans le vrai domaine d’Arnaud et Eric. Durant les quinze ans passés à l’intérieur et à l’extérieur des remparts, ils ont planté une trentaine de jardins et construit autant de maisons avant de traverser l’Atlantique pour s’installer au Mexique. Les plus aboutis d’entre eux se trouvent au-delà de Zraïb, ils s’appellent Dar al Hossoun et à Dar Igdad. Devenu un hôtel, Dar al Hossoun est en soi un incroyable espace botanique. Le creusement des deux grands rectangles a permis d’ériger les bâtiments en pisé, et de construire une piscine de 30 mètres et un jardin en creux. Il y aurait là 998 plantes différentes. Un chiffre que personne n’ira vérifier, on pourrait tout aussi bien dire mille et une plantes. Les paons familiers complètent un décor hallucinant qu’il est difficile de quitter.
Dar Igdad est aussi différent que possible de son voisin. L’un ressemble à une jungle luxuriante, l’autre joue sur les perspectives de la savane. Les lignes droites quadrillent l’espace de Dar Igdad et déterminent des zones affectées aux différentes espèces. Ici, Arnaud Maurières et Eric Ossart ont décidé de se passer d’eau dans la mesure du possible et de concevoir un jardin aride dont ils ont fait l’éloge dans un ouvrage dans lequel ils livrent leur expérience (1).
Les cactus, les figuiers de Barbarie y prennent leurs aises dans un labyrinthe épineux qui rappelle les allées de buis que l’on trouve dans les châteaux le long de la Loire. Des palmiers dattiers, un avocatier, venu du Mexique, un papayé, des aloe vera en pagaille, d’immenses agaves, des Opuntia rufida - le cactus aux oreilles de Mickey - et, tout au fond, une pépinière de cactées achève de convaincre que la sécheresse n’empêche pas les plantes de pousser à condition qu’elles soient adaptées à ces endroits où l’eau devient un bien précieux. Dans la cour des oliviers, l’arbre du pourtour la Méditerranée donnent l’ombre indispensable pour prendre le thé.
(1) Eloge de l’aridité par Eric Ossart et Arnaud Maurières. Editions Plume de carotte, 163 pp., 29€.
PRATIQUE
Y aller
Paris-Agadir, par avion aux alentours de 250 euros l’aller-retour (premiers prix à moins de 100 euros). Puis prendre un taxi collectif ou louer une voiture pour vous rendre à Taroudant, à 83km à l’est d’Agadir.
Se loger
A Taroudant, à l’intérieur de la citadelle, la maison d’hôte Dar Zahia (Rens.: Darzahia.com) ou Dar Louisa (Rens.: Darlouisa.com).
A Dar al Hossoun (6km à l’ouest de Taroudant), l’hôtel Dar al Hossoun (Rens.: Alhossoun.com).
A Dar Igdad (8km à l’ouest de Taroudant) le riad Dar Igdad (Riaddarigdad.wordpress.com)
A voir
Les visites des jardins de Taroudant sont organisées par Olivier de Dar al Hossoun. Contact: Daralhossoun@gmail.com
Pour visiter le palais de Claudio Bravo (Palaisclaudiobravo.ma), téléphoner la veille. Mobile: +212 6 91 24 21 61. Fixe: +212 5 28 21 60 78
A Tiout, les habitants se sont organisés pour offrir des visites de l’oasis à dos d’âne pour les enfants. Pour déjeuner à la palmeraie de Tiout, téléphonez la veille à Saïd: +212 6 61 77 74 06
Philippe Douroux Envoyé spécial à Taroudant (Maroc)