Militarisation grandissante en mer Rouge
David Bensoussan
L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec
Une demi-douzaine de pays se positionnent en mer Rouge, établissant des bases militaires en vue d’une éventuelle conflagration dans le futur.
La mer Rouge relie le canal de Suez à l’Océan indien par l’étroit détroit de Bab-el-Mandeb, constituant ainsi un atout stratégique de premier plan. Les pays riverains sont du Nord au Sud : le Yémen, l’Arabie, la Jordanie et Israël sur la rive orientale de la Mer rouge, la Somalie, Djibouti, l’Érythrée, le Soudan et l’Égypte sur la rive occidentale.
C’est par le détroit de Bab-el-Mandeb que les pétroliers des pays du Golfe transitent à destination de l’Europe par le biais du canal de Suez[1]. Par ailleurs, les Iraniens tentent de s’installer en Mer Rouge : pour cela, ils ont construit une base en Somalie dans les années 90. Des Gardes révolutionnaires iraniens ont été stationnés à Port Soudan afin de mieux infiltrer des armes vers le Sinaï et la bande de Gaza. Le conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran devenant de plus en plus polarisé, l’Arabie a exercé des pressions pour que l’Iran évacue sa base et le Soudan a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran. Les Houtis qui appartiennent à une mouvance chiite sont soutenus par l’Iran; ils contrôlent le littoral ouest du Yémen, mais la coalition des pays du Golfe contrôle les accès aux ports ce qui accroît la misère de la population yéménite qui souffre de malnutrition et de manque d’eau potable.
Forte de l’appui financier du Qatar, la Turquie affirme aussi sa présence en Somalie et au Soudan. Une base militaire turque et un port sont en construction dans l’île de Souakin au large du Soudan et non loin de la frontière soudano-égyptienne, grâce à un financement qatari de 4 milliards de dollars. Par le passé, cette île fut un bastion ottoman. Le Qatar héberge également une base militaire turque.
L’Égypte, l’Arabie et les émirats du Golfe sont à couteaux tirés avec le Qatar, entre autres du fait que le Qatar - et la Turquie - soutiennent les Frères musulmans. L’Égypte qui a mis aux arrêts les activistes des Frères musulmans voit avec grande inquiétude la présence turque dans le Golfe et dans la Mer Rouge. En outre, un conflit larvé existe entre l’Égypte et l’Éthiopie, car ce pays s’apprête à mettre en opération un immense barrage sur le Nil bleu, ce qui inquiète fortement l’Égypte qui dépend du Nil pour sa survie. Les besoins en eau des pays africains et notamment ceux de l’Éthiopie augmentent et l’Égypte craint que cette nouvelle réalité ne nuise à son approvisionnement.
La plupart des grandes puissances, dont laFrance, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine[2] et même le Japon ont installé des bases militaires à Djibouti. La Chine détient 60 % de la dette djiboutienne etdispose de 10 000 soldats à Djibouti en plus de plusieurs milliers de Chinois œuvrant dans des projets d’infrastructure.
Au Sud de Djibouti, les Émirats arabes unis financent un nouveau port géant ainsi qu’une base militaire à Berbera, capitale du gouvernement sécessionniste somalien de Somaliland. Cela enrage le gouvernement somalien de Mogadiscio qui bénéficie d’importants investissements qataris et turcs.
Dans un autre ordre d’idées, l’Inde utilise la base de Duqm à l’embouchure du Golfe persique d’Oman. De son côté, la Chine y investit plus de 10 milliards de dollars. Il faut prendre en compte le fait que la plus grande base américaine au Proche Orient se trouve au Qatar qui héberge également une base militaire turque. Il est question de déplacer la base américaine en Arabie même.
L’Europe veut protéger les voies pétrolières et la Chine désire disposer de points d’ancrage pour sécuriser les routes de la soie maritimes. L’Iran cherche à affaiblir la coalition sunnite pour mieux imposer son hégémonie au Proche Orient et la Turquie du président Erdogan veut faire revivre la grandeur de l’Empire ottoman. La région de Bab-el-Mandeb devient de plus en plus convoitée[3]. Il ne faut pas oublier que c’est le blocus naval du détroit de Tiran au Nord de la Mer rouge par le président égyptien Nasser qui a été un des principaux facteurs du déclenchement de la Guerre des Six jours.
. Half the oil imported by China goes through the Mandeb Strait, and most Chinese exports to Europe are transported through the Gulf of Aden and Suez Canal. In 2015, the Chinese navy conducted exercises with its Russian counterpart in the Mediterranean. This year, while en route to another joint Russian-Chinese exercise in the Baltic, Beijing conducted a live fire drill in the Mediterranean. The Chinese vision of a new maritime Silk Road is closely related to the official celebration of Zheng He, the early 15th century admiral who brought China fame and power through his voyages in Southeast Asia and across the Indian Ocean to Africa.
[1] Les travaux débutés en 2015 au canal de Suez vont permettre de faire passer le trafic maritime de 49 à 97 navires
[2] La majorité des exportations chinoises vers l’Europe empruntent la voie du Canal de Suez et la moitié du pétrole importé par la Chine emprunte la voie de Bab El Mandeb.
[3]Un pétrolier saoudien a été attaqué par des bateaux houtis au large de Hodeidah au mois d’avril 2018. L’aviation des Émirats arabes unis a détruit deux bateaux houtis le mois suivant.