Pourquoi les Iraniens ont baissé le ton
Téhéran souhaite, pour l’instant, éviter l’escalade avec Israël.
Anthony SAMRANI | OLJ
Il semble loin le temps des discours triomphalistes annonçant la victoire de l’axe pro-iranien dans toute la région. C’était il y a quelques mois seulement, pourtant. L’Iran et son obligé libanais considéraient qu’ils avaient gagné la guerre en Syrie, et se félicitaient, non sans une certaine arrogance, de la formation d’un corridor chiite reliant Téhéran à la Méditerranée, en passant par l’Irak, la Syrie et le Liban. Même le président iranien Hassan Rohani, censé représenter la branche modérée du régime, avait vanté en octobre dernier « l’importance de la nation iranienne dans la région qui est plus forte qu’à toute autre période ».
Face à la menace de l’éclosion d’un axe anti-iranien Washington-Riyad-Tel-Aviv, Téhéran bombait alors le torse. Alors qu’il cristallise aujourd’hui toutes les tensions régionales, il fait désormais profil bas. Du moins pour le moment. Les manifestations contre le pouvoir au mois de décembre dernier, la sortie américaine de l’accord nucléaire iranien, la chute de la monnaie iranienne ou encore la détermination israélienne à l’empêcher de s’installer militairement en Syrie sont passées par là. Menacé sur plusieurs fronts, le régime iranien semble considérer qu’il a intérêt, au moins dans un premier temps, à baisser le ton. D’une part pour tenter de sauver l’accord nucléaire, de l’autre pour éviter une guerre directe contre Israël qui, dans ce contexte, lui serait extrêmement coûteuse.
Au lendemain des frappes les plus importantes réalisées par Israël contre l’Iran, la République islamique a choisi d’opter pour la diplomatie. Au lieu de répondre comme à l’accoutumée, notamment via le Hezbollah, par des menaces de représailles, Téhéran cherche vraisemblablement à éviter l’escalade. L’État hébreu a réalisé dans la nuit de mercredi à jeudi des dizaines de raids contre des sites iraniens en Syrie, détruisant, selon le ministre israélien de la Défense Avigdor Lieberman, « toutes les infrastructures iraniennes en Syrie ». Sans mentionner directement l’offensive israélienne, le président Hassan Rohani avait joué l’apaisement dès jeudi en déclarant que l’Iran ne cherchait pas « de nouvelles tensions ». Dans le même temps, le Hezbollah déclarait que la stabilité intérieure au Liban était sa « priorité ».
« Les attaques répétées du régime sioniste contre le sol syrien ont été menées sous des prétextes inventés qui sont sans fondement », a réagi enfin officiellement hier le ministère des Affaires étrangères, dans un ton là encore inhabituellement modéré. S’ils en doutaient encore, les Iraniens ont pu constater à quel point les Israéliens étaient résolus à contrecarrer leur projet d’implantation en Syrie. L’État hébreu semble prêt à faire la guerre pour parvenir à ses fins. Il bénéficie clairement du feu vert de Washington, dans un contexte où l’Iran est mis sous pression par les risques d’un déchirement de l’accord nucléaire. L’Iran n’est pas prêt, pour l’instant, à faire cette guerre. Sa volonté de sauver l’accord nucléaire l’oblige à privilégier la voie diplomatique afin de convaincre les autres cosignataires de son sérieux et de faire porter la responsabilité de l’échec sur les épaules américaines. C’est pour parvenir à cet objectif que le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif va entamer samedi une tournée à Pékin, Moscou et Bruxelles.
Ne fermer aucune porte
La signature du JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) en juillet 2015 avait été largement célébrée par les Iraniens, dont l’économie était étouffée par les sanctions. La perspective d’un rétablissement des sanctions, alors que la situation économique ne s’est pas améliorée et que la population a largement manifesté depuis son mécontentement, n’augure rien de bon pour le pouvoir, en particulier pour le camp modéré du président Rohani qui avait tout misé sur cet accord.
Les conservateurs qui n’ont eu de cesse de vilipender le JCPOA, notamment pour des raisons tactiques, devraient profiter de cette atmosphère pour accroître leur pouvoir. À leur appel, des milliers de personnes ont manifesté hier à Téhéran en brûlant des drapeaux américains et en lançant des slogans anti-israéliens. La colère du camp des durs semble toutefois être contenue pour l’instant par la volonté du guide suprême de tenter le pari diplomatique ou au moins de ne fermer aucune porte. Il est en effet impossible que les déclarations de M. Rohani affirmant que l’Iran était prêt à rester dans l’accord nucléaire, malgré le retrait américain, n’aient pas été validées en amont par l’ayatollah Khamenei. Ce dernier joue pour l’heure la carte diplomatique avec Rohani, sans pour autant renoncer, en cas notamment d’échec du plan de sauvetage du JCPOA, à laisser une plus grande marge de manœuvre aux gardiens de la révolution, en première ligne en Syrie.
Sa présence sur de multiples fronts (Irak, Syrie, Gaza, Yémen) ainsi que sa capacité à s’immiscer dans le tissu socio-politique, par la voie communautaire, des pays concernés sont le principal atout iranien, bien davantage que ses infrastructures. C’est ce qui fait réellement de la République islamique une grande puissance dans la région, et ce qui sera le plus difficile pour ses adversaires à endiguer. Mais l’accroissement de l’influence iranienne, qui a été relativement confirmée par les résultats des élections libanaises et qui devrait l’être également durant les élections irakiennes à venir ce week-end, est loin de faire l’unanimité. Contestée par Israël, par l’Arabie saoudite et par les Occidentaux, la présence iranienne en Syrie n’est pas acceptée par les grands acteurs de la région. Même la Russie, partenaire de l’Iran dans le renflouement du régime syrien, semble ne pas s’émouvoir d’un affaiblissement de Téhéran sur son terrain de prédilection. En témoigne son accord tacite vis-à-vis des frappes israéliennes. Le président syrien Bachar el-Assad, qui ne pourra pas fermer le chapitre de la guerre tant que les Iraniens seront la cible des attaques israéliennes, pourrait être tenté de faire le même pari. L’Arabie saoudite en mars dernier, via le prince héritier Mohammad ben Salmane, et Israël, par la voix d’Avigdor Lieberman hier, ont adressé le même message au président syrien : on peut s’accommoder de ta présence, mais pas de celle des Iraniens. Il est donc dans ton intérêt de t’en éloigner. Reste à savoir si le message a été entendu…