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Hamas-Fatah: les dessous d'un accord fragile

 

Les deux factions palestiniennes ont signé un accord historique de réconciliation au Caire. Quels sont les facteurs qui ont débouché sur ce règlement surprise que plus personne n’attendait? En quoi l’édition 2011 est différente du «ratage» de 2009?

Les pourparlers entre le Fatah et le Hamas commençaient à passer aussi inaperçus que les réunions du Quartet pour le processus de paix. Peu de médias ont relevé les récents allers-retours au Caire des délégations des deux frères ennemis. L’affaire n’est en effet pas nouvelle: depuis des années, elles tentent sous le patronage égyptien de régler leurs différends.

Un accord de réconciliation avait même failli aboutir en octobre 2009 mais le Hamas s’était retiré au dernier moment. L’accord surprise signé par les deux délégations, le 27 avril, a donc pris de court l’ensemble des observateurs. Malgré les récents bouleversements au Moyen-Orient, personne ne pariait sur un règlement aussi rapide.

En janvier dernier, la diffusion des «Palestine Papers» (ces documents secrets sur les dessous des négociations de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne) avait rappelé la profonde fracture qui divise le Fatah et le Hamas. Dans un papier publié sur le site de la chaîne qatarie Al-Jazeera, le diplomate britannique Alistair Crooke qualifiait même d’ «impossible» l’optique d’une réconciliation nationale:

«L’inimitié (à Ramallah) à l’égard du Hamas a été si systématisé, si “construit” dans chaque parcelle de la vie quotidienne et des institutions qu’il faudrait casser tout ce qu’Abbas et les Américains ont construit durant la dernière décennie pour faire de la “réconciliation” autre chose qu’une coquille vide.»

Les membres des forces de sécurité de la police palestinienne de Ramallah seraient recrutés sur preuve d’une «hostilité personnelle» à l’égard du Hamas. Les «Palestine Papers» confirment le constat de nombreuses ONG sur le terrain: harcèlement, arrestations arbitraires, voire même des cas de torture, notamment sur les journalistes accusés de travailler à la solde de l’autre camp. 

Alors comment expliquer l’accord surprise signé entre les délégations du Fatah et du Hamas le 27 avril au Caire? Qu’est ce qui a changé depuis la réconciliation avortée d’octobre 2009, surtout du côté du Hamas qui avait enterré l’accord?

Pressions de la rue palestinienne

Les jeunes de la «Coalition du 15 mars» pour la fin des divisions veulent voir leur empreinte dans l’accord qui vient d’être signé au Caire. Suite aux mouvements tunisiens et égyptiens, des jeunes de Gaza et de Ramallah ont occupé épisodiquement le pavé pour exiger une réconciliation de leurs leaders. Les deux factions palestiniennes n’ont jamais été très sensibles à l’expression de la rue, surtout que celle-ci est restée trop fragmentée pour réellement peser.

Quelques heures après la signature de l’accord de réconciliation le 27 avril, la police du Hamas est même allée jusqu’à disperser, matraques à la main, les quelques Gazaouïs venus se rassembler pour exprimer leur joie. Les manifestations anti-division n’ont certainement pas été l’argument le plus décisif dans la récente volteface des deux frères ennemis.

L’affaiblissement de la Syrie

Des deux factions palestiniennes, le Hamas est assurement celle qui exprimait le moins ouvertement sa volonté de se réconcilier avec le Fatah. Il y a quelques semaines encore, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas accusait le mouvement islamique de bloquer ses demandes de visite à Gaza. Mais les troubles actuels en Syrie agissent comme un facteur de déstabilisation pour le Hamas. La direction exilée du mouvement islamique est l’hôte de Damas depuis 1999, suite à son expulsion de Jordanie.

Aujourd’hui, le leader du groupe, Khaled Meshaal, est pris entre deux feux. Politiquement, le mouvement est allié avec le pouvoir syrien alaouite de Bachar el-Assad mais, idéologiquement, le Hamas est issu de la mouvance des Frères musulmans, réprimée par le pouvoir syrien et pleinement associée aujourd’hui à la révolte de la rue. Dans l’hypothèse d’une chute de Bachar el-Assad, le Hamas pourrait payer son soutien affiché à un régime qui a tué des centaines de manifestants et être forcé de quitter les lieux. Un dilemme qui l’a rendu certainement plus attentif aux propositions de la nouvelle Egypte.

L’habilité de l’Egypte

La diplomatie «post-Moubarak» signe un coup d’éclat. Exit le chef des renseignements honni par le Hamas Omar Souleimane, le nouveau ministre des Affaires étrangères Nabil Al-Arabi, est apprécié par le mouvement islamique. Plus critique à l’égard des accords de paix avec Israël, il veut faciliter le transport de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, y compris des matériaux de construction interdits du côté israélien de la frontière. Par ailleurs, il s’est récemment prononcé pour l’ouverture permanente du point de passage de Rafah.

Son numéro 2, le nouveau chef des renseignements Murad Muwafi a, de son côté, accéléré le cadence de l’examen du dossier «réconciliation», au point mort durant les dernières heures de Moubarak. Une efficacité qui a été immédiatement remarquée par les diplomates israéliennes qui auraient envoyé, ces dernières semaines, pas moins de cinq délégations pour le mettre en garde contre un accord entre les deux factions palestiniennes.

L’émergence de nouveaux acteurs suite à la révolution égyptienne a contribué à débloquer la situation du côté du Hamas. De son côté, le Fatah ne se trouve plus en position de force depuis la chute d’Hosni Moubarak, son plus fidèle allié.

La perspective d’un Etat palestinien pour fin 2011

Mahmoud Abbas tenait à une réconciliation avec Gaza avant de porter le dossier de l’Etat palestinien devant l’ONU. Difficile, en effet, pour lui de proclamer la naissance de la « Palestine » dans les frontières de 1967 alors que la bande de Gaza fait toujours chambre à part. Du côté du Hamas, l’échéance de septembre 2011 a-t-elle contribué à infléchir ses positions vers une réconciliation palestinienne? «Pourquoi y aurait-il des discussions? Abbas n’a rien à offrir.»

C’était le constat des «Palestine papers» en janvier dernier. S’il reste opposé à toute négociation avec Israël, le mouvement islamique désire rompre l’isolement de Gaza sur la scène internationale. «Le Hamas est beaucoup plus pragmatique que les mouvements salafistes qu’il combat», explique Naji Shourab, professeur à l’université Al-Azhar de Gaza. La première étape était de se faire adouber par l’Egypte post-Moubarak, pays le plus peuplé du monde arabe.

Jeu de dupes?

L’accord de réconciliation est beaucoup moins ambitieux que le texte avorté d’octobre 2009. C’est aussi l’une des explications de son succès si rapide. Le Hamas et le Fatah semblent en effet avoir abandonné l’idée d’une grande réconciliation sur le fond, comme cela avait été tenté en 2009 sous l’égide de Moubarak. A l’époque, le Fatah avait exigé du Hamas qu’il reconnaisse l’ensemble des accords signés avec Israël.

De son côté, le mouvement islamique voulait imposer dans le texte l’obligation de «lutte contre l’occupation sioniste». Des exigences refusées par les états-majors des deux camps. L’accord du 27 avril semble exclure le sac de nœud idéologique pour consacrer le pragmatisme: un gouvernement transitoire de technocrates pour gérer les affaires courantes et surtout des élections d’ici un an.

«Ce gouvernement est autorisé à faire deux choses: fixer une date pour les élections et reconstruire Gaza. La politique est du domaine de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) et nous continuerons à suivre ma politique», a averti le président Mahmoud Abbas lors d’une conférence de presse le 28 avril.

En d’autres termes: pas question de gouverner main dans la main. Chacun conserve son pré-carré: Abbas a répété que les négociations de paix avec Israël restaient «son» dossier. En échange, le Hamas n’est pas «obligé» de reconnaitre Israël. Par ailleurs, le mouvement islamique garde le contrôle de la bande de Gaza. L’accord avorté de 2009 prévoyait le déploiement d’une force commune Hamas-Fatah de 3.000 hommes sur le territoire. Il semble que cette idée ait été abandonnée aujourd’hui. En revanche, les deux factions ont convenu de libérer les prisonniers politiques et de mettre en place un Haut comité pour les questions de sécurité, un organisme qui tend à n’être rien d’autre qu’une coquille vide. 

Plus qu’une réconciliation, c’est surtout un pacte fragile de non-agression qui a été décidé au Caire en attendant les futures élections. «Reste à savoir si le fossé idéologique qui perdure entre les deux mouvements permettra d’arriver jusqu’à-là», tempère Naji Shourab, professeur à l’université Al-Azhar de Gaza.

Les élections permettront de réellement déterminer qui sortira vainqueur sur l’autre. Une question laissée en suspens depuis 2006. La profonde inimitié soulignée par Alistair Crooke à travers les «Palestine Papers» n’a certainement pas disparu avec la poignée de main du Caire.

Hélène Prudhon

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