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L’affaiblissement économique des ennemis de l’Amérique (011508/18) [Analyse économique]

Par Amram Castellion © Metula News Agency

 

La principale nouvelle économique de la première moitié du mois d’août a été la chute parallèle des monnaies de trois puissances qui se définissent en grande partie, dans leur positionnement géopolitique mondial, par leur opposition aux Etats-Unis d’Amérique.

 

En 5 jours, du 8 au 13 août, le rouble russe a perdu 9%, passant de 63 à 69 roubles pour un dollar. La livre turque a perdu 33%, passant de 5,25 à 7 livres pour un dollar. Le rial iranien n’est en principe pas soumis au même risque, puisqu’il bénéficie d’un taux de change officiel fixé par l’Etat (actuellement un dollar pour 44.020 rials). Mais son taux de change officieux – disponible en ligne sur le site bonbast.com – a lui aussi perdu 7,5%, passant de 99.500 à 107.000 rials. Un dollar valait encore 56.000 rials au marché libre début avril dernier, avant que la menace d’un retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire iranien ne devienne pleinement crédible aux yeux du monde.

 

A la suite d’interventions massives des banques centrales, les trois monnaies ont cessé leur chute dans les deux derniers jours, mais un retour à leur valeur de la semaine dernière paraît clairement hors de portée dans l’avenir prévisible.

 

L’explication de cette chute parallèle réside en partie dans les mesures prises par les Etats-Unis contre les économies des pays qui cherchent à s’opposer à eux dans la politique mondiale. Plus profondément, cependant, elle s’explique par des faiblesses internes de ces économies, qui les rendent incapables de rassurer les investisseurs lorsque la conjoncture se détériore.

 

L’économie russe est, de loin, la plus importante des trois ; la richesse totale produite en Russie a représenté 1 577 milliards de dollars en 2017 selon la Banque mondiale, ce qui fait de la Russie la onzième économie mondiale entre le Canada et la Corée du Sud. L’économie russe représente environ un douzième de celle des Etats-Unis et les deux tiers de celle de la France.

 

La raison immédiate du décrochage du rouble a été l’annonce, mercredi 8 août, par le Département d’Etat américain (ministère des Affaires Etrangères) de la mise en place de nouvelles sanctions contre la Russie suite à la tentative de meurtre à Londres d’un ancien espion russe retourné, Sergei Skripal, et de sa fille. Les investisseurs sont également inquiets par un projet de loi proposé conjointement au Sénat, le 2 août dernier, par des Républicains et des Démocrates.

 

Ce projet de loi, dit « de défense de la sécurité américaine contre les agressions du Kremlin », propose notamment d’interdire l’activité en Amérique des principales banques russes, de geler les opérations des sociétés gazières et pétrolières, d’identifier et de fermer les réseaux automatisés d’intervention sur Internet (« botnets ») contrôlés par la Russie et d’enquêter sur la fortune personnelle de Vladimir Poutine. Ces mesures, si elles sont votées, s’ajouteront aux sanctions américaines déjà en place, initiées sous Obama et déjà renforcées sous Trump, qui limitent l’accès de l’industrie russe aux marchés financiers mondiaux, aux achats d’armes et aux équipements destinés à de nouveaux projets énergétiques.

 

Même si le projet de loi était adouci ou abandonné, les mesures annoncées par le Département d’Etat le 2 août vont considérablement nuire à l’économie russe. Elles prévoient notamment – à moins d’une reconnaissance quasi impossible par la Russie de sa culpabilité dans l’emploi d’armes chimiques – le refus d’atterrissage sur les aéroports américains aux compagnies russes et le retrait du soutien américain à tous les financements internationaux en direction de la Russie.

 

Pourtant, les sanctions américaines à l’encontre de la Russie n’expliquent une partie de l’inquiétude des investisseurs qui a provoqué le glissement du rouble. La principale raison de leur hésitation à investir réside dans la réaction à ces sanctions qu’ils anticipent de la part du Président Poutine, qui est le seul maître du pays.

 

Tout le comportement passé du locataire du Kremlin tend à démontrer que lorsqu’il se sent menacé ou affaibli, Poutine ne cherche pas à parvenir à un compromis. Il se bute, cherche à mobiliser sa population contre l’ennemi – en l’espèce, les Etats-Unis – et préfère sacrifier le bien-être de sa population plutôt que d’envisager de réformer la manière dont il gère la Russie.

 

Concrètement, cela signifie que les investisseurs s’attendent aujourd’hui à voir l’Etat russe continuer à fonctionner comme une station-service mal gérée. Plus de la moitié des recettes de l’Etat venant du gaz et du pétrole. Les réserves sont gigantesques, mais l’infrastructure gazière et pétrolière est en mauvais état et les prix mondiaux ne permettent pas au Kremlin de financer à eux seuls la croissance, ni de maintenir durablement la paix sociale.

 

Les sanctions américaines, en détériorant encore la situation économique du pays, devraient servir d’incitation au président russe à s’entourer de technocrates compétents qui réduiraient le gaspillage des dépenses publiques et chercheraient des solutions diplomatiques face à la dégradation des relations avec l’Amérique.

 

Au lieu de cela, il est presque certain que Poutine ne fera rien pour empêcher la dégradation de l’économie russe et cherchera à la compenser, face à son opinion publique, en mobilisant la population contre l’Amérique. Il est même possible qu’il se lance dans une nouvelle agression internationale, comme il l’a fait en Géorgie en 2008 et en Ukraine en 2014. La volonté de réduire le risque d’une action inconsidérée de Poutine est probablement ce qui explique que le Président Trump, tout en laissant les sanctions contre la Russie se durcir régulièrement, affiche publiquement une amitié personnelle avec le dirigeant russe proche de l’obséquiosité.

 

Cependant, le recours aux recettes traditionnelles du nationalisme et de l’appel à l’union contre l’ennemi américain fonctionne de moins en moins bien dans l’opinion publique russe. Selon le seul institut de sondage indépendant de Russie (résultats consultables en anglais sur www.levada.ru.en), la popularité de Poutine a fortement baissé entre avril et juillet dernier, passant de 82% à 67% d’opinions favorables. L’image des Etats-Unis, dans le même temps, s’est améliorée, passant de 20% à 40% d’opinions positives. Si ces tendances se poursuivaient, Poutine finirait par être gravement affaibli – moins par les sanctions américaines elles-mêmes que par le rejet croissant, au sein de la société russe, de la réaction de Poutine à ces sanctions.

 

Cette tactique consistant à attaquer l’adversaire tout en le laissant se porter lui-même le coup de grâce et très typique de la manière de fonctionner de Trump, dans les affaires comme en politique. Elle joue aussi un rôle dans sa politique face à l’Iran.

 

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le décrire dans ces colonnes, l’objectif avoué de Trump est de faire tomber le régime des mollahs. Mais, contrairement à son prédécesseur George W. Bush en Irak, Trump n’envisage pas un instant de renverser ce régime par la force. Les sanctions extrêmes qui accompagnent le retrait américain de l’accord nucléaire reviennent à bloquer l’accès de l’Iran à la quasi-totalité du système financier international : aucune banque utilisant le dollar ne peut plus travailler avec le pays. Dans le même temps, les entreprises internationales doivent choisir entre travailler avec les Etats-Unis, première puissance économique du monde avec une création totale de richesse de 19 390 milliards de dollars l’an dernier (soit à peine moins du quart de la richesse mondiale)… ou avec l’Iran, qui occupe le vingt-sixième rang avec une création de richesse de 439 milliards, entre la Belgique et l’Autriche.

 

Le rétablissement des sanctions américaines est donc, inévitablement, en train de provoquer une fuite massive de capitaux étrangers hors d’Iran, qui sera suivie d’un effondrement du niveau de vie et d’une forte augmentation du chômage. Mais l’objectif final de Trump – le renversement des mollahs – ne viendra pas d’une intervention étrangère. Il sera le résultat naturel du mécontentement croissant de la population contre un régime qui n’a pas su lui assurer des conditions d’existence normales.

 

La situation la plus intéressante est celle de la Turquie. D’abord parce que, contrairement à la Russie et à l’Iran, la Turquie – malgré une rhétorique anti-américaine de plus en plus virulente – reste formellement un allié stratégique des Etats-Unis au sein de l’OTAN. Ensuite, parce que l’effondrement de la livre turque la semaine dernière s’est fait avant même l’annonce de quelque sanction économique que ce soit, sur la seule perception de menaces générales.

 

La cause immédiate de la dégradation des relations entre les Etats-Unis et la Turquie a été l’annonce, le 1er août dernier, par le Département d’Etat, qu’il allait sanctionner à titre personnel les ministres turcs de l’Intérieur et de la Justice, en réaction au refus par la Turquie de libérer le pasteur américain Andrew Brunson, installé à Smyrne depuis 1990 et arrêté en 2016 sous des chefs d’accusation farfelus d’espionnage et d’association avec des organisations terroristes. La recherche d’un accord diplomatique avait échoué après le refus américain de libérer Hakan Attila, un directeur de la banque d’Etat turque HalkBank emprisonné aux Etats-Unis pour avoir enfreint les sanctions contre l’Iran.

 

En toute logique, le Trésor américain devrait imposer de lourdes amendes à HalkBank pour la même raison ; et la rhétorique de plus en plus hostile entre les deux pays laisse penser que des sanctions économiques pourraient suivre. Mais, à ce jour, rien de concret n’a été décidé ; ce qui n’a pas empêché, depuis le début de ce mois, une fuite massive hors de Turquie des capitaux étrangers et même des capitaux turcs.

 

Lorsqu’une cause aussi imprécise provoque une réaction aussi massive, c’est que quelque chose de plus profond est en train de se jouer. Au-delà des cas particuliers du pasteur Brunson et de Halkbank, les investisseurs sont en train de tirer les conséquences d’un modèle économique turc qui parvient en ce moment à ses limites.

 

Depuis l’arrivée au pouvoir du Président Recep Tayip Erdogan en 2003, l’économie turque avait semblé plutôt dynamique. La richesse produite a presque triplé, passant de 303 milliards de dollars en 2003 à 850 milliards en 2017 (17ème économie mondiale, comparable à l’Indonésie et aux Pays-Bas). Cette croissance a été financée, pour l’essentiel, par un afflux massif de capitaux étrangers.

 

Mais au lieu de faire les investissements qui auraient permis de donner à l’économie turque les bases d’une croissance durable – une amélioration du niveau d’éducation, de la recherche-développement, des infrastructures et des machines-outils et équipements industriels – Erdogan a préféré lancer des constructions grandioses : un palais pour lui-même, un troisième pont sur le Bosphore, un canal pour contourner le détroit, un nouvel aéroport international géant etc.

 

Depuis deux ans, il a également multiplié les prêts aux entreprises garantis par l’Etat, créant par là-même un gigantesque déficit caché.

 

Alors que toutes ces décisions fragilisaient déjà l’économie turque, les taux d’intérêt mondiaux sont repartis à la hausse, ce qui incite les investisseurs à rechercher d’autres destinations que la Turquie. Erdogan, à la fois par idéologie islamique et pour réduire les risques sur le budget de l’Etat, a tout fait pour empêcher la banque centrale d’augmenter ses propres taux. La fuite actuelle des capitaux est, avant tout, la conséquence mécanique de cette différence croissante de taux d’intérêt.

 

Dans ce contexte, la détérioration des relations avec l’Amérique et la menace de sanctions américaines ne peuvent qu’augmenter la panique des investisseurs. Mais, là encore, la vraie source de cette panique ne réside pas dans les sanctions américaines. Elle vient de la manière dont Erdogan a déjà commencé, et continuera presque certainement, à répondre à cette menace.

 

A cette date, Erdogan a déjà annoncé qu’il allait boycotter les produits électroniques américains – de loin les meilleurs du monde, sauf dans quelques niches coréennes et japonaises. Il menace directement les investisseurs américains et continue de refuser une augmentation des taux d’intérêt, dans lesquels il voit l’action d’un « lobby des taux d’intérêt » hostile à l’islam (et probablement, même si le président turc ne l’a pas dit cette fois-ci, inféodé aux sionistes). Il a déclaré que les Etats-Unis « ont le dollar, mais nous avons notre Dieu ».

 

En d’autres termes, le président turc réagit à la crise économique en faisant étalage de sa totale ignorance de l’économie et en annonçant des mesures qui garantissent une accélération de la fuite des capitaux et, pour finir, l’effondrement de l’économie turque.

 

Le rôle central des ennemis de l’Amérique dans leur propre affaiblissement limite la force de l’argument de ceux qui disent qu’en multipliant les sanctions économiques contre ses rivaux, Trump ouvre un boulevard à la Chine pour augmenter son influence sur les pays visés par les sanctions. Il est en effet probable que la Chine, à court terme, vienne au secours des pays sanctionnés en échange de contrats et d’influence géopolitique. Mais elle ne peut pas remplacer de mauvais gestionnaires par des bons, sauf à décider de passer d’une politique d’influence à une colonisation franche et directe qui n’est pas dans ses traditions.

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