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« Papa was not a Rolling Stone », la vie de merde de Sylvie Ohayon

Par Marguoli

 

 

Quand on vient tout juste de refermer « Life », l'autobiographie de Keith Richards, il semble normal de passer à « Papa was not a Rolling Stone » de Sylvie Ohayon. Si le premier est une histoire à couper l'héroïne, le second est un roman autobiographique à couper le souffle.

Pour raconter sa vie, qui n'est pas celle de tout le monde, Sylvie Ohayon choisit le roman autobiographique. Tombé du sein de sa mère, fruit pourri venu du fruit défendu, Sylvie Ohayon attaque la falaise avec des mots qui percutent comme des uppercut. Loin de les égrener façon « Trois morceaux en forme de poire » d'Erik Satie, elle les assène. C'est du Carl Orff en ode à la joie, lancinant de douleur comme un Boléro de Ravel.

Une vie de merde

Sylvie passe en revue une vie de merde et de bonheur. Elle a vendu des diamants, parsemé de pépites sa carrière de créative publicitaire. Orfèvre et révoltée, elle écrit à la Kalachnikov, en rafale.

Elle fait des enfants comme une femelle de la nuit des temps. Remercie l'homme qui l'aime et qui a bien de la chance d'être aimé d'elle.

Ici, pas de jeune fille en fleur mais des cornes de gazelle en guise de madeleines.

Elle ne parle pas d'amour mais de brulures, de tortures géantes. Le mépris et les baffes, les injustices, Sylvie les prend au plexus, d'un con qu'elle refuse d'appeler Papa. Puis, elle prie son dieu juif, son dieu kabyle et sa sainte vierge Marie, le cul entre trois prie-dieu, il vaut mieux, qui que l'on révère, envoyer plusieurs CV.

Une banlieue pleine d'amour

Au fil des pages, cette jeune juive tunisienne de mère, de grand-mère et de cœur, kabyle de déshonneur – non Papa ne l'a pas élevée, ne l'a pas reconnue, ne lui a rien donné que des regrets –, nous conte son enfance, sa jeunesse dans la cité des 4 000 à La Courneuve.

Une banlieue pourrie où réside tout l'amour de Margot, sa grand-mère, de son irresponsable de mère, Micheline, de son salopard de beau-père qui l'a reconnue pour son malheur et lui a donné son nom de goy qu'on ne connaîtra jamais. Et d'ailleurs, qui se soucie de cette brute qui ne bat qu'une enfant, des records de haine et qui pue sous les bras :

« Daniel ne m'a pas tuée. Daniel m'a permis de ne pas avoir peur. J'ai dépassé ma peur de lui, et avec elle, celle de tous les autres hommes. […] Il ne m'a pas brisée, il était à l'extérieur, rien à voir avec moi, mes valeurs, mon éducation. Sa méchanceté m'a appris à être gentille, sa laideur à apprécier la beauté. »

La vraie belle vie

De là, elle nous emmène vers une vraie belle vie, faite de richesse, de clinquant, d'hôtels et d'apparts à des mille et des cent où quand bien même, elle en chie : un homme qui la trompe, des talents, en veux-tu en voilà, qu'elle répand dans les agences de publicité où elle fait la nique à Beigbeder, se fait des amis sans importance comme Jacques Séguéla dont on peut dire tout ce qu'on veut, il sait aimer la force, le talent, les particularités, la folie et aussi, la sagesse, la belle, la sagesse passionnée à la Sylvie Ohayon.

Ce qu'il y a de violence en Sylvie, c'est ce qui la tient vivante, ce qui la fait écrire jusqu'au bout sans oublier une virgule ni un point dans la gueule.

Un peu de morale ne fait pas de mal

Elle est mal née, malmenée, Sylvie, mais elle jure qu'elle s'en est sortie. Ses yeux crachent des larmes, sa plume étincelle dans le noir tel un feu d'artifice de volonté de vivre, de surmonter la vie moche de sa cité, si belle pourtant car elle y trouve l'amour et l'amitié de ceux qui ont pansé les blessures de toute une vie.

Bon, parfois, elle nous fait un peu la morale. Qu'est ce qu'on a à se plaindre, à côté de ce qu'elle a vécu ?

« Avec Robert, […] on est restés comme ça toute la nuit sans dormir et j'ai pensé que pour enfanter une aurore, le jour avait besoin de la nuit et c'est comme ça que j'ai compris qu'on n'accomplit rien de grand et de beau tout seul. »

Parfois, on s'embrouille : c'est qui qui est mort ? C'est quand qu'elle était à l'hosto ? C'est quel enfant à qui elle donne la vie ? Quelles études elle a faites ? Etait-elle dans la pub et dans le diamant en même temps ?

Cela n'empêche qu'elle nous porte la bonne parole :

« Trouvez-vous quelqu'un à admirer, une homme, une femme, un chien, ça vous donnera une direction. Moi, j'avais Margot [sa grand-mère tunisienne, ndlr] même si je savais que je n'étais pas de ses entrailles. […] »

Et maintenant ? Elle se « tire à Brooklyn » pour finir son nouveau roman. « Je pleure puis j'écris », confie-t-elle. La dame a des moyens.

Après tout ce qu'on a pris dans le buffet, on espère qu'elle ne va pas nous ménager. Et qu'elle va nous refiler à nouveau des pages qui sont comme autant de claques.

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