La deuxième vie du grand rabbin Sitruk, par Rav Elie Kling
Un hommage touchant et plein d’humour à l’image de celui qui fut le guide spirituel du judaïsme français .
Le rav Sitruk est mort une première fois le 5 décembre 2001. C’est du moins ce que ses médecins ont pensé en constatant les dégâts causés par son accident vasculaire cérébral. Il ne passera pas la nuit, ont-ils alors estimé.
Une fois arrivée la haut, son âme fut extrêmement bien accueillie par les anges. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’arrive une âme aussi pure et de laquelle on peut dire qu’elle a transformé la physionomie du judaïsme français en rapprochant tant de gens, et surtout des jeunes, à la Torah ! Et puis, avouons-le, certains anges se régalaient à l’avance des histoires drôles que le grand rabbin défunt n’allait pas manquer de leur raconter. Une réputation de conteur inépuisable l’avait en effet précédé.
Bref, pendant qu’en bas, sa femme Danielle transformait l’hôpital de la Pitié Salpêtrière en hôpital de « la piété salle de prières », comme il le reconnaitra lui-même plus tard avec son sourire malicieux, en haut, on l’accueillait à bras ouverts et à ailes déployées ! C’est alors que la néchama (âme) du rav Sitruk demanda la parole : « Je suis très touchée par votre accueil mais je suis encore très jeune. Vous m’avez envoyée sur terre il n’y a même pas 6 décennies, c’est un peu peu, voyez-vous. Et puis, je ne pense pas avoir fini ma mission. J’ai encore beaucoup de choses à accomplir. Après tout, je suis encore le guide spirituel du judaïsme français »
— Oui, mais vous avez admirablement réussi votre mission et il est temps maintenant de revenir ici, dit l’ange Mikael.
— Je n’ai pas fini, insista la néchama du rav
— On nous a pourtant bien affirmé que le mandat du grand rabbin, c’était deux septennats. Cela fait combien de temps que vous êtes à la tête du judaïsme français ?
— 14 ans.
— Donc, le compte est bon, non ?
— Formellement, peut-être, mais il y a encore trois messages que je ne leur ai pas transmis et je ne pourrai le faire que si vous me laissez redescendre.
— Lesquels ?
— D’abord, je dois leur enseigner la force de la prière. Voyez ce qui se passe en bas. Écoutez donc ce que ma femme est en train de mettre en place.
Les anges se turent et on entendit clairement Danielle Sitruk discuter avec les médecins.
— Combien a-t-il de chances de s’en tirer ?
— 2%
– Parfait, dit-elle, très calme et très digne, comme à son habitude, malgré les circonstances. Et de toute la force de sa émouna (foi), elle leur rétorqua :
— Occupez-vous donc, s’il vous plait, comme vous savez si bien le faire des 2%, je m’occupe des 98% restants !
Je dois leur expliquer, de toutes mes forces, que rien ne vaut la vie !
Et elle partit organiser la plus belle sanctification du nom divin auquel il avait été donné d’assister sur la place de Paris depuis fort longtemps : des milliers de juifs (et de non-juifs !) se mirent à prier dans tout l’Hexagone et même au-delà ! Et autour du corps du grand rabbin, un minyan se relaya jour et nuit comme pour dire au Maître du Monde : c’est trop tôt, nous avons encore besoin de lui. Nous ne quitterons pas cette chambre jusqu’à ce que Tu nous le rendes !
— Et quel est le deuxième message ? demanda Mikael d’une petite voix, visiblement impressionné par la force de la émouna qui se dévoilait déjà en bas.
— Je dois leur expliquer, de toutes mes forces, que rien ne vaut la vie !, répondit la néchama du rav.
— Je comprends. Et le troisième ?
— Je sens que je ne leur ai pas suffisamment enseigné que l’Exil est terminé et que le temps du retour à Sion est arrivé ! Il ne faut pas que les Juifs de France ratent le train de la Guéoula ! Ils doivent être au bon endroit et au bon moment. Le bon moment c’est maintenant et le bon endroit, c’est Erets Israël !
Les anges ne cédèrent pas facilement. Les débats, houleux, durèrent deux mois et demi. Mais puisqu’en bas, le minyan restait ferme, la néchama du rav Sitruk eut la force de tenir tête.
Finalement, le Tribunal d’En-Haut décida, tout à fait exceptionnellement et compte tenu de la personnalité particulière de l’homme et de son immense influence, de lui laisser un sursis : 15 ans, pas plus. Mais 15 ans tout de même ! Pour enseigner aux Juifs de France jusqu’où peut aller la force de la prière, pour leur dire que leur place est en Israël et pour leur apprendre que rien ne vaut la vie ! Durant ces 15 années de sursis (dont 7 supplémentaires en tant que grand rabbin de France en titre), il se considérait comme « un survivant de la prière » et retrouva le rôle qui avait été le sien au cœur de sa communauté. Il eut le temps aussi d’écrire un livre auquel il donna le nom du deuxième message que sa néchama s’était engagée à transmettre. Et il appela de toutes ses forces à la Alya.
Et lorsqu’en haut on s’aperçut que les trois messages étaient convenablement passés et que les 15 ans de sursis s’étaient écoulés, la néchama du rav Sitruk put retrouver sa place auprès des anges, apaisée qu’elle était d’avoir pu ainsi compléter sa mission.