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COMPLOTISME - ISLAM, LAÏCITÉ, SIONISME : COMMENT LE DÉBAT PUBLIC NOURRIT LE RÉCIT COMPLOTISTE

Depuis une quinzaine d’années, le débat public tourne autour des mêmes questions, des mêmes personnes, des mêmes problèmes. Des obsessions focalisées autour de l’islam, de la laïcité, du sionisme,… qui divisent la France. Dans son livre "Obsession, dans les coulisses du récit complotiste", Marie Peltier analyse ce phénomène et souhaite l’avènement d’un nouveau récit narratif.

Au cœur des polémiques depuis plusieurs années, des objets sémantiques et des personnages symboliques qui reviennent sans cesse. Le débat public s’est polarisé autour de l’islamisme, du sionisme, de la laïcité, des violences à l’égard des femmes… Des thèmes persistants que déconstruit Marie Peltier, historienne, chercheuse et enseignante à Bruxelles, dans son livre Obsession, dans les coulisses du récit complotiste.

Celle-ci pointe la formation d’un “récit préfabriqué” qui s’est implémenté dans nos esprits et nos discours. Un récit articulé autour du rejet, de la posture anti, de la rupture. Tout au long de son ouvrage, l’auteure tente de comprendre ce phénomène et propose de le renverser pour un récit plus fédérateur.

L’enseignante belge estime le point de départ de cette cristallisation après l’événement traumatique des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, l’intervention en Irak qui a suivi en 2003 ayant créé une sorte de “désaveu abyssal” des citoyens à l'encontre des politiques et des médias.

“Cet état d’esprit a peu à peu fomenté des obsessions, qui sont devenues des mantras contemporains. Comme des formules incantatoires que l’on répète à l’envi, traduisant le sentiment d’injustice, la soif d’une plus grande transparence, d’une plus grande éthique”, écrit Marie Peltier.

Coupable universel

Depuis une quinzaine d’années, se déroule une “guerre des symboles” où une forme de “coupable universel” a été désigné. L’auteure de L’ère du complotisme – La maladie d’une société fracturée (Les Petits Matins, 2016) analyse que les minorités culturelles, musulmanes et juives particulièrement, sont vues comme les responsables du dysfonctionnement principal de notre société.

La question identitaire est désormais au centre de tous les débats et fait office de curseur du positionnement des uns et des autres. L’islam est devenu une thématique de plus en plus clivante. Si cette dernière domine les échanges, il existe également “une forme de repli et de recours à la polarisation autour d’autres thématiques contemporaines, à l’instar par exemple de la question coloniale, de celle du conflit israélo-palestinien, de celless liées au genre et à l’appartenance sexuelle, ou encore de la question dite nationale” tient à souligner Marie Peltier.

La question du port du voile islamique enflamme de manière chronique les débats. L’historienne prend pour exemple les apparitions télévisées de la chanteuse Mennel sur TF1 dans l’émission The Voice ou encore l’interview de Maryam Pougetoux, présidente de l’Unef à Paris-IV dans un reportage diffusé sur M6. Dans les deux cas, leur voile a été le centre de l’attention durant des semaines.

L’ère de la décrédibilisation

Ces débats et questions participent à la construction d’une dynamique binaire, d’un positionnement “pour” ou “contre”. “Comme s’il s’agissait d’un combat continuel entre deux blocs homogènes, comme si d’autres voies et d’autres types de paroles n’étaient à explorer”, déplore la spécialiste des questions interculturelles et internationales.

La posture “contre” est devenue une forme de moteur. Elle représente “l’assignation de l’autre à une seule appartenance, souvent fantasmée, obsessionnalisée, issue elle-même de l’imaginaire de la défiance et du désaveu”, apparue après les attentats du 11 septembre.

Marie Peltier fait remarquer que, peu à peu, nous sommes passés d’une ère de défiance à une ère de discrédit. “Le débat public est sous-tendu par la traque ininterrompue des erreurs et dévoiements des autres”. L’objectif est désormais de débusquer les incohérences dans le discours de l’autre, au lieu de se concentrer sur le débat de fond.

L’enseignante décrit plusieurs manières de procéder dans son livre. Il existe par exemple le “deux poids deux mesures”. Elle prend l’exemple de François Fillon, soupçonné d’emplois fictifs lors de la campagne présidentielle de 2017 ou de Tariq Ramadan, accusé de viols et de harcèlement sexuel par plusieurs femmes. Dans les deux cas, les pro-Fillon comme les pro-Ramadan ont essayé d’éviter le débat et ont privilégié le déni en dénonçant plutôt un acharnement médiatique ou une différence de traitement.

Dépolitisation du débat public

Autre mantra : esquiver le débat au nom de la liberté d’expression. “Au sein des réseaux d’extrême droite antisémite, cette sémantique est devenue au fil du temps une véritable justification de postures idéologiques très éloignées de l’idéal démocratique dont pourtant la liberté d’expression est l’une des valeurs fondatrices”, assure Marie Peltier.

Une pratique courante chez Alain Soral ou Dieudonné, qui crient à la censure quand ils ne sont pas invités sur un plateau télévisé ou quand un spectacle est interdit. “Comme si le fait de se présenter comme la cible d’une censure au sein de nos sociétés étaient une manière de créditer une parole à la fois antisémite, négationniste et pro régimes autoritaires”. 

Sortir la carte fake news pour éviter le débat

Une dépolitisation et une dérationnalisation du débat public se sont également installées. Dans cette ère de défiance, le discours officiel est perçu comme “oppressif” et “condescendant”. A côté se développent les postures alternatives, donnant une autre version, “celle que le pouvoir tenterait à tout prix de faire taire et d’étouffer”.

De ce fait, une nouvelle réalité voit le jour : “On ne dit plus ‘je combats ta position politique’. On préfère sortir la carte ‘ce que tu dis est une fake news’.” Pour l'historienne, la polarisation entre le discours officiel et alternatif atteint son point de paroxysme aujourd’hui. 

Réseaux sociaux, terreau pour la parole de haine

Si le sentiment de défiance généralisé affecte autant le débat public, cela est notamment dû à la force de frappe des réseaux sociaux. Des espaces où la parole est libre, instantanée, horizontale. Tous les internautes se trouvent sur le même pied d’égalité, ce qui n’est pas sans conséquence.

Pour l’auteur d'Obsession, les paroles politique, médiatique, académique, publicitaire et citoyenne font désormais partie “d’un même ensemble où plus aucune échelle de valeur ne vient distinguer ce qui relève de la prise de position légitime de ce qui relève de l’imposture, ce qui relève des faits de ce qui relève de l’opinion”.

Les réseaux sociaux sont aussi un redoutable “terreau pour la parole de haine, le harcèlement et l’invective continuelle”. Gigantesques caisses de résonance, ils ont largement participé à la formation de nos obsessions contemporaines. La chasse aux anciennes publications des politiques et des personnages publics est devenue une “arme de délégitimation” du camp d’en face. “La mémoire médiatique s’est ainsi transformée en piège”note l’historienne. 

Fuir les obsessions

Afin de sortir de ce climat binaire et de ces obsessions, il est nécessaire de déplacer le récit et de fuir les “lieux d’obsessions qui sont aussi lieux d’une défiance mutuelle”, assure Marie Peltier. Selon elle, les printemps arabes sont un exemple d’une narration nouvelle. Ceux-ci n’ont ciblé “ni l’Occident et Israël, ni l’islam” et ont proposé “un récit dont le moteur n’était ni antisémite ni islamophobe”. Ou encore la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés à Bruxelles, un “mouvement qui amorce un récit neuf, inclusif et dépassant bien des clivages”.

 L’historienne belge insiste sur le fait qu’il faille quitter les lieux d’obsessions “pour proposer une attitude à la fois de résistance et de réenchantement”. Un changement d’attitude qui peut s'opérer notamment par une réhumanisation du débat. “C’est bien dans le clivage incessant entre un ‘nous’ et un ‘eux’ fantasmés que viennent s’engouffrer ces phénomènes de lynchage et de fantasmes vis-à-vis des personnes perçues à cette occasion, non plus comme des individus doués de conscience et de liberté, comme des silhouettes réduites à n’être plus que le miroir de toutes les peurs et de toutes les haines.” A place de ce “nous” et de ce “eux”, Marie Peltier propose l’utilisation du “je”, pour remettre de l’humain dans ce récit. 

Source : Les Inrocks

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