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Le jour ou ... J’ai pendu Adolf Eichmann. Par Shalom Nagar

 

Je ne suis qu’un jeune gardien de prison israélien lorsque l’on me confie une tâche historique : être le bourreau du « technicien » de la Shoah. Le 31 mai 1962, sans joie mais sans pitié, j’actionne la potence.

Propos recueillis par Hadrien Gosset-Bernheim - Paris Match

Ce pourrait être le prisonnier idéal : discipliné et courtois. Un obsédé de la propreté qui se lave sans arrêt les mains. Depuis six mois, je passe mes journées assis dans la cellule où il est occupé à écrire. Mais nos échanges sont extrêmement limités puisque je ne parle que l’hébreu et le yéménite et que lui ne comprend que l’allemand et l’espagnol.

Sauf qu’Adolf Eichmann n’est pas un détenu comme les autres : c’est l’assassin de mon peuple. En décembre 1961, quelques jours avant son transfert à la prison de Ramla où je suis en poste, l’ancien officier SS avait été condamné à être pendu par un tribunal israélien pour son rôle dans l’extermination des Juifs d’Europe. A l’époque, en Israël, on commence tout juste à parler de la Shoah et pour moi, l’orphelin qui a grandi au Yémen, ça paraît un peu loin. C’est sans doute pour cela que j’ai été choisi pour être son gardien personnel. Placé sous surveillance constante, il ne faut surtout pas qu’il se suicide ou qu’un survivant des camps tente de l’assassiner. Mes collègues ashkénazes ont d’ailleurs ­interdiction de l’approcher. Et je dois goûter toute sa nourriture. « Si un petit Yéménite est empoisonné, ce n’est pas grave. Mais si c’est Eichmann, imagine le scandale », m’explique mon supérieur. Je suis sûr qu’il ne plaisante qu’à moitié…

Un jour du printemps 1962, le gardien chef me demande si je veux être celui qui exécutera la sentence de mort contre Eichmann. Je refuse : c’est une trop grosse responsabilité, et puis je sais que ce ne sont pas les volontaires qui manquent. Un tirage au sort est ­finalement organisé. Pas de chance, c’est mon nom qui est désigné. Je serai donc le bourreau d’Eichmann.

Le 31 mai, alors que je suis en train de me promener avec ma femme, je suis littéralement « enlevé » en pleine rue et poussé dans une voiture de l’administration pénitentiaire. Dans le plus grand secret, on me conduit à la prison où l’on m’annonce que l’exécution aura lieu cette nuit. Afin que je comprenne bien l’importance de ma mission, on me montre des photos de SS fracassant le crâne d’enfants juifs.

Lorsque j’entre dans la pièce où doit avoir lieu la pendaison, Adolf Eichmann est déjà là, en compagnie de son avocat et d’un pasteur protestant. Il a eu droit à un verre de vin de Carmel, sa dernière volonté. On lui passe la corde autour du cou, mais il refuse le bandeau sur les yeux. Il a ses charentaises aux pieds. Tout le monde sort et je suis maintenant seul avec lui. Il est d’un très grand calme et nous n’échangeons pas un mot. Deux minutes avant minuit, selon les ordres, je tire la poignée qui actionne la potence : une trappe s’ouvre sous ses pieds, et le « technicien » de la solution finale fait une chute de 10 mètres. C’est terminé. J’ai agi comme un automate, sans joie mais sans pitié.

Je n’en ai cependant pas totalement fini avec ma tâche macabre. Je dois en effet décrocher le cadavre pour qu’il soit brûlé et que ses cendres soient ­dispersées en haute mer. Je n’ai encore jamais vu de pendu. C’est horrible ! Le visage d’Eichmann est gonflé et livide. La corde a provoqué de profondes entailles au cou... J’ai l’impression d’être en présence de l’ange de la mort et qu’il va m’avaler. Je tremble sans pouvoir me contrôler. Cette vision peuplera mes cauchemars et, durant de longs mois, je me réveillerai en pleurant. J’ai accompli le commandement divin d’éliminer Amalek, l’ennemi éternel du peuple juif. Mais ce n’est pas facile de tuer un homme…

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