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Joann Sfar : dans mon film, le rabbin et le cheik sont des Sfar, car "mon nom est à la fois juif et arabe"

A l'occasion de la sor­tie en salles mer­credi pro­chain de son beau film "Le Chat du Rabbin", ins­piré de sa célèbre BD, Joann Sfar nous accorde un entre­tien exclu­sif. Il nous explique en quoi son film est avant tout un com­bat contre le racisme.

Vous êtes le réa­li­sa­teur du film (1): por­ter votre BD à l'écran, est-ce une sorte de seconde nais­sance pour votre œuvre, ou cette réa­li­sa­tion s'inscrit-elle tota­le­ment dans la conti­nuité de vos œuvres dessinées ?

J'ai l'impression de faire tou­jours le même métier : racon­ter des his­toires. Ensuite, c'est vrai que le cinéma consti­tue un outil plus col­lec­tif, plus com­plexe, à la fois dans son écono­mie et dans sa réa­lité quo­ti­dienne. Tout l'enjeu consiste à tra­vailler de façon aussi légère et spon­ta­née que si c'était pour une bande des­si­née. J'espère que le film parle avec la même voix que les albums.

Peut-on dire que "Le Chat du Rabbin" est un film auto­bio­gra­phique, dans la mesure où deux des per­son­nages prin­ci­paux (le rab­bin et le cheik) sont des Sfar ?

En réa­lité, aucun de mes ancêtres ne res­semble aux deux vieux Sfar. Le seul qui a réel­le­ment existé, c'est le Malka des Lions qui était mon grand-oncle, il est mort dans les années trente mais il était assez célèbre, semble-t-il, près d'Oran. Il était mon­treur de lions comme d'autres peuvent être mon­treurs d'ours.
En ce qui concerne les vieux Sfar, on est plus face à une recherche ins­tros­pec­tive : je joue avec le fait que mon nom de famille est à la fois juif et arabe.

Pour travailler en classe

L'Agence Cinéma Education pro­pose un dos­sier péda­go­gique très com­plet sur le film, avec des res­sources pour le cours de fran­çais, d'histoire, d'éducation civique, de philo, d'arts plas­tiques et d'histoire des arts.

Ce film a-t-il pour voca­tion de com­battre le racisme ? Il passe en effet en revue tous les cli­chés anti­sé­mites et racistes de l'époque colo­niale –café inter­dit aux juifs et aux arabes, des­sins anthro­po­lo­giques sur les noirs, sans oublier les cli­chés véhi­cu­lés par Tintin, ni une évoca­tion des pogroms en Russie...

Oui ! Bien entendu, c'est l'objectif pre­mier, s'attaquer à la bêtise humaine, et bien rap­pe­ler qu'elle n'est pas l'apanage d'une com­mu­nauté par­ti­cu­lière mais qu'elle est très bien répar­tie. Les outils que j'utilise dans le Chat sont très proches de ceux aux­quels a recours Voltaire dans son Candide: mon­trer que tous les êtres humains sont déses­pé­rants... mais essayer de les aimer tout de même !

Est-il aussi une fable sur la tolérance ?

Non. Je ne suis abso­lu­ment pas tolé­rant, je suis aimant. Tolérant, selon moi, c'est ce qui se passe à Londres : "je m'en fiche de com­ment tu vis, de toutes façons, on ne s'adressera jamais la parole". Tolérant, ça vou­drait dire qu'il y a sur notre sol des gens tel­le­ment dif­fé­rents que leur mode de vie nous serait tota­le­ment étran­ger. Moi je pense sin­cè­re­ment que tous les hommes sont pareils. Pour moi, les com­mu­nau­tés, ça n'existe pas. Quand un type vient par­ler au nom des juifs ou au nom des musul­mans, ça m'énerve. Nous sommes des indi­vi­dus uniques et nos choix de citoyens n'ont pas à être déter­mi­nés par un groupe reli­gieux ou eth­nique. Mon but, avec le Chat, c'est de dédra­ma­ti­ser tous ces sujets et aussi de faire tom­ber les cli­chés qui ont cours au sujet des juifs et des arabes. J'en ai marre que les gamins s'imaginent que les juifs sont de "méchants sol­dats israé­liens" ou La vérité si je mens. Et j'en ai marre qu'il y ait autant de cli­chés sur les musul­mans. On a le droit d'être juif, d'être musul­man et de n'en avoir rien à fiche de la reli­gion. Moi, je ne veux pas être "tolé­rant" avec des gens into­lé­rants. Les rab­bins, les imams et les curés sont tous d'accord avec une chose : ils refusent que des jeunes gens de reli­gions dif­fé­rentes se marient entre eux. Ca crée de vraies tra­gé­dies dans des familles et je me bats contre ça. Tant que les prêtres empê­che­ront des jeunes gens de se marier sous pré­texte qu'ils n'ont pas la même reli­gion, je ne serai pas "tolé­rant". J'aime les êtres humains mais je n'ai pas une pas­sion pour les tenues ecclé­sias­tiques. J'ai tout de même appris mon métier à Charlie Hebdo !

En quelques mots, auriez-vous un mes­sage pour les élèves et les ensei­gnants qui sou­hai­te­ront tra­vailler sur votre film ?

Oui!!! Ca ne me gêne pas du tout si vous n'êtes pas d'accord avec ce que je raconte. ce film est une base pour dis­cu­ter, pour abor­der plein de sujets. Je vou­drais dire à mes jeunes spec­ta­teurs que ça n'est pas grave quand on est en désac­cord sur quelque chose, et on n'est abso­lu­ment pas obli­gés de tous pen­ser pareil. Ce qui serait tra­gique, en revanche, ça serait de ces­ser de se par­ler ! J'espère que mon des­sin animé don­nera lieu à beau­coup de dis­putes très inté­res­santes en classe.

Sandra Ktourza

Note(s) :

  • (1) Synopsis : Alger, années 1920. Le rabbin Sfar vit avec sa fille Zlabya, un perroquet bruyant et un chat espiègle qui dévore le perroquet et se met à parler pour ne dire que des mensonges. Le rabbin veut l'éloigner. Mais le chat, fou amoureux de sa petite maîtresse, est prêt à tout pour rester auprès d'elle... même à faire sa bar mitsva ! Le rabbin devra enseigner à son chat les rudiments de loi mosaïque ! Une lettre apprend au rabbin que pour garder son poste, il doit se soumettre à une dictée en français. Pour l'aider, son chat commet le sacrilège d'invoquer l'Eternel. Le rabbin réussit mais le chat ne parle plus. On le traite de nouveau comme un animal ordinaire. Son seul ami sera bientôt un peintre russe en quête d'une Jérusalem imaginaire où vivraient des Juifs noirs. Il parvient à convaincre le rabbin, un ancien soldat du Tsar, un chanteur et le chat de faire avec lui la route coloniale...

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