MIRAGES ET MIRACLES DE L'ECONOMIE ISRAELIENNE
REPORTAGE SPECIAL DE NOTRE CORRESPONDANTE – Le Centre Menahem Begin de Jérusalem a ouvert ses portes cette semaine au Salon du livre israélien de langue française. L’importante communauté francophone d’Israël s’est donc réjouit de pouvoir retrouver la langue de Molière au coeur d’Israël. En marge de cet événement a eu lieu une conférence animée par Lali Derai (journaliste) autour du miracle de l’économie israélienne. La député Atzmaout Einat Wilf, le Docteur Yitzhak Adda, l’économiste du ministère des Finances Richard Sitbon et enfin Yekoutiel Sabah, directeur du département de Recherche au ministère des Affaires sociales, ont débattu autour de ce thème.
Personne ne peut ignorer la réussite de l’économie israélienne à moins de n’avoir allumé la télévision ou de n’avoir pas parcouru un quotidien. En soixante-trois ans d’existence l’Etat juif a accompli des pas de géant et a dépassé son ancienne puissance tutélaire : la Grande-Bretagne. Pour autant les écarts sociaux continuent à se creuser et certains, s’ils ne contestent aucunement le miracle, affirment que de nombreux progrès restent à accomplir.
“Le miracle de l’économie israélienne n’est pas un mythe, c’est une réalité. Nous avons réussi principalement grâce aux Israéliens, grâce à tous les citoyens. De toute pièce nous avons pu créer une économie florissante basée sur les individus, c’est à dire sur l’idée et non sur la matière. Aujourd’hui l’économie mondiale est elle aussi basée sur les cerveaux, l’intelligence et les idées”, a affirmé M. Wilf, ancienne député travailliste qui a suivi Ehoud Barak dans son nouveau parti, Atzmaout.
Richard Sitbon a pour sa part rappelé à l’auditoire les domaines d’excellence des Israéliens. “Souvenons-nous simplement de louanges formulées par le quotidien Les Echos en 2009. Tout d’abord il nous faut préciser que les Israéliens ont passé avec succès la crise et que le pays a su passer d’une économie agricole à une économie essentiellement basée sur le high-tech. En 2009, Les Echos félicitaient Israël pour l’excellente gestion budgétaire qui lui a permis de rester sur la voie de la croissance. Prenons l’exemple de l’Islande. Comme bien des pays, elle n’a pas mis un point d’orgue à respecter une stricte rigueur budgétaire”, a-t-il expliqué.
“La force de l’innovation en Israël s’est construite grâce à l’élasticité des entreprises. Lorsqu’elles ont constaté que le dollar baissait, elles se sont tournées vers l’Union Européenne. Aujourd’hui 50% des échanges commerciaux se font avec l’Europe.
En outre, on peut citer l’élasticité de la politique budgétaire. Israël est passé, dans les années 1990, d’une économie quasi-communiste à une économie libéral. Par ailleurs, l’immigration a joué un rôle extrêmement important, en particulier la vague d’immigration russe", a déclaré l’économiste.
M. Adda a quelque peu tempéré ces propos. “Pour moi il n’y a pas de miracle de l’économie israélienne. Un miracle du secteur du high-tech oui, mais pas de l’économie. Par exemple, la croissance du revenu des ménages a été divisée par deux ces dernières années. Il y a une tendance régulière certes, mais elle ne permet pas de rattraper l’écart avec d’autres pays comme les Etats-Unis ou les pays d’Europe. Au contraire cette régularité creuse l’écart. Les revenus des Israéliens et des Américains sont en effet toujours différents à l’heure actuelle”, a-t-il expliqué, amenant un sérieux refroidissement dans la salle après les propos tenus par les orateurs précédents.
“Il y a une économie à deux vitesses. Les facteurs de la réussite du secteur high-tech sont extrêmement simples. Tout d’abord l’investissement, ensuite le capital humain (l’éducation des années 1970 qui s’est dégradée depuis), ensuite l’aliyah russe et enfin le capital étranger. Le capital étranger passe principalement par les capitales-risques américaines. Par ailleurs, nous ne pouvons pas ne pas mentionner les investissements directs qui représentent 2% du PIB.
Les ingrédients du miracle sont bien connus. Mais une autre partie de la société stagne : les salaires n’ont pas augmenté depuis dix ans. L’économie israélienne est à deux vitesses, cette différence représente l’arrière-plan économique de la fracture sociale", a affirmé l’ancien professeur de Sciences Po Paris.
Yekoutiel Sabah, Israélien d’origine en développant ses propos dans un français parfait s’est rapproché de l’opinion de M. Adda. “Nous avons tendance à penser que la clef du succès réside dans l’économie libérale et nous en oublions qu’Israël était un pays à économie quasi-communiste à ses débuts. Dans ces années-là l’essor israélien était bien plus important que de nos jours”, a-t-il ainsi rappelé.
Les politiques économiques menées par Israël ont cependant laissé de nombreux individus en arrière plan, notamment les populations arabes israéliennes et les communauté haredi (Juif orthodoxes). Si les participants ne partageaient pas tous le même point de vue optimiste au regard du miracle de l’économie, ils se sont tous accordés à reconnaître que la pauvreté de ces milieux est “une pauvreté choisie”. L’émergence de ces nouveaux pauvres, comme les ont appelé les analystes, ne dépend en effet pas des politiques menées par l’Etat hébreu.
“Affirmer que le miracle israélien existe ne doit pas dissimuler les fractures existantes dans la société. Les problèmes sont créés par les communautés arabes israéliennes et par la communauté orthodoxe. Mais Israël agit contre la pauvreté de différentes classes, celles qui n’ont pas choisi la pauvreté : par exemple le pays aide les personnes âgées. En Israël, une famille doit vivre correctement si les deux parents ont un travail. En outre si ces derniers ont bénéficié d’un certain niveau d’études, cela augmente leurs chances de ne jamais connaître la pauvreté. Il faut mettre l’accent sur ces deux choses : le travail et le niveau d’études. Par ailleurs le gouvernement israélien a prévu d’augmenter le salaire minimum”, a affirmé Mme Wilf.
Pour M. Sabah l’émergence des nouveaux pauvres et l’aggravation des conditions des “anciens pauvres” vient principalement du fait que les “gouvernements israéliens n’aient jamais mis la pauvreté en tête de leurs priorités. Israël n’a fait preuve d’aucune ténacité pour résoudre le problème de la pauvreté”, a-t-il estimé.
Une fois de plus, M. Adda est venu prendre le contrepied des arguments avancés par ses interlocuteurs. “La pauvreté ne se résume pas aux Arabes israéliens ou aux Haredi”, s’est-il exclamé. "Cette pauvreté, je le rappelle, est une pauvreté choisie. Mais lorsque l’on enlève ces populations des statistiques, Israël connaît un taux de pauvreté s’élevant à 13% et celui-ci va croissant. Aujourd’hui une famille sur cinq vit sous le seuil de la pauvreté, comme un Israélien sur quatre.
C’est une tendance lourde liée à la mondialisation puisqu’Israël est un tout petit pays entièrement tourné vers l’extérieur. Nous devons donc faire face à d’autres pays affichant des coûts de production défiant toute concurrence, notamment en matière de main d’oeuvre.
Parallèlement, la demande de travail qualifié a augmenté tandis que la demande de travail non-qualifié a diminué. En outre, la tendance mondiale est au désengagement de l’Etat dans les affaires sociales et dans l’éducation.
Si 2001-2002 le pays a dû effectuer des coupes budgétaires afin de respecter la logique de son économie libérale, il les a maintenues bien qu’elles n’aient plus été nécessaires. Aussi celles-ci avaient commencé bien avant et avaient déjà largement pénalisé le secteur social. Pour disposer d’une économie high-tech florissante Israël a besoin de crédibilité et d’affirmer en acte son engagement au libéralisme économique. Je pense qu’il faudrait repenser la politique économique israélienne afin de trouver comment réhabiliter la solidarité voulue par ses fondateurs", a-t-il précisé.
En réponse, M. Sitbon a cité quelques chiffres afin de contrecarrer la vision proposée par son interlocuteur M. Adda. "Parlons chiffres. Au premier trimestre de cette année, Israël a enregistré une croissance à 4,4% contre 1% en Europe. L’Etat a collecté 13 milliards de shekels supplémentaires par rapport à l’année passée grâce aux impôts et s’en est servi pour diminuer la dette de l’Etat. Alors que les pays européens peinent à réduire leurs dettes, Israël l’a fait.
En matière d’éducation l’Etat juif peut se targuer d’avoir 75% de sa population ayant un cursus scolaire supérieur ou égal à 12 ans d’études. Autrement dit plus de la moitié des Israéliens détiennent un diplôme universitaire.
Oui nous avons ce que l’on appelle des “cerveaux” et nous sommes bons en innovation. Pourquoi ne pas utiliser nos capacités ? Grâce à nos cerveaux nous avons exporté 14 milliards de dollars l’an dernier, ce qui représente plus que ce que le Qatar exporte en gaz", a-t-il affirmé.
Et d’ajouter : “Il est aisé de se montrer critique vis-à-vis d’Israël. Nous sommes passés extrêmement rapidement d’une économie d’Etat à une économie libérale. Nous avons globalement réussi”.
“De plus, il y a les indices de quantité, mais aussi les indices de qualité. L’OCDE a ainsi lancé aujourd’hui même un nouvel indice : celui du bien-être. Prenons l’exemple des Japonais. Ils enregistrent d’excellents résultats économiques et leur pays fait partie des plus riches au monde, mais ils n’ont pas le temps de profiter de leur argent. Nous pourrions changer notre vision des chiffres en adoptant encore de nouveaux indices”, a-t-il continué.
Yekoutiel Sabah a repris la parole sur l’importance des chiffres que venait d’évoquer M. Sitbon. "Les chiffres de Richard (Sitbon) sont absolument vrais, mais ils constituent des données contestables. Le PIB a des limites, c’est un indice fondé sur une moyenne. Par là-même, l’indice ne tient pas compte la situation à l’intérieur de l’économie. Le premier à mentionner la différence entre le chiffre et la réalité a été M. Sarkozy. Je le vois bien dans mon ministère, les chiffres influencent les politiques qu’il faut mener. Mais plus que les chiffres en eux-mêmes, ce qui importe est leur lecture. L’essor du PIB ne dit rien.
Par exemple dans mon ministère j’ai créé l’indice de bien-être des enfants dans les écoles. Ce changement a induit de facto une différence d’opinion et donc une différence dans la politique menée", a indiqué M. Sabah. “Par ailleurs, concernant l’indice du bien-être de l’OCDE je ne pense pas qu’Israël soit aussi bien classé que vous le laissez entendre M. Sitbon”, a-t-il ensuite laissé échapper.
Son tour de parole venu, M. Adda a également exprimé son opinion sur les données chiffrées qui venaient de lui être exposées. "Je m’inquiète pour l’avenir du pays. Les chiffres que vous nous avez communiqué sur l’éducation ne sont absolument pas justes : en effet cela reviendrait à dire que les 75% de diplômés seraient âgés de 25 à 120 ans … Les investissements pour l’éducation n’ont cessé de diminuer ces trente dernières années en même temps que se réduit le nombre d’enseignants.
Le présent se construit sur l’avenir, non sur le passé, or Israël vit sur ses acquis. Notre avantage compétitif aujourd’hui c’est toujours l’éducation. Mais cet avantage est basé sur le passé et surtout sur l’aliyah russe qui a permis d’intégrer des savoirs scientifiques extrêmement pointus. Aujourd’hui nous devons cesser de penser autrement l’avenir. Investir dans le capital humain, donc dans l’éducation, et dans le social est une nécessité absolue", a-t-il ajouté.
“Il est vrai qu’il y a eu une diminution d’injection de capitaux dans ce secteur, mais en chiffres absolus cette diminution est loin d’être dramatique”, a tenu à nuancer M. Sitbon. “Nous nous situons toujours devant la plupart des pays européens développés et je pense que c’est suffisant pour que nous soyons satisfaits”, a-t-il affirmé.
Le débat principal entre les économistes repose donc sur la destination des investissements étatiques. Pour certains, comme M. Sitbon, ils doivent rester tels quels et se concentrer sur les investissements en R&D et le gouvernement doit maintenir sa politique libérale. Pour d’autres en revanche, parmi MM. Adda et Sabah, les investissements doivent se “socialiser” à nouveau et se concentrer sur l’éducation. Israël a réussi à bâtir une solide économie notamment grâce au high-tech, mais que serait ce secteur sans leur matière première – les cerveaux ?
Israel Valley