Le miracle de la réunification de Jerusalem, par Yéochoua Sultan
Ce soir, Jérusalem fête les quarante-quatre ans de sa réunification. La libération de Hébron est pour le lendemain, le 29 du mois de yar, du calendrier hébraïque. En six jours, Israël a été sauvé de ses agresseurs, qui avaient juré sa perte, unifiant leurs forces armées sous le commandement de Nasser, qui déclencha les hostilités en chassant la force internationale du Sinaï, en massant d'impressionnantes troupes à la frontière, et en étranglant le détroit de Tyran et l'économie israélienne. Cette histoire est un ensemble de miracles, et elle ne fait d'ailleurs pas partie des programmes des écoles de stratégies militaires américaines, qui ne s'intéressent qu'aux guerres naturelles.
On peut sans risque d'exagération lui appliquer les termes de la prière de Hanoukka: «Tu as livré le grand nombre dans la main du petit nombre, des colosses dans les mains des faibles…». Il suffit de voir les difficultés endurées par les soldats de Tsahal, quand l'ennemi, sûr de sa robustesse physique, attaque sans ses armes, prêt à fracasser des crânes à coups de pierres, sachant que les Juifs reçoivent l'ordre de ne pas tirer sur les ennemis les plus acharnés, pourvu qu'ils n'aient pas d'armes à feu. De plus, si on veut objecter que l'armée d'Israël n'est pas restée inactive, il ne faut pas oublier que les Asmonéens se sont battus eux aussi avec abnégation.
Mais le miracle qui m'intéresse ici est d'un ordre fondamentalement différent, et qui passe totalement inaperçu. Je ne veux pas non plus parler du courage de porter le premier coup à un ennemi qui s'avance pour frapper, bien qu'il ait fait cruellement défaut lors de la guerre de Kippour, quand on a bêtement décidé de montrer au monde entier qu'Israël est pacifique, et que ce sont ses voisins qui cherchent à le détruire. Il faut savoir qu'on ne peut rien contre la mauvaise foi, ni contre la politique du pétrole pour laquelle Israël ne pèse pas lourd. Non, le miracle qui nous intéresse ici tient à l'un des résultats les plus probants aujourd'hui de cette guerre, résultat qu'il est cependant impossible d'attribuer aux démarches du pouvoir politique en Israël. On aurait pu en effet penser qu'après dix-neuf ans d'irrespect total des droits du peuple juif, qui n'a pas pu approcher le Mur Occidental entre 1948 et 1967, vestige du Temple de Jérusalem, détruit par Titus plus de dix-neuf siècles auparavant, le pouvoir israélien allait tenter une opération pour libérer les lieux saints ; qu'une requête allait être présentée à la Jordanie usurpatrice, ou aux grandes puissances, ou encore à l'Onu ; qu'un ultimatum allait être présenté, avant une attaque en bonne et due forme... Eh bien, non! S'il avait fallu attendre que la classe politique se mobilise pour récupérer le Mur de l'Espérance, situé seulement à quelques centaines de mètres de la ligne de l'armistice, aucun parti, ni les grandes formations, dont la toute nouvelle, le parti travailliste, qui a regroupé plusieurs petits partis sous l'injonction de Lévy Eshkol, ni Ben Gourion, ni aucun autre, de tout l'éventail qui siégeait alors à la Knesset, de l'extrême gauche à l'extrême droite, n'aurait entrepris la moindre démarche, pas même symbolique par acquis de conscience, pour mettre fin à ce préjudice. Ne parlons pas de la cité des Patriarches, berceau du judaïsme, à une trentaine de kilomètres plus au Sud. La situation était d'autant plus inquiétante que non seulement aucun effort n'avait été investi, mais que des mouvements déterminés à étendre la lutte à Jérusalem après l'indépendance ont été jugulés au moment où ils tentaient de s'armer et d'apporter leur contribution pour un élargissement des frontières plus à l'Est. Cette attitude générale explique peut-être l'indifférence politique qui prévaut depuis la guerre des Six jours en ce qui concerne le cœur historique de la terre d'Israël, indifférence quelque peu atténuée par l'annexion à l'Etat des parties de Jérusalem précédemment occupées par les descendants d'Abdallah.
Un tout petit peu de recul nous fait donc comprendre que le renouvellement de la souveraineté juive sur la ville de l'avènement de la royauté du peuple d'Israël n'a absolument pas dépendu d'une initiative amorcée par Israël. Au contraire, le gouvernement israélien avait demandé à la Jordanie, après le début des combats, il y a 44 ans, de ne pas bouger et de rester en dehors de tout ça. Mais, craignant de perdre sa part du gâteau qui ne manquerait pas d'être partagé après le génocide promis par Nasser, qui lui avait fait croire qu'Israël était déjà coupé en deux, le petit monarque n'a pas pu s'empêcher de participer à ce qu'il avait pris pour une curée. Par conséquent, force est d'admettre que la reprise du Mur de l'espérance et de la cité d'Abraham, Isaac et Jacob a été imposée aux Juifs de l'extérieur. Certes, ils ne se sont pas laissé anéantir, ils ont même pris stratégiquement les décisions qui s'imposaient, mais ils n'avaient à première vu pas voulu cela. Bien évidemment, ils ont été très heureux du dénouement, puisque toutes les couches de la population se sont rendues alors à Jérusalem et à Hébron, pour renouer avec ce patrimoine, mais aucun parti, aucune manifestation n'a exigé de mettre fin à cette situation. Seuls les élèves du rabbin Tsvi Yéhouda Kook, qui dirigeait alors une importante école talmudique dans la partie occidentale de Jérusalem, se rappellent qu'il avait déploré, à l'occasion du jour de l'indépendance, en 1967, que Jérusalem, Sichem, et Hébron n'étaient pas entre nos mains.
Une question fondamentale se pose alors: la rédemption d'Israël, prévue par les textes bibliques, avec la promesse de la fin de l'exil, et ressentie en premier lieu par les nations avant de l'être par les Juifs – comme le laisse sous-entendre le Psaume CXXVI, quand «D. a fait pour eux des prodiges», tirade attribuée aux nations, précède «D. a fait pour nous des prodiges», parole attribuée prophétiquement à Israël – dépend-elle de la volonté d'Israël? A contrario, est-ce que l'Etat d'Israël peut initier la création de toutes pièces d'une autorité politique qu'il entretient financièrement, après avoir sauvé de la décrépitude un mouvement terroriste dont le chef en fin de carrière a été hissé sur le devant de la scène internationale, le faisant passer aux E-U de persona non gratta à invité officiel choyé, pour lui faire cadeau du cœur de la terre où il aspire à se retrouver depuis le début de l'exil?
Malgré ces observations, il convient toutefois de préciser que la majorité des Juifs sont loin d'approuver les «concessions douloureuses» que cherchent à leur imposer des élus qui trahissent les principes de leur parti et qui sont prêts, s'ils n'arrivent pas à imposer les changements voulus par leur revirement, à entraîner des membres du parti «père», arrivistes comme eux, dans un nouveau parti fabriqué de toutes pièces pour les besoins de la cause. Trois cent mille manifestants contre les accords d'Oslo et encore trois cent mille avant l'expulsion de Goush Katif n'ont en rien influé sur les décisions. Ces chiffres, bien qu'éloquents, pourraient peut-être ne pas représenter une majorité, à première vue, mais il ne faut pas trop se fier aux sondages qui veulent laisser entendre que le peuple approuverait dans l'ensemble ces manœuvres. Ceux-ci sont parfois vérifiables. Six mois après la mort de Rabin, les 4 à 7% d'avantage attribués à Pérès, grand amateur de concessions territoriales, dans les intentions de vote avancées par les différents quotidiens, ont été démentis par les élections, le lendemain. Le pourcentage réel, bien inférieur, l'a été encore davantage quand le peuple a choisi Sharon et non Barak. Mais là encore, le nouvel élu a retourné sa veste.
Toujours est-il que toutes les tentatives d'imposer au peuple une paix contre des «concessions douloureuses», aux résultats encore plus douloureux, se sont soldées par de cuisants échecs. Tous les arguments insensés martelés par les médias ont été démentis par la réalité. Le processus dit de paix et ses concessions ont fait plus d'attentats, plus de victimes, des bombardements inconnus auparavant, que la situation précédente, et il a installé de nouvelles organisations terroristes dans les terrains abandonnés, avec l'inefficacité chroniques des forces internationales supposées garantir le maintien de zones démilitarisées mais truffées de missiles et de terroristes. Et pourtant, la course folle ne sait pas s'arrêter: on prend les mêmes et on recommence, aurait dit Coluche, et on veut nous resservir de nouveaux fronts et de nouveaux bombardements, en provenance de l'Est, cette fois-ci. Non seulement on dénigre les aspirations du peuple en essayant de le priver de son essence, mais on veut intensifier le danger qui le menace. «La paix en trois mouvements», nous martelait-on à une certaine époque. Concrètement, les trois mouvements ont été les suivants:
La totale! Bien sûr, en aucun cas il ne faudrait s'attendre à de la compréhension de la part de la communauté internationale, pour qui il est normal qu'Israël se laisse bombarder sans broncher. En cas d'opération militaire, les condamnations sont déjà prêtes, mais pas contre ceux qui bombardent la population civile israélienne, bien sûr.
Il est donc permis d'être confiant, et de s'attendre à voir la promesse de la rédemption se réaliser, même si ceux qui prennent le pouvoir en Israël ne veulent pas de ce cadeau qui doit leur donner le vertige, et même si l'attitude des dirigeants consiste à appliquer de leur propre chef des décrets contre leurs propres habitants. Seulement, le chemin n'en sera que plus dur. Déjà, à l'époque du Talmud, des Sages avaient dit que la rédemption viendrait mais qu'ils préféraient ne pas observer les événements qui lui préluderaient. Mais, tout en pouvant à juste titre déplorer ces invraisemblables prises de positions des gouvernements israéliens qui rappellent le Livre blanc, il nous est permis de rester optimistes, et de partager les réjouissances de ce grand jour, aucune autorité juive n'ayant plus existé sur Jérusalem depuis près de deux mille ans.