David Teboul, le confident de Simone Veil
Ce réalisateur a rassemblé des conversations inédites de Simone Veil dans un livre qui vient de paraître. Et qui sera adapté sur scène, au Théâtre Antoine, le 27 janvier, journée dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.
Il est venu pour parler de son livre, Simone Veil, l’aube à Birkenau (Éditions Les Arènes), et de l’adaptation qui va en être faite au théâtre, le 27 janvier prochain, jour de la libération des camps d’extermination, il y a soixante-quinze ans (1). Mais David Teboul est tout décontenancé lorsqu’on lui demande de parler de lui. Visiblement, c’est loin d’être évident. Il n’y peut rien, mais c’est plus fort que lui: il en vient toujours à parler d’elle. Elle, Simone Veil. Cette femme qui a bouleversé sa vie lorsqu’il l’a vue pour la première fois, à la télé.
C’était en 1979, iI avait 12 ans, Giscard était en encore au pouvoir. La ministre de la Santé, qui allait devenir quelques mois plus tard présidente du Parlement européen, participait à un débat organisé par «Les Dossiers de l’écran», après la diffusion de la série Holocauste. Au-delà du film lui-même, le petit garçon est ébranlé au plus profond de son être par l’intervention de «Simone». Sa parole sans afféterie, franche, brutale parfois («elle était soupe au lait, et dans l’émission, on voit vite qu’elle est agacée, irritée»). Son regard, si vert, si droit. Son chignon, si parfait. David Teboul garde aussi en mémoire un zoom très lent, progressif sur le visage de l’ancienne déportée qui, analyse-t-il des années plus tard, lui a «inconsciemment donné envie de faire des films ».
Idée obsessionnelle
Dès lors, le jeune garçon n’aura qu’une idée, obsessionnelle: rencontrer un jour Simone Veil. Car lui qui jusqu’alors portait sa judaïté comme un poids, ou en tout cas quelque chose dont il ne fallait pas se prévaloir «pour être pleinement français», se retrouve grâce à elle tout à coup débarrassé «d’une espèce de peur, de malaise» lié à sa religion. Il prend conscience que oui, on peut «être français et juif». Un sujet qui jusqu’alors était «tabou» pour lui. Né dans une famille «modeste», originaire d’Algérie, «attachée aux traditions mais pas vraiment pratiquante», David Teboul en vient ainsi paradoxalement à envisager la question de la judaïté par la découverte du génocide juif qui a surtout touché les Juifs d’Europe. Et les paroles de Simone Veil sont pour lui comme une forme de libération.
Par quoi est-il entravé exactement, lui qui dit avoir été très marqué par Marguerite Duras quand elle évoque notamment «la honte sociale» et reconnaît s’être ressenti parfois comme «un paria » ? Difficile à dire, mais clairement, l’école, qui est au début une souffrance pour le jeune garçon qui a commencé à parler tardivement et bégaie, le «sauvera». De même que la littérature qui «l’émancipe de beaucoup de complexes», notamment à la lecture des Mémoires d’une jeune fille rangée, de Simone de Beauvoir, et de Proust.
Un premier film sur Yves Saint Laurent
L’irruption de Simone Veil dans sa vie lui permet une forme de réparation, de consolation… mais aussi de faire la jonction entre le tiraillement adolescent, qui le fait à la fois admirer les figures de Raymond Aron ou Jacques Derrida, et son désir d’être cinéaste, d’être «connu et reconnu» en s’intéressant à la vie des autres.
Après des études de droit et d’histoire vite expédiées, Teboul réalise son premier film sur Yves Saint Laurent (il suit le couturier pendant trois mois tous les jours dans sa maison de couture), puis décide de revenir à la figure de référence de sa jeunesse afin de réaliser un documentaire sur elle. Simone Veil l’envoie d’abord balader, sans ménagement. À sa manière, rêche et directe, avant de lui donner rendez-vous, un matin, à 8 h 30. Elle arrive en retard, alors qu’elle avait insisté pour qu’il soit ponctuel. Ils parlent de tout et de rien, du film La vie est belle qui les a agacés tous les deux, des embouteillages à Paris, jusqu’à ce qu’elle lui demande, comme il le raconte dans le livre: «Qu’est-ce qui vous intéresse chez moi?» «Votre chignon», répond-il.
Des rendez-vous durant quinze années
«À ce moment-là, raconte-t-il, quelque chose s’est passé. Quand je lui ai parlé de son chignon, elle m’a parlé de son enfance et de sa mère, du statut des cheveux dans les camps, de son premier rendez-vous chez le coiffeur, après. Et je suis redevenu le petit garçon qui l’avait découverte à 12 ans.» Le rendez-vous qui devait durer dix minutes dure un peu plus trois heures. Et, à partir de ce jour, et pendant quinze ans, ces deux-là se rencontreront régulièrement. Souvent pour déjeuner dans des restaurants du 10ème ou du 11ème arrondissement, des petits bistrots. Ou chez Lipp. «Elle était très ouverte sur le monde, pouvait être avec des gens différents, de milieu modeste. J’ai vu des femmes musulmanes, chinoises qui venaient vers elle. La femme que j’ai rencontrée parlait beaucoup de son désir de reconstruire une famille après la guerre, de son enfance bouleversée par la grande crise. Et était aussi transgressive sous des aspects conventionnels.»
Dans le film qu’il a réalisé, Simone Veil, une histoire française, en 2004, l’ancienne ministre accepte ainsi d’être filmée en famille, chez son coiffeur de quartier, ou sur son lit en train de converser avec Marceline Loridan-Ivens, ancienne déportée et amie, qui fume un joint: «C’étaient des filles de Birkenau, elle avait vu tellement de choses. Pour la surprendre et la choquer, il en fallait!», s’amuse David Teboul.
Dernier rendez-vous
Le réalisateur se souvient bien sûr de son dernier rendez-vous avec Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens, justement. Ils étaient allés déjeuner dans «une brasserie sinistre», place Vauban. «Simone était absente, déjà malade. Elle qui s’est toujours battue pour la reconnaissance des Justes ne réagissait même pas sur des sujets comme le supposé antisémitisme des Français, qui la mettaient normalement en colère.» Qu’importe, il reste à David Teboul des heures et des heures d’entretien de la Simone Veil qui avait bouleversé un petit garçon de 12 ans, dont la vie a basculé en regardant la télé, un jour de 1979.
Source : Le Figaro