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Communauté musulmane ahmadie en Israël : plaidoyer pour la non-violence

par Catherine Leuchter

Haïfa, troisième ville israélienne, est désormais connue pour abriter le centre mondial des Bahai¨, foi née en Perse au 19ème siècle, dont les immenses jardins dominent la cité portuaire. Haïfa, décidément à nulle autre pareille, abrite aussi une « communauté islamique ahmadiyya ». Méconus, les ahmadis seraient pourtant plusieurs dizaines de millions répartis dans le monde entier. D’origine sunnite, les ahmadis se définissent comme des musulmans pratiquant un « islam pur », un « islam modéré, pacifique et rationnel ». Souvent discriminés dans le monde musulman, la communauté installée en Israël, qui rassemble quelques 2000 personnes dont les trois quart à Haïfa, constitue la plus grande du Proche-Orient. C’est d’ailleurs à Haïfa qu’a eu lieu, les 16 et 17 juillet, une de leurs « conventions internationales annuelles », sous la houlette de leur émir israélien Muhamad Sherif.

Kababir, le fief des ahmadis de Haïfa, est reconnaissable de loin ; sa mosquée, flanquée d’une paire de minarets tutoyant le ciel, domine la ville. Dans ce quartier cossu et paisible situé sur les hauteurs du Mont Carmel, les ahmadis cohabitent parfaitement avec les juifs. Mises à part quelques femmes voilées, on peine à distinguer les deux populations, l’une et l’autre ayant adopté un style de vie résolument moderne. La mosquée est massive mais le muezzin, lui, est discret. L’appel à la prière nocturne a été supprimé pour ne pas déranger les voisins juifs. « La religion doit convaincre, non contraindre, elle ne doit pas être agressive mais sociable », souligne le Secrétaire général de la communauté ahmadie, Muad Oudeh dont l’aïeul, avait acheté un vaste terrain sur le Carmel en 1850 avec vue imprenable sur la Méditerranée lequel deviendra donc plus tard le quartier des ahmadis. Presque tous les ahmadis de Haïfa vivent là, à Kababir, et 75% d’entre eux sont issus de la même famille, les Oudeh. L’actuelle mosquée a été construite au tout début des années 80 en lieu et place de la petite mosquée d’origine édifiée en 1935. Les premiers ahmadis apparaissent à Haïfa à partir de 1928 suite à la visite d’un missionnaire indien venu diffuser sa bonne parole.

Foi dans le mahdi et dans la non-violence
Mais que prône donc cette foi qui apparaît en Inde au 19ème siècle ? Les ahmadis observent toutes les pratiques de l’islam, ce qu’ils définissent comme un « islam pur » débarrassé des interprétations qui ont dénaturé, selon eux, les valeurs originelles du Coran. Ils ne parlent pas de réforme de l’islam - ils considèrent qu’il « n’y a rien à ajouter, rien à enlever au Coran » - mais lui préfèrent le terme de renouveau. La partie la plus controversée de leur foi est le fait que son fondateur, Mirza Ghulam Ahmad, se soit proclamé, en 1889, le Madhi (Messie) annoncé dans le Coran par Mahomet. Mirza Ghulam Ahmad est né en 1835 à Qadian, ville du nord-est de l’Inde. Pour les ahmadis, Dieu a envoyé Ahmad comme il a envoyé Jésus, pour mettre fin aux guerres religieuses, rétablir la justice et la paix.

Jésus occupe d’ailleurs une place importante et originale dans la foi ahmadie. Jésus aurait, selon eux, survécu à la crucifixion. Tombé dans un état d’inconscience, soigné par ses fidèles, il aurait poursuivi sa mission en allant chercher en Inde les dix tribus perdues d’Israël. Là, il aurait continué de prêcher jusqu’à l’âge de 120 ans et serait mort de vieillesse. En Inde, les ahmadis font pèlerinage sur une tombe, qu’ils considèrent comme celle de Jésus.

Parmi les concepts qu’ils jugent dévoyés, celui de jihad qui, pour eux, est totalement dépourvu de violence ; ils rejettent donc clairement le terrorisme. Le fondateur Ahmad fut l’apôtre d’un « islam par la plume » pour défendre l’islam. Car s’ils plaident la tolérance et la compréhension mutuelle entre différentes religions, ils considèrent toutefois que l’islam est l’apogée des religions et revendiquent une démarche prosélyte.
La violence qu’ils dénoncent est utilisée contre eux. Le 28 mai 2010, deux mosquées ahmadies de Lahore, au Pakistan, ont été l’objet d’attaques suicides. Le bilan de 86 morts et de plus de 120 blessés a été condamné par l’Organisation de la conférence islamique (OCI) mais sans aucune mention du fait que les victimes étaient exclusivement des ahmadis.

Rejet des ahmadis par le monde musulman
Une grande partie du monde musulman ne reconnaît pas les ahmadis comme musulmans. Ils font l’objet de discriminations dans de nombreux pays (Bangladesh, Indonésie, Egypte, Jordanie, Arabie-Saoudite, …) voire de persécutions comme au Pakistan. Lors de la création du Pakistan en 1947 qui a donné lieu à un échange de millions de musulmans et d’hindous, les ahmadis ont quitté leur ville d’origine de Qadian en Inde pour s’installer à Rabwah, au Pakistan. En 1974, le Pakistan a amendé sa constitution et privé les ahmadis de leur identité de musulmans. En 1984, des lois sur le blasphème ont encore aggravé leur situation. Dès lors, un ahmadi est considéré comme ayant commis un acte criminel s’il se définit comme musulman, s’il attribue le terme de « mosquée » à son lieu de culte ou bien s’il utilise une terminologie islamique sur la tombe de ses proches notamment. Compte tenu de cette dégradation terrible de leur statut, les ahmadis ont installé leur centre mondial en Grande-Bretagne en 1984. C’est là que vit leur chef religieux, le 5ème calife Mirza Masroor Ahmad.

Ce rejet des ahmadi dans le monde musulman ne semble pas affecter Muad Oudeh à Haïfa. « Je sais qui je suis et ce en quoi je crois » affirme-t-il. En fait, les relations entre les ahmadis et les autres musulmans, tous citoyens israéliens, sont quasi-inexistantes. Cependant, dans la mesure où le mariage civil n’existe pas en Israël, les tribunaux islamiques valident les mariages ahmadis comme s’il s’agissait d’unions entre musulmans. A l’instar de nombres d’Arabes Israéliens, les ahmadis sont partagés entre leur citoyenneté israélienne et leur identité arabe. Muad Oudeh est très critique à l’égard de la politique israélienne concernant les Palestiniens. Prônant la non-violence comme principe absolu, il a trouvé « excessive » la force employée par Israël à Gaza en janvier 2009 et considère « qu’Israël ne durera pas s’il ne fait pas preuve de plus de justice ». Cependant, les ahmadis ne s’identifient pas à la cause palestinienne dans la mesure ils n’ont aucune aspiration nationale, pas plus en Israël qu’ailleurs, et ils défendent la séparation de la mosquée et de l’Etat.

Photos de Catherine Leuchter

Pour en savoir plus : http://www.islam-ahmadiyya.org/

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