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JOUR DE PLAGE A ANFA, par Bob Ore Abitbol

JOUR DE PLAGE A ANFA

Le samedi et le dimanche étaient des jours sacrés pour tous les enfants que nous étions. C’étaient en effet des jours de plage et de piscine. Mireille, visage rond et sympathique, plutôt boulotte, cheveux à l’artichaut c’est la monde, munie comme chacun de nous d’un petit sac Air France bleu, se prépare.

Il fallait sortir tôt le matin pour profiter au maximum du soleil et partager ces vacances hebdomadaires avec Colette, avec Mimi et toutes les autres.

Dans son sac, une serviette pour s’allonger, un sandwich poulet mayonnaise, un autre au thon et aux olives, enrobés d’un papier transparent qui devenait vite huileux, et tachait souvent la serviette qui finissait par sentir le poisson, une banane muscat et une orange. Le maillot, on le portait sur soi, c’était plus pratique et surtout plus prudent, à l’abri ainsi des regards indiscrets des garçons des cabines mitoyennes, dans lesquelles on  avait depuis longtemps fait des trous sur le mur de bois vermoulu pour tout voir.

Voici Mireille fin prête dans son sac à bandoulière, donc, ses affaires, dans son porte-monnaie en cuir rouge aux petits crochets dorés, 200 francs, 2 dirhams : le calcul est simple, 40 centimes pour l’aller en autobus, un autobus bondé qui allait du boulevard Camille Desmoulins tout fleuri à Anfa, qui sentait bon la mer et que l’on devinait bien avant d’arriver, et qui débarquait tout son monde soit à Tahiti, soit au Lido, soit encore à Kon-Tiki; des noms qui chantaient des rives lointaines et des îles enchantées qui nous faisaient rêver. Quarante centimes pour le retour; c’était une autre route et une autre atmosphère.

Là, nous avions les cheveux mouillés, le regard lumineux qu’ont tous les enfants du soleil, des souvenirs de vagues et de sable chaud sur le corps. Nous étions bronzés, fatigués mais heureux. Nous repassions par la piscine municipale, la plage Pepsi-Cola, l’habitat israélite, jusqu’à la place de France, où une foule bigarrée, la Medina n’est pas loin, se presse. Vingt centimes enfin nous servaient à acheter à la sortie un beignet à la confiture encore chaud qu’un Arabe à moustache, le regard oblique, surveillant une police omniprésente, nous tendait enveloppé d’un papier mi-blanc mi-gris qui s’imprégnait rapidement de sucre, de confiture et de taches de gras.

L’autre franc nous permettait l’entrée à la piscine, à la cabine, au vestiaire et à la jouissance inconditionnelle du soleil, de la mer et également d’une discothèque toujours plongée dans une pénombre humide et un peu triste. Malgré les tables mal équarries, le bar tarabiscoté, les bancs inconfortables, la musique trop forte qui diffusait les derniers tubes de nos chanteurs préférés, Elvis Presley, Tutti Frutti de Little Richard, Only you des platters, nous étions heureux, car là se nouaient les petites aventures et les multiples intrigues. Tu dragues, je drague, tu marches, je marche.-Martine et Lulu, Tu as vus, y se sont embrassés.-Rita et Bébert, il est mordu.-Christian, l’Arabe (un vrai de faux celui-là) avec Yolande la Française, la fille du patron de Tahiti. Si son père la voit, gare!

Mireille imagine bien sa journée dans l’attente de son autobus. Une douce brise caresse les palmiers qui s’agitent nonchalamment au vent léger. Quand elle y monte, tout excitée de la belle journée en perspective : une surprise! Son argent, si durement quémandé (nous étions nombreux à la maison !), son argent a disparu. Elle ouvre plus grands encore ses yeux qu’elle a déjà grands, mais ne s’étonne pas davantage; elle connaît le coupable. Son frère Daniel est tout désigné, sa réputation est établie, son inconscience et son insouciance aidant, il hésite  rarement à commettre quelque menu larcin.

Menaçant et jurant, la voilà donc courant vers la maison; elle monte les marches quatre à quatre, pousse d’un geste brusque la bonne qui lui ouvre la porte et secoue Daniel qui hypocritement fait semblant de dormir. L’autre a beau crier son innocence, maudire le sort qui fait de lui un coupable permanent, sa soeur ne se laisse pas attendrir facilement et procède à un examen aussi sérieux qu’approfondi; toutes les poches évidemment y passent, sous la ceinture, sous le lit, dans le cartable, enfin toutes les cachettes possibles et imaginables.

-Vous voyez bien que ce n’est pas moi, toujours, toujours vous m’accusez, je n’ai rien fait, c’est de l’injustice! Crie Daniel.Il insiste, un peu trop, Il triomphe. Coupable ou innocent, lui seul le sait. Alors Mireille, qui s’apprêtait à partir, fait volte-face et, tel  l'inspecteur Colombo, lui ordonne sèchement d’enlever ses chaussures. Dernière cachette, ultime recours, et aussi, hélas! Ultime chance de recouvrer son argent et de sauver encore sa journée de plage.

Les chaussures, qui passaient de frère en frère étaient toujours trop grandes. D’un geste habile, sec et précis, il les fait virevolter dans l’air, l'une après l’autre et continue à denoncer encore plus fort l’injustice de cette soeur, qui n’a décidément aucune pitié et qui lui ordonne:-Avance!-Quoi avance?-Oui marche! Marche!Et là, c’est l’infamie, les piécettes enfouies dans les chaussettes en nylon tintent impitoyablement sur la mosaïque froide.Cling Cling Cling…

Il était pris et Mireille, triomphante, sûre de son fait depuis le début, a fait:-Ahhh!Et pendant qu’elle frappait le petit frère coupable, dans un réflexe aussi inutile qu’absurde, il a continué à crier en pleurant :-C’est pas moi! C’est pas moi! C’est pas moi!

Extrait du livre "Le gout des confitures"

par Bob Oré Abitbol

boboreint@gmail.com

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