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Que ces trois anges reposent en paix

 

 

Par Stephanie Bitan

 

En longeant la rue Herzl pour arriver au Kikar Haatzmaout, difficile de s’imaginer que près de 72 heures auparavant, cette même place était à feu et à sang. En ce début de soirée du dimanche 19 juin, l’air est doux, les bancs et les restaurants sont remplis, comme d’habitude. Il y a même une petite foire du livre, sur la place. Il faut cependant se rapprocher, de plus près, pour comprendre l’ampleur du drame.

 

Et là tout devient clair et incontestable : des tas de chaises empilées sur la pelouse qui font face à des barrières élevées, où des affiches annoncent la triste nouvelle : “l’enterrement de notre fille, de notre sœur aura lieu ce dimanche à 11 heures, au cimetière de Vatikim”. Les barrières, c’est pour cacher le drame de ce jeudi soir…

 

Tout commence sur les coups de 16h30, le 16 juin, un individu, pris en flagrant de délit de vol est arrêté. La police a trouvé chez lui des conduites de gaz. L’homme voulait récupérer les gaines de cuivre, un métal noble et prisé. Le vol coûtera très cher : du gaz commence à s’échapper, l’odeur devient forte et les habitants appellent la société en charge, Amisragaz.

 

Celle-ci ne daigne pas envoyer quelqu’un. Ne serait-ce que pour “vérifier”. Ce n’est seulement qu’au bout de trois heures et de plusieurs coups de fil qu’un agent arrive, muni de joints et de scotch pour colmater la fuite, assurant en partant que tout va bien. Négligence ou une erreur humaine ? En tout cas, elle aura des conséquences tragiques quelques heures plus tard…

 

Pendant ce temps-là, trois jeunes filles assistent au cours hebdomadaire du Rav Yaacov Mazouz. L’une d’entre elles a passé son bac d’histoire le jour-même. Elles décident d’aller manger une pizza sur le Kikar. Rébecca Msihid, 17 ans, Rébecca Dorai, 18 ans et Stacie Barouk, 17 ans, trois amies qui avaient l’habitude de fréquenter le Beit Habad de la ville.

 

Et ce soir-là, comme tous les jeudis, elles ont la permission de minuit et demi. A cette heure tardive, elles sont encore au Kikar, en train de distribuer des bougies de Shabbat Elles y resteront toute la nuit et pour toute la vie. A minuit et quart, une violente explosion, d’un “bruit assourdissant et tonitruant, tel que l’on peut l’entendre de Poleg” – quartier assez éloigné du centre – souffle tout un immeuble au centre de Netanya, sur le fameux “Kikar”, cette place très fréquentée par les nombreux Français de la ville côtière, en particulier par les jeunes le jeudi soir.

 

Les pompiers et les unités de Défense civile arrivent en nombre et très rapidement sur les lieux pour tenter d’extraire les personnes restées dans les décombres. Mais ils doivent agir avec prudence car la présence de gaz dans l’immeuble en ruine risque de provoquer d’autres explosions à la moindre étincelle.

 

Une communauté soudée

Le bilan est lourd : 4 morts, dont un arabe israélien, Muhammad Abu Ata, 30 ans, originaire de Kafr Kara à Wadi Ara, qui était sur le point de se marier. Et une cinquantaine de blessés.
Mais selon Aaron, un jeune ami des trois victimes, “il y avait bizarrement moins de monde que d’habitude, toute la bande était loin d’être au complet”, souligne-t-il en se dirigeant vers le domicile de Rébecca Msihid. Celle qui venait de passer son bac, qui avait le mot “techouva” (retour à la religion) tout le temps à la bouche, qui voulait être combattante dans l’armée en décembre prochain, qui devait recevoir des amis de France chez elle pour les vacances d’été. A la place, elle aura eu droit à la visite du ministre de l’Intégration et d’un conseiller de l’ambassadeur de France venus présenter leurs condoléances à sa famille. Elle laisse derrière elle son frère Benjamin et sa sœur Léa, respectivement âgés de 11 ans et 8 ans. Mais surtout sa mère Delphine et son père Laurent. Ils avaient quitté Sarcelles pour s’installer en Israël il y a quatre ans. La mère, assise sur le sol, tente tant bien que mal de reprendre des forces, de manger un peu pour tenir le coup. Elle est entourée de ses amies et de sa sœur Virginie, venue de Sarcelles pour la soutenir et lui rappeler d’heureux souvenirs d’enfance, histoire de lui faire esquisser un sourire, de la soulager. Mais comment faire ? Il n’y a pas de mots qui consolent quand on a perdu un enfant. La langue française n’avait pas pensé à en inventer un, tellement la douleur est insupportable, l’horreur incroyable.

 

Pour Cindy, amie de Rébecca, “elles sont mortes en train de faire une mitsva, c’est pour ça que Dieu les a rappelées à lui.” Cindy était aussi amie avec Stacie Barouk, toute la bande l’était, tout le monde se fréquentait. Ils se sont retrouvés ce dimanche soir dans une tente spécialement aménagée, en face de l’hôtel Carmel, pour les prières, destinées à élever l’âme de Stacie. “Un soir chacune”, disent-ils. On entend le Kaddish. On voit les parents assis, parce que debout, ils n’y arrivent pas, ils perdent l’équilibre. Toute la communauté juive française de Netanya se connaît, elle est très soudée lorsque malheureusement, ce genre de drame se produit.

 

Des nouveaux immigrants, encore et toujours…

Des proches de la famille racontent que les parents de Stacie, Valérie et Alain sont eux aussi des olim hadashim. Ils ont quitté Enghien-Les-Bains, en région parisienne, pour venir s’installer en Israël, il y a quatre ans aussi, comme les parents de Rébecca Msihid. L’homme, profondément ému, est dans le métier. Il s’emporte : “Il n’est pas normal que toutes les installations électriques soient aussi vétustes, qu’elles ne soient pas aux normes” !

 

Stacie aussi avait la permission de minuit et demi. Elle était revenue chez elle pour prendre une bouteille d’eau avant d’aller distribuer les bougies de Shabbat. Les amies riaient ensemble car elles s’amusaient de la compétition qui régnait entre elles pour savoir qui en distribuerait le plus et le plus vite. Ichai, le petit ami de Stacie, explique que peu avant le drame, il était à côté d’elle, il venait de lui donner de l’argent pour qu’elle s’achète à boire. Elle avait soif, sans doute le gaz dans l’air.
Puis l’explosion, les secours, les ambulances. Quand il apprend la nouvelle, certains de ses amis voient Ichaï partir en courant, mais pas assez vite. Quand il arrive à l’hôpital Laniado, Stacie n’est plus. Elle avait 17 ans. Elle aidait sa mère dans la boutique de lingerie et comptait travailler dans la police. A l’heure des nouvelles technologies, Facebook compatit, et regorge de groupes consacrés aux trois jeunes filles.

 

La troisième : Rebecca Dorai, 18 ans. Elle avait fait son aliya une première fois, était repartie en France et venait juste de revenir habiter en Israël. Celle qui avait perdu son père il y a trois ans avait fait techouva, elle aussi elle aidait sa mère. Il a fallu attendre dimanche pour pouvoir l’enterrer, pour “recoller les morceaux”, reconstituer son corps.

 

“Tout ça parce que l’agent d’Amisragaz était pressé, qu’il ne voulait pas faire correctement son travail”, lance un ami, en colère.
Mais on a surtout envie de dire “jusqu’à quand” ? Comme l’on peut le lire à des centaines de reprises sur la page Facebook. “Que ces trois anges reposent en paix”, me lancent en chœur la bande d’amis éprouvée.

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